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Qu'on le veuille ou non, la généralisation du franglais - dans le hip-hop québécois et ailleurs - incarne bel et bien l'un des symptômes du désintéressement de la langue française auprès des jeunes, et doit être considérée comme préoccupante.
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À l'égard de la polémique autour du groupe Dead Obies et du phénomène du franglais, Mela Sarkar, sociolinguiste et professeur à l'Université McGill, y est allé de quelques intéressantes observations le 4 août dernier (La langue des rappeurs, signe d'un français fort?). Elle soutient avec justesse que «La grande proportion d'anglophones autour de nous » menace davantage notre langue que le franglais de Dead Obies, puis également que ce n'est pas la première fois qu'on critique des artistes en lien avec l'usage de la langue française, rappelant que Michel Tremblay a « été sévèrement critiqué pour son joual il y a quelques décennies ». Elle avance également que les artistes constituant Dead Obies sont tout à fait capables de bien s'exprimer en français -ces derniers sont des habitués du Word UP, la première ligue de «combat de mots» a cappella francophone au monde, faut-il souligner.

Si nous partageons plusieurs des analyses de l'auteur, nous nous butons par contre à plusieurs éléments de son discours. En effet, il est difficile de ne pas sourciller lorsque Mme Sarkar prétend que le « français mixte » démontre « la réussite de toutes les politiques linguistiques québécoises » ou quand elle soutient que « le français n'est pas mis en danger par les jeunes générations. » L'auteur semble nous dire qu'il n'y a pas véritablement de problème, que le français se porte bien, qu'il se renforcerait même. En somme, il faudrait se réjouir de l'utilisation du franglais!

Le recul du français au Canada et au Québec est pourtant rationnellement démontré par maintes études et statistiques. C'est l'évidence même que le phénomène existe et prend de l'ampleur. Citons un passage de la conclusion du Rapport sur l'évolution de la situation linguistique au Québec (2011) de l'OQLF : « Il ressort de ces études que l'accroissement naturel des francophones et des anglophones - insuffisant pour assurer à lui seul le renouvellement des générations -, ainsi que l'immigration accrue, viennent modifier le portrait démolinguistique de la province. [...] Il en découle une augmentation du nombre et de la proportion de personnes de langues maternelles tierces, une diminution du poids relatif des francophones et une stabilisation de celui des anglophones.» Parallèlement, « Entre les années scolaires 1991-1992 et 2010-2011, la proportion d'élèves de l'enseignement primaire et secondaire à l'extérieur du Québec inscrits à un programme régulier de français langue seconde d'une école publique a décliné de 24 %, passant de 1,8 million à 1,4 million. », pour citer cette fois-ci Statistique Canada, L'évolution du bilinguisme français-anglais au Canada de 1961 à 2011.

Nous aurions tort de nous croire à l'abri de ce qui est arrivé en Acadie, au Manitoba et en Lousiane. Au-delà de certaines rimes chez plusieurs rappeurs, il existe bel et bien une habitude de plus en plus répandue chez les moins de 25 ans qui consiste à passer du français à l'anglais dans une même conversation entres interlocuteurs pourtant francophones. Même si certaines versions du franglais peuvent paraître anecdotiques, nous aurions tort d'oublier que l'intérêt envers la culture québécoise n'est pas à son meilleur chez les jeunes. Idem pour les résultats scolaires entourant la maîtrise du français (les taux d'échec aux épreuves universitaires ne cessent d'augmenter) et le goût pour la lecture en général. Ajoutons à cela des coupures de plus en plus grandes dans la culture et nous avons un beau cocktail qui risque de nous exploser en plein visage dans quelques années.

