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Je suis gai, elle est hétéro. Nous avons décidé d’avoir un enfant ensemble, et voici notre histoire

Nous faisions pour de vrai ce que tant d’autres gays et leurs amies d'université hétéros s’étaient promis de faire.
David Arrick, Nate and Heidi at Nate's karate class exposition in New York City in 2017.
Courtesy of David Arrick
David Arrick, Nate and Heidi at Nate's karate class exposition in New York City in 2017.

A 11 ans, j'ai découvert que mon père était gay. En dépit du choc, j'ai été soulagé d'apprendre que mes parents avaient divorcés en raison de son orientation sexuelle, et pas qu'il avait quitté ma mère pour fonder une nouvelle famille qu'il aimait davantage. Mais je me sentais quand même déboussolé. C'était en 1978, les médias ne donnaient jamais d'image positive des homosexuels et je n'avais absolument aucune idée de ce qu'avoir un père gay allait signifier pour moi.

Et puis, alors que je commençais tout juste à accepter son orientation sexuelle, je me suis mis à m'interroger sur la mienne et, à l'âge de 16 ans, j'ai moi aussi fait mon coming-out. Malgré tout ce que mon père et moi avions traversé, je me suis dit que j'avais de la chance. Non seulement j'avais un modèle à suivre dans ma propre famille mais, grâce à mon père, j'avais appris quelque chose que beaucoup de jeunes homos ignoraient: être gay n'empêchait pas d'avoir des enfants.

Cette idée ne m'a jamais quitté et quand, 25 ans après mon coming-out, ma copine d'université, Heidi, a suggéré de faire un enfant ensemble, je n'ai pas ressenti l'appréhension de certains homosexuels quand on aborde le sujet. Heidi était comme une sœur pour moi. A nos yeux, avoir un enfant était l'aboutissement logique de notre profonde amitié. Nous étions célibataires, nos familles se connaissaient et s'appréciaient, et nous passions souvent nos vacances ensemble. Nous avions le même humour, des tas de points communs et un intense désir de devenir parents. Depuis des années, nos conversations étaient émaillées de commentaires du genre "Si on est tous les deux encore célibataires à..." ou "Tu crois qu'on pourrait élever un enfant ensemble?" et lorsque nous avons commencé à en parler sérieusement, nous avons eu du mal à trouver une raison de ne pas le faire. Ça nous semblait complètement naturel.

Quand nous avons décidé de mettre notre plan à exécution, en 2010, la représentation des familles non-traditionnelles dans les médias avait beaucoup progressé. Dans Sex and the City, Miranda et Carrie parlaient de leur horloge biologique et de "l'âge critique" où elles s'apercevraient qu'il était trop tard pour avoir un bébé. Will & Grace et Modern Family mettaient en lumière la vie des gays d'aujourd'hui tout en redéfinissant la famille. Même si on n'y voyait toujours pas de papa gay et maman hétéro qui élèvent un enfant ensemble, il y avait dorénavant mille façons d'être parents, et Heidi et moi étions déterminés à concrétiser notre propre version de la famille moderne.

David and Nate in New York City's Central Park in 2011.
Courtesy of David Arrick
David and Nate in New York City's Central Park in 2011.

En terre inconnue, nous irions de l'avant, guidés par notre seul instinct. Mais n'est-ce pas ce que font tous les futurs parents? Il n'y avait pas de livres sur Amazon intitulés Papa gay, maman hétéro ou Quand votre meilleur ami gay devient le père de votre enfant, et énormément de problèmes à régler, sur le plan légal comme financier. Mais, pour nous, tout ceci n'était qu'un détail. J'avais le sentiment qu'Heidi et moi partions avec un net avantage, et je me souviens de m'être dit: "Est-ce que nous ne sommes pas mieux préparés que beaucoup de gens qui font un enfant ensemble sans avoir déjà vingt ans d'amitié derrière eux?". Notre cœur nous disait que nous avions pris la bonne décision et, dans notre esprit, nous nous considérions déjà comme un papa et une maman. Alors, en cachette de notre famille et de nos amis, nous nous sommes mis à essayer de concevoir.

