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Vieillissement de la population: et si nos aînés finissaient par tout payer de leur poche?

Et si nos aînés finissaient par tout payer de leur poche?
Radio-Canada.ca

Pour survivre financièrement au vieillissement de la population, le Québec doit-il confier plus d'aînés au privé et introduire le système de l'utilisateur-payeur dans les établissements publics?

Un texte de Madeleine Roy

Il y a actuellement 180 000 aînés de 85 ans et plus au Québec. D'ici 20 ans, ils seront 400 000. Réussirons-nous à leur offrir un milieu de vie sécuritaire et abordable?

Déjà, les listes d'attente des établissements d'hébergement publics sont considérables. Quelque 7500 aînés attendent présentement qu'une place se libère. Malgré des investissements considérables au niveau des services de maintien à domicile, on ne couvre encore qu'une faible portion des besoins. Dans les résidences privées, des places sont disponibles, mais tous les aînés n'ont pas les moyens de payer 2000 $ de loyer par mois.

Nombre de places dans les résidences privées pour aînés au Québec : 111 150

Nombre de places avec soins assidus (plus de 1 h 30 de soins par jour) : 7438

Un coup de barre majeur s'impose. Tout le monde s'entend là-dessus. Mais comment doubler l'offre de service aux aînés au cours des 20 prochaines années sans faire exploser le budget de la province?

« Est-ce qu'on est en train de faire face aux limites de notre système public? Est-ce qu'on s'aperçoit qu'on a de la difficulté à offrir l'égalité auprès de tous les gens? Peut-être qu'on est rendu à ce niveau-là. »

— Régis Pearson

En 2012, le Regroupement des résidences privées pour aînés (RQRA) a mandaté la firme SECOR pour faire l'étude du modèle actuel de prise en charge des aînés et dégager des pistes de solutions. En se basant sur les conclusions de cette étude, le RQRA propose aujourd'hui un nouveau modèle dans lequel les services aux aînés seraient en grande partie offerts par le privé, mais subventionnés et contrôlés par l'État.

Il y a fort à parier que la proposition du RQRA trouvera une oreille attentive au ministère de la Santé et des Services sociaux, puisque l'un des membres du comité qui a réalisé l'étude de 2012 n'était nul autre que Philippe Couillard, alors conseiller stratégique chez SECOR.

Les grandes lignes du modèle proposé :

  1. Des dizaines de milliers de nouvelles places en résidences privées sont créées pour répondre au vieillissement de la population et pour offrir des soins et des services de qualité aux aînés en perte d'autonomie légère, modérée ou lourde.
  2. Chaque aîné en perte d'autonomie est évalué par son CLSC avec un outil d'évaluation universel. C'est le CLSC qui détermine le type et la quantité de soins et de services qu'il doit recevoir.
  3. Peu importe son lieu de résidence (CHSLD, résidence privée, domicile), chaque aîné reçoit l'ensemble des soins et des services requis par son état. Les soins infirmiers et médicaux sont entièrement financés par l'État, mais l'aîné paie les services d'aide à la vie domestique et quotidienne qu'il reçoit en fonction de ses revenus.
  4. Les soins et les services requis par les aînés des résidences privées sont donnés par le personnel de la résidence et non par le personnel de l'État, mais leur qualité est étroitement contrôlée par l'État.

Les trois principaux avantages du nouveau modèle, selon le RQRA :

1. Plus équitable

En ce moment, les 45 000 aînés qui sont hébergés dans des établissements publics (CHSLD, ressources intermédiaires et de type familial) ne paient que le gîte et le couvert. Tous les services leur sont offerts gratuitement, ce qui n'est pas le cas pour les aînés qui habitent en résidences privées et qui doivent payer chaque service; bain, changement de culotte d'aisance, distribution de médicament, etc. Désormais, tout le monde paierait les services reçus de façon équitable, en fonction de ses revenus.

