Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Égypte: l'impasse des Frères musulmans

Les Frères musulmans ne peuvent pas comprendre pourquoi des Égyptiens, pourtant éduqués et démocrates, sont à ce point reconnaissants aux militaires qu'ils ont pourtant combattus au moment du printemps démocratique. Les Occidentaux voient dans le général Sissi un nouveau raïs ayant pris le pouvoir à l'issue d'un coup d'État. Beaucoup d'Égyptiens le perçoivent plutôt comme un homme d'État.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

La chute des Frères musulmans en Égypte est surveillée de très près par les frères musulmans Tunisiens. Elle a déjà des répercussions sur les négociations en cours à Tunis. La peur de finir jugés comme en Égypte ou contraints de nouveau à l'exil hante les dirigeants du parti Ennahda. Le gouvernement de coalition qu'il forme avec le Congrès pour la République et Ettakatol n'est plus légitime. Puisqu'il était chargé de rendre une constitution dont le délai a expiré depuis longtemps. Mais le gouvernement traîne, s'accroche, et négocie avant de rendre les clefs.

Le pari d'Ennahda

Plusieurs partis d'opposition souhaitent un gouvernement de transition, technocratique, pour organiser ces élections et garantir leur bon déroulement. Les irrégularités constatées lors de l'élection de l'Assemblée constituante, la façon dont le parti islamiste s'y connaît pour amener des votants en bus et les remercier d'avoir bien voté, laisse craindre le pire si ces élections ont lieu alors que le parti islamiste tient le ministère de l'Intérieur. Un ministère qu'ils semblent vouloir garder coûte que coûte. On ne sait toujours pas s'il va finir pas accepter le principe d'un gouvernement de transition ou s'il ne cherche qu'à gagner du temps.

Deux choses l'une. Soit il obtient des garanties, notamment en termes d'immunité, et il fera peut-être le pari de jouer le jeu. Ne serait-ce que par peur d'assumer un bilan économique catastrophique au moment de se présenter de nouveau devant les électeurs. Soit il craint davantage de perdre ses élections et il s'accrochera jusqu'au bout. Avec d'autant plus de ferveur que ses cadres pensent sincèrement avoir été élus par Dieu autant que par le peuple. L'issue est d'autant plus difficile à prévoir qu'il n'existe pas une armée comme en Égypte pour leur forcer la main. Le régime de Ben Ali a toujours été un régime policier. Des policiers qui sont d'ailleurs souvent en grève ces jours derniers pour protester contre l'assassinant de plusieurs d'entre eux par des extrémistes. Ils défient ouvertement le pouvoir, mais n'ont pas la capacité de déposer un gouvernement comme peut le faire une armée.

Le défi posé par la confrérie Égyptienne

C'est le cas en Égypte où l'on redoute le retour d'un régime autoritaire. Surtout en Europe. En Égypte, le général Sissi est toujours extrêmement populaire. Et les Frères sont toujours haïs malgré la répression qui s'abat sur eux.

Pour plusieurs raisons. Leur échec économique, malgré la perfusion de pays arabes amis. Mais peut-être plus encore parce qu'une fois au pouvoir, la confrérie a donné le sentiment d'utiliser la démocratie pour la remplacer progressivement par le système qu'elle vise depuis toujours : la théocratie. Son credo, "le Coran est notre Constitution" devenait terriblement inquiétant au moment d'écrire la Constitution de tous les Égyptiens, en cherchant par tous les moyens à fermer la possibilité d'une alternative, notamment au niveau de la liberté d'expression et de conscience. En pratiquant une stratégie qui est la sienne depuis ses débuts en 1928. Afficher une vitrine légale, tout en cherchant à infiltrer des secteurs entiers de la société (scolaire, médical, fonction publique, magistrats). Des fonctionnaires qui obéiront au doigt et à l'œil à la confrérie avant d'obéir à la loi commune, sans l'assumer. Puisque le principe des Frères, longtemps persécutés, est de masquer cette allégeance. Le fait d'être reconnu enfin comme un parti politique officiel et non plus comme mouvement social a fait tomber les masques. Même élu par le peuple, le président Morsi n'était pas le décisionnaire ni le véritable responsable, puisqu'il rendait des comptes à son supérieur, le chef d'une confrérie qui n'a jamais été élu par le peuple Égyptien.

