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Mon fils autiste de 30 ans est confiné dans un CHSLD pendant la pandémie

Il manque tellement de ressources pour les adultes autistes et vivant avec une déficience intellectuelle. Si j'avais eu ce qu’il faut pour garder mon fils, je l'aurais fait.

Les propos de ce témoignage ont été recueillis par le HuffPost Québec et retranscrits à la première personne.

Mon fils Samuel est autiste et il a une déficience intellectuelle. Il a 30 ans, mais a environ deux ou trois ans d’âge mental. Il n’a aucune once d’agressivité, il est très colleux et très gentil. Dès qu’il est bien avec quelqu’un, il va se coller. C’est un autiste dépendant, ce qui est très rare. Tous les éducateurs et tous ceux qui ont travaillé avec Samuel sont tombés en amour avec lui.

Je lui ai appris à dire «Ça va bien aller». Il est capable, je suis contente!
Courtoisie/Mylène Le Breux
Je lui ai appris à dire «Ça va bien aller». Il est capable, je suis contente!

À partir de 21 ans, il n’y a plus de services pour les autistes. Je suis seule et à un moment donné, je ne pouvais plus m’arranger dans mon horaire pour être capable de le garder à la maison. Ça a été difficile, mais j’ai décidé de le placer en famille d’accueil. J’avais le coeur gros, mais j’allais le voir tout le temps et le prenais avec moi presque toutes les fins de semaine.

Samuel était en famille d’accueil depuis quatre ans. Il était dans une nouvelle famille depuis début décembre. En janvier, du jour au lendemain, ça a commencé à très mal aller. Il s’est mis à se taper la tête sur les murs, à se mordre, à se blesser. L’ambulance est venue le chercher.

À l’hôpital, ils lui ont donné de la médication pour qu’il puisse retourner dans sa famille d’accueil. La même chose est arrivée à trois reprises. La quatrième fois, je me suis fâchée: on ne peut pas faire ça tout le temps, le gaver de médicaments et le laisser partir. La psychiatre m’a dit: «Écoutez, ce n’est pas un centre d’hébergement ici.»

Des travailleurs sociaux sont intervenus, et finalement, Samuel a été gardé à l’hôpital, parce qu’il n’y avait pas d’endroit où le placer. Il a été mis à l’étage des chirurgies et pour le calmer, parce qu’il n’était vraiment pas lui-même, on lui donnait un trio de médicaments très fort qui est habituellement donné à ceux qui font une crise psychotique et qui fait en sorte que la personne va dormir pendant 24 heures. On lui donnait ça pour qu’il ne puisse pas déranger les autres. Au final, il arrivait quand même à se taper la tête sur les murs et à se mordre. Ça me faisait mal au coeur de le voir comme ça.

Samuel a ensuite été déplacé en psychiatrie. Ça a été la même histoire. Le psychiatre a été d’accord avec moi en disant qu’il lui fallait une reprogrammation de sa médication, mais a affirmé qu’il ne pouvait pas faire ça sur place, que ce n’était pas l’endroit indiqué pour ça. Mais malheureusement, il n’y en a pas d’endroit pour les autistes en état de crise. La seule chose qu’il pouvait faire était de donner de la médication à Samuel pour ne pas qu’il dérange les autres ou qu’il se fasse mal.

J’ai beaucoup pleuré, j’ai eu beaucoup de peine à essayer de me battre avec les médecins et les psychiatres. Il est en détresse, il essaie de nous dire quelque chose et vous êtes en train de me dire que vous ne savez pas quoi faire? J’ai trouvé ça vraiment, vraiment difficile.

Mon fils a finalement pu avoir une place dans une Résidence à assistance continue (RAC), qui se trouve dans un CHSLD, qui lui, est situé dans le Centre hospitalier régional de Lanaudière. Il n’y a que trois places dans la ressource où est placé mon fils et ils ont peu de moyens.

Avec la pandémie, j’avais proposé de le prendre avec moi et comme ça, j’aurais été certaine qu’il n’attrape pas le virus. Le problème, c’est que si je le sortais de là, il perdait sa place à la ressource.

Évidemment, je ne peux plus aller le voir. Les intervenants de la résidence m’ont dit que les infirmières qui s’occupent de donner la médication à mon fils - jusqu’à cinq fois par jour - sont les mêmes qui vont auprès des aînés du CHSLD. La nourriture provient aussi du même endroit. On me dit que les infirmières disent qu’elles font très attention quand elles vont les voir et qu’elles s’habillent avec la protection nécessaire...

“Ça fait plus de deux mois qu’il n’est pas allé dehors. Samuel, ce qu’il aime le plus, dans la vie, c’est d’aller prendre des marches. Tout lui a été enlevé, incluant ma présence.”

Les autorités disent qu’il est proscrit de passer d’une zone chaude à une zone froide, mais dans ce cas-ci, elles le font… Pour l’instant, personne n’a attrapé le virus dans la ressource où mon fils se trouve. Ils les ont testés la semaine passée et prennent leur température jusqu’à trois fois par jour.

Le bain et les douches sont du côté du CHSLD, où il y a eu une éclosion de COVID-19 il y a deux semaines. Le nombre de cas continue d’augmenter. Donc depuis deux semaines, Samuel ne peut pas prendre de bain ou de douche et doit rester dans sa chambre. Il n’a accès qu’à un lavabo et le préposé le lave à la mitaine.

Je lui parle au téléphone tous les matins et je lui apprends de nouveaux mots. Il me dit souvent qu’il veut aller dehors. S’il était dans une ressource qui ne se trouve pas dans un CHSLD, il aurait au moins accès à une cour ou à un balcon et il pourrait aller prendre l’air. Ça fait plus de deux mois qu’il n’est pas allé dehors. Samuel, ce qu’il aime le plus, dans la vie, c’est d’aller prendre des marches. Tout lui a été enlevé, incluant ma présence. Il est entouré de gens qu’il ne connaît pas et il y a du roulement de personnel. Il a passé sa fête et Pâques seul là-bas. Toute sa routine est dérangée et il est limité dans tout.

“Je suis toujours inquiète. Je ne sais pas comment les gens sont avec lui. C'est épeurant.”

La résidence où Samuel est placé est une ressource temporaire. Je ne sais pas pour combien de temps il pourra rester là. Ensuite, il va falloir faire des recherches pour trouver une autre maison d’hébergement qui va être prête à l’accepter, avec son histoire et comment il est.

Si j’avais eu les ressources pour garder mon fils, je l’aurais fait. Parce que je suis toujours inquiète. Je ne sais pas comment les gens sont avec lui. C’est épeurant. Est-ce qu’ils le comprennent bien? Est-ce qu’ils sont gentils? Est-ce que quelqu’un lui fait mal?

Je me sens comme tout parent quand il va porter son enfant à la garderie, j’imagine. Mais moi, c’est à long terme. Ça fait 30 ans que ça dure. Je ne le sais jamais, ce qui se passe.

Est-ce que ça peut bien aller?

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Propos recueillis par Florence Breton.

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