2. Plus humain

Dans le système actuel, les aînés ne peuvent pas vraiment choisir l'endroit où ils habitent. S'ils n'ont pas les moyens de payer les services dont ils ont besoin, ils doivent quitter leur domicile ou la résidence privée où ils habitent, pour emménager dans des établissements publics, où les services sont offerts gratuitement. Désormais, les aînés pourraient recevoir des services équitablement subventionnés, peu importe leur lieu de résidence.

3. Plus économique

Le nouveau modèle de financement permettrait de réaliser des économies d'une part, parce qu'une bonne partie des services aux aînés serait désormais offerte par l'entreprise privée qui, selon le RQRA, est capable d'offrir les mêmes services que le public pour 30 % moins cher

Dautre part, parce que de nombreux aînés hébergés dans les établissements publics paieraient désormais une partie des services qu'ils reçoivent actuellement gratuitement.

Ils paieront en fonction de leurs revenus, mais, peut-être un jour aussi, en fonction de leur patrimoine. Les aînés de demain seront-ils contraints de vendre tout ce qu'ils possèdent avant de pouvoir bénéficier de services d'aide subventionnés par l'État?

Les dirigeants du RQRA ont déjà rencontré les fonctionnaires du ministère de la Santé pour leur présenter le nouveau modèle qu'ils proposent. Au cabinet du ministre Barrette, on nous a expliqué que tout le système de prise en charge des aînés était présentement en révision et qu'il était trop tôt pour annoncer les orientations à venir.

La retraite envolée de Philippe et Fernande

Toute leur vie, Philippe Suys et Fernande Archambault ont fait des économies pour être en mesure de se payer du bon temps à la retraite. Malheureusement, à 64 ans, Fernande a commencé à souffrir d'alzheimer. Après sept ans de soins à la maison, Philippe a dû se résoudre à la placer. Il lui a offert le Sunrise de Fontainebleau, une résidence privée de luxe pour laquelle il a déboursé jusqu'à 6000 $ par mois. Philippe n'est pas riche, mais ça ne le dérangeait pas. Après tout, l'argent de la retraite était aussi celui de Fernande.

Après un an et demi, Philippe s'est dit qu'il était temps de transférer Fernande dans un CHSLD public où, comme tous les résidents des CHSLD publics, elle paierait un maximum de 1800 $ par mois.

En s'adressant à son CLSC, Philippe a appris qu'il y avait un an et demi d'attente pour une place dans le CHSLD public de son choix. Il s'est résolu à placer Fernande au Pavillon de la Rive, un CHSLD privé qui lui coûte 4000 $ par mois.

Dans ce CHSLD de 82 places, seulement 25 places sont véritablement privées, les 57 autres sont « achetées » par le gouvernement et sont réservées, en principe, aux aînés qui, comme Fernande, sont sur les listes d'attente. Fernande attend donc son tour dans un lit « privé » en espérant qu'un lit « public » se libère dans le même CHSLD. En fait, quand son tour viendra, elle ne changera même pas de chambre, sa facture mensuelle passera tout simplement de 4000 $/mois à 1800 $/mois.

Quand elle a emménagé au Pavillon de la Rive, Fernande était 25e sur la liste d'attente. Un an plus tard, elle a à peine progressé. Philippe voit pourtant constamment arriver de nouveaux résidents. Lorsqu'il a demandé des explications au CLSC, on lui a expliqué qu'on ne respectait plus la liste d'attente; qu'on plaçait, en priorité, les aînés qui occupaient des lits dans les hôpitaux.

Depuis un peu plus de deux ans, Philippe a dépensé environ 120 000 $ pour l'hébergement de Fernande, et n'a pratiquement aucun espoir de la voir accéder à un lit public avant qu'elle ne soit emportée par la maladie. Leur cas n'est pas un cas d'exception. Il y aurait présentement de 100 à 150 personnes dans la même situation sur le territoire de Laval seulement.

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