Débarrassés de l'autoritarisme, certains Égyptiens ont enfin pu exprimer leur malaise face à l'instrumentalisation de l'Islam à des fins politiques de ce mouvement, leur inquiétude face au développement de cet État dans l'État, chez qui la démocratie n'est à l'évidence qu'une étape.

Qui ne comprend pas ce contexte Égyptien et la spécificité de la confrérie des Frères musulmans ne peut pas comprendre pourquoi des Égyptiens, pourtant éduqués et démocrates, sont à ce point reconnaissants aux militaires qu'ils ont pourtant combattus au moment du printemps démocratique. Les Occidentaux voient dans le général Sissi un nouveau raïs ayant pris le pouvoir à l'issue d'un coup d'État. Beaucoup d'Égyptiens le perçoivent plutôt comme un homme d'État, à qui ils ont confié la tâche ingrate de défaire le spectre des Frères musulmans, lever l'hypothèque théocratique, et remettre l'économie en marche, pour mieux organiser de nouvelles élections d'ici un an. Quitte à fermer les yeux sur des méthodes autoritaires.

Autoritarisme vs théocratie

C'est tout le cercle infernal dans lequel se débat le monde arabe depuis maintenant des décennies. Comment résister à des théocrates sans renoncer à la démocratie ni céder aux sirènes d'autocrates, qui agiteront le risque de menace terroriste pour confisquer tous les pouvoirs ? Ce fut le dilemme terrible qui déchira les Algériens dans les années 90, quand le Front islamique du salut remporta les élections sans cacher vouloir instaurer un régime théocratique qui se passerait bientôt du consentement du peuple. Ce fût le cas sous Nasser lorsque le Guide de la confrérie des Frères musulmans exigea qu'on applique la loi religieuse, notamment le port du voile obligatoire à toutes les égyptiennes. À l'époque, Nasser en avait plaisanté et fait tordre de rire la bonne société Égyptienne. Mais il perdit le sens de l'humour après une tentative d'attentat qui le décida à déclencher une répression terrible. Elle hante encore la confrérie et a considérablement permis de justifier leur basculement dans l'action terroriste. La plupart des cadres théorisant le recours au jihad contre les dirigeants arabes, comme Sayyid Qutb, dont s'inspire Al Qaïda, sont des anciens cadres des Frères musulmans radicalisés dans les prisons de Nasser. Même si la dynamique qui a porté les Frères jusqu'ici est bel et bien en train de s'éteindre, le risque d'une nouvelle phase terroriste existe. Les images des quatorze dirigeants en prison lors du procès ajournée de Mohamed Morsi en rappellent d'autres. Celles des cadres des Frères emprisonnés par Nasser, parfois pour de bonnes raisons, mais parfois aussi en dehors d'un cadre vraiment légal. Au risque de choquer ceux qui ne veulent pas la théocratie mais pas non plus la "militacratie". L'état de transition ne doit pas servir à renier les principes fondamentaux de la démocratie, ni à museler la liberté d'expression.

Le fait qu'un humoriste ayant moqué les islamistes au pouvoir comme Bassem Youssef perde son émission satyrique sous le général Sissi, après s'être moqué de la "Sissimania", est un mauvais signal. Même si l'arrêt de cette émission ne vient pas des militaires, mais visiblement plutôt des milieux d'affaires possédant la chaîne de télévision où elle était diffusée.

Qui a raison ?

Il faudra encore attendre pour savoir qui avait raison. Ceux qui pensent que l'État profond, militaire, de l'Égypte n'attendait qu'un faux pas des islamistes pour reprendre la situation en mains. Et ceux qui pensent que l'armée va rendre les clefs au peuple après avoir joué un rôle historique comme au moment du départ de Moubarak.

Ce jour-là, ni militaires ni des théocrates ne devraient concourir à l'élection. Il ne suffit pas de vouloir gagner le pouvoir par les urnes pour être un bon démocrate.

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Mohammed Naguib (1953-1954)

Les présidents égyptiens

Retrouvez les articles du HuffPost sur notre page Facebook.
Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.