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Plaidoyer d'un fleuriste avalé par le capitalisme

Je viens de laisser derrière moi plus de 60 ans d'histoire entrepreneuriale et familiale. Pour ma part, c'est près de 33 ans de rencontres humaines que je quitte.
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J'ai appris qu'un homme n'a le droit d'en regarder un autre de haut que pour l'aider à se lever.

-- Gabriel García Márquez

Depuis un peu plus de cinq semaines, je suis seul chez moi à faire le grand ménage. Un très grand ménage.

Après avoir passé vingt ans de ma vie de travailleur à rendre vivant le monde des fleurs et puis treize autres années à n'avoir pas pas pu l'empêcher de mourir, me voilà arrivé au bout de ma passion. Il y a 40 jours, pour la dernière fois, j'ai passé le seuil. Le seuil de cette porte qui nous mène hors de l'entreprise, la nôtre, comme un enfant qu'il nous faut quitter. Je ne suis pas le seul fleuriste à avoir ainsi fermé boutique. D'autres copains ont dû se rendre à l'évidence que dans cette compétition entre le fleuriste et ce pas si vieux Goliath arrivé avec sa gueule à grande surface, il est facile de prédire qui va être avalé.

Depuis le 6 mars, je suis seul chez moi. Je m'égare, je pleure, j'écris.

Je viens de laisser derrière moi plus de 60 ans d'histoire entrepreneuriale et familiale. Pour ma part, c'est près de 33 ans de rencontres humaines que je quitte.

Depuis cinq semaines, je trie, je donne, je jette. J'allège ma vie afin de déménager dans un logement plus petit et ainsi avoir suffisamment pour prospérer. À cinquante ans, sans emploi, sans droit à l'aide octroyé par l'assurance-emploi, sans fonds de pension gouvernemental, je dois faire face à une dette de 30 000$. Depuis près d'une semaine, je suis indigné. Pour moi, bien sûr, mais aussi pour tous mes semblables. Cette semaine, je suis allé retirer les actions que j'avais investies dans quelques entreprises dont une qui, avec fierté, avait dignement participé à bâtir cette société dont, dit-on, le pays est l'hiver. En regardant ainsi le monde aller, je me suis senti bombardé de questions sur les valeurs de nos dirigeants et les objectifs du capitalisme.

Avec la dernière crise, nous constatons tous que plus les courbes tombent de haut et plus l'économie a du mal à se relever, alors pourquoi vouloir continuer d'aller plus haut?

Quelles sont les valeurs sur lesquelles est bâti notre village global capitaliste? Le capitalisme doit-il privilégier de poindre ses efforts vers la cible d'un capitalisme durable? Un capitalisme durable doit-il être empreint d'un juste partage et d'un grand respect pour toute forme de vie qui le nourrit et le fait exister? Le capitalisme a-t-il évolué? Lorsque je le vois encore aujourd'hui orienter tous ses efforts dans l'unique but de faire progresser la courbe de profitabilité, je ne le crois pas. Monter et aller toujours plus haut? Cible utopique. Mais une utopie que l'on continue de construire jour après jour à grands coups de milliards. Avec la dernière crise, nous constatons tous que plus les courbes tombent de haut et plus l'économie a du mal à se relever, alors pourquoi vouloir continuer d'aller plus haut?

Quelles sont vos aspirations, chers dirigeants?

Êtes-vous de grands fervents du vide?

Êtes-vous des enfants qui ne voient pas que nous sommes des adultes conscients de vos stratégies élaborées dans le but d'arriver à garder la plus grande part possible de friandises?

Êtes-vous conscients qu'à chaque jour nombre de femmes et d'hommes de cœur œuvrent et réussissent à gagner tout juste ce qu'il faut pour protéger, réchauffer et nourrir ceux qu'ils aiment? Que ce sont aussi les impôts de ces femmes et de ces hommes que vous désirez accaparer afin de vous créer un paradis doré?

Vous êtes-vous aperçu qu'il y a tempête? Êtes-vous endormis, et dans votre rêve croyez-vous que c'est nous qui le sommes?

Mais aux faîtes, de là-haut, réussissez-vous toujours à voir de quels éléments est constituée une terre qui est riche et prospère?

Depuis un peu plus de cinq semaines, j'ai été seul chez moi à faire le grand ménage. Aujourd'hui je ne suis plus amère, je ne suis plus découragé, je me sens moins stressé. Allégé, je peux poursuivre ma route dignement.

Comme j'ai maintenant terminé mon ménage, cette prochaine fin de semaine, je prendrai soin de mes plantes. Comme avril est un bon mois pour apporter des soins à la flore, entouré de ceux que j'aime, avec une eau appropriée je bassinerai mes plants d'orchidées. Avec une terre fertile, je rempoterai mes plants de fines herbes et mes plantes tropicales. Finalement, j'irai m'acheter une fougère remplie de jeunes frondes et je ferai germer des pousses de tournesol que je mangerai, je l'espère, sous le soleil de ce nouveau printemps québécois.

Au revoir amis fleuristes de partout!

Au revoir clients grands et petits de mon quartier!

Et vous, grands décideurs, je vous quitte en vous partageant une de mes pensées qui vous concerne: chaque jour je visualise dans mon esprit de fleuriste un souhait rempli d'espoir. Je vous imagine tout là-haut, au sommet de vos tours. Vous vous levez et, tout un chacun, je vous entends dire: «Qu'attendons-nous pour prendre les actions qui feront de notre monde un monde plus florissant!»

Vincent Aubier, le fleuriste

Mot de l'auteur: Bien que cette histoire et son signataire Vincent Aubier soient fictifs étant donné qu'ils font partie de mon oeuvre, ce texte est le parfait reflet de mon histoire et de celle de bien des gens. Je souhaitais le partager, car il amène à réfléchir sur un enjeu qui nous concerne tous: un capitalisme à renouveler.

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