Mais nommer ces choses, esquisser une fatigue voire une agonie culturelle à nos portes, ce ne serait pas approprié. « Il y a constamment des gens qui s'inquiètent et écrivent dans les journaux que la langue est en train de se dégrader », de dire Mela Sarkar. Se questionner sur une tendance linguistique, de même qu'évoquer le recul du français au Canada et au Québec serait ainsi un réflexe inconvenant, un élan nationaliste mal orienté en quelque sorte. Plus loin, la chercheuse de McGill suggère que chanter en français est artistiquement moins intéressant qu'en franglais, puis, plus surprenant encore, elle clôt son intervention de la manière suivante : «(...) au Québec, le racisme existe» - le tout en nous invitant à faire une psychanalyse!

À ce propos, est-ce possible d'entrevoir un phénomène socio-linguistique et se faire critique de celui-ci sans se faire traiter de raciste? À l'égard de « l'argument artistique », la simple évocation d'artiste tels Pierre Lapointe, Ariane Moffat, ou encore Abd al Malik ne met-il pas fin à la discussion? Puis, bon dieu, est-il mal de vouloir protéger la langue française dans un des rares endroits du continent où on peut espérer vivre en français sans désavantage? Est-il anormal de vouloir protéger une culture qui apporte une couleur et une saveur différentes du reste de l' Amérique du Nord ?

La défense du français n'est pas une agression, mais la réponse à une agression. Celle de l'anglais, qui gagne du terrain jour après jour dans toutes les régions du Québec. Le pourcentage actuel de locuteurs anglophones n'est peut-être pas alarmant, mais sa progression l'est assurément. Mais attention, le problème n'est pas l'anglais, mais notre démission face à notre langue commune et officielle. Notre tendance à ne pas mettre les balises linguistiques qui s'imposent, si facile est-il de s'aplatir face à la culture anglo-saxonne qui nous entoure.

Concernant Dead Obies, nous n'avons pas à leur imposer une responsabilité politique. Ce sont des créateurs -qui plus est que nous apprécions- et ces derniers doivent demeurer maître de leur choix. Le franglais utilisé n'a de toute façon rien de nouveau, comme réalité sociale et vecteur artistique. En 1999, sur le premier album de Sans Pression, apparaissait déjà la pièce Franglais Street Slang. Les membres de Dead Obies n'ont ainsi pas à être les boucs émissaires de la situation du français, ils ne sont qu'un symptôme d'un glissement linguistique s'opérant. Si l'on souhaite faire avancer la cause du français, nous devrions bien davantage mettre nos énergies à exiger la francisation obligatoire des nouveaux Québécois, le retrait de l'anglais intensif imposé, de même que nous opposer au bilinguisme institutionnel.

C'est là, entre autres, que la bataille linguistique et culturelle se joue. Plus encore, nous sommes d'avis que la survie de notre langue et de notre culture devra passer par l'indépendance du Québec, ne serait-ce que parce que la Cour Suprême nous empêche de légiférer comme nous le voulons sur notre propre territoire (la loi 101 fût énormément charcutée par différents jugements), que nous n'avons présentement aucun contrôle sur les politiques linguistiques et leur application dans la fonction publique et parapublique fédérale, alors qu'on sait que cette dernière embauche plusieurs dizaines de milliers de personnes au Québec, puis, plus simplement, que la loi sur les langues officielles est de compétence fédérale.

Pour terminer, la sociolinguiste Mela Sarkar a beau lancer à l'égard du franglais qu'il s'agit d'« un mouvement contestataire », « une manière de s'adapter », elle occulte de considérer le statut minoritaire du français dans le Canada, de même qu'elle fait fi de certaines réalités sociopolitiques et des rapports de force en présence. Son propos apparaît comme une tentative maladroite de faire passer un geste d'acculturation comme un de « survivance ». Qu'on le veuille ou non, la généralisation du franglais - dans le hip-hop québécois et ailleurs - incarne bel et bien l'un des symptômes du désintéressement de la langue française auprès des jeunes, et doit être considérée comme préoccupante.

Ce texte est cosigné par Charles Picard-Duquette, président des jeunes péquistes de l'Estrie, Olivier Lacelle, ex-candidat d'Option nationale dans Gouin, et Étienne Boudou-Laforce, ex-candidat d'Option nationale dans St-François.

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