L'idée de coucher ensemble nous paraissait risible, alors nous avons opté pour l'insémination à la maison, sans aucune intervention médicale. Heidi est infirmière. Elle avait donc les connaissances nécessaires et elle a pu se procurer les récipients stériles, les seringues et tout le matériel susceptible de contribuer à la réussite de notre projet. Nous avons convenu que si Heidi ne tombait pas enceinte dans les trois mois, nous irions consulter un spécialiste de la fertilité pour savoir si nous étions chacun de notre côté capables de procréer. Si mes valseuses avaient empêché Heidi de tomber enceinte, j'aurais été très déçu, bien sûr, mais je me serais incliné sans rancune, en lui souhaitant d'y arriver, même si c'était sans moi.

Nous avons rendu le processus d'insémination aussi joyeux que possible, car même si, en cas de succès, ce que nous étions en train de faire était sur le point de changer le cours de notre vie, c'était assez comique de nous en charger nous-mêmes. Nous faisions pour de vrai ce que tant d'autres gays et leurs copines d'université hétéros s'étaient promis de faire, et l'écho distant de leurs voix ("Si je ne suis pas marié(e) à 40 ans...", "Tu es mon meilleur ami gay. Ce serait cool d'avoir un bébé ensemble!") résonnait dans nos têtes.

Nous faisions pour de vrai ce que tant d'autres gays et leurs amies d'université hétéros s'étaient promis de faire.

Pour nos soirées insémination, pas de lumière tamisée, de verres de chardonnay ni de chansons de Barry White en fond sonore: une fois le processus terminé, nous nous racontions des blagues. Heidi restait allongée sur son lit, les hanches surélevées, dans la position la plus propice à la fécondation. Nous écoutions Led Zeppelin (Heidi chante dans un groupe de reprises de Led Zep) et regardions des redifs de Seinfeld en dégustant les plats de notre traiteur chinois préféré. A la troisième tentative, Heidi est tombée enceinte. Pour nous, les raviolis à la vapeur, Stairway to Heaven et les aventures de Jerry, Elaine, George et Kramer sont un tiercé gagnant.

Pendant toute la grossesse, je n'arrivais pas à me dire que le bébé que je voyais sur les échographies était mon enfant. J'étais émerveillé que l'insémination à domicile ait marché. Nous avons convenu qu'Heidi en aurait la garde pendant la semaine, qu'il viendrait chez moi le week-end, que nous partagerions tous les frais et que nous passerions chaque semaine une journée en famille tous les trois

En septembre 2010, notre fils, Nathaniel Chase, est né. Nous n'avions suivi aucun cours d'accouchement sans douleur, car il est arrivé plus tôt que prévu, mais Heidi était une vraie championne, parfaitement en phase avec elle-même et ce que son corps était naturellement capable de faire. Je suis resté avec elle tout le temps, à l'encourager et à lui tenir le genou quand elle en avait besoin, mais je me dépêchais de bouger mes fesses de futur papa quand l'infirmière me criait de me pousser. Après la naissance, nous nous sommes faits un petit moment C'est l'histoire de la vie (façon Le Roi Lion) pour l'accueillir et nous avons mangé chinois dans la chambre d'hôpital.

David with Nate and Heidi in the Bahamas in 2015.
Courtesy of David Arrick
David with Nate and Heidi in the Bahamas in 2015.

Peu à peu, je me suis rendu compte que notre situation n'était pas si différente de celles des gens qui devenaient parents de façon plus "traditionnelle". Notre histoire a attiré l'attention des médias et nous sommes passés sur NBC, CNN et d'autres chaînes pour montrer que nous étions une famille alternative fière de son parcours. Nous nous considérions (et nous considérons toujours) comme un papa et une maman, tout simplement. Nous sommes là pour guider, éduquer, aimer et élever notre enfant, comme des millions d'autres personnes le font chaque jour. Mon orientation sexuelle et le choix d'Heidi de devenir mère célibataire n'ont aucune incidence là-dessus, et même si ces facteurs ont pu jouer un rôle dans la façon dont nous sommes arrivés là où nous en sommes ils ne nous définissent pas en tant que parents.

Etre un papa gay est une expérience... intéressante. En plus de vivre ce que vivent tous les nouveaux pères, je me retrouve souvent dans des situations auxquelles les autres n'ont pas forcément à faire face. En 2012, au Starbucks, une grand-mère bien intentionnée s'est approchée de moi et m'a demandé ce que des tas de gens me demandaient depuis deux ans quand ils me voyaient seul avec Nate: "Maman se repose aujourd'hui? C'est vous qui gardez le petit?" Malheureusement pour elle, elle avait choisi le mauvais gars et le mauvais jour pour poser cette question et je lui ai répondu ce que je mourrais d'envie de répondre à chaque fois. "Je suis gay", lui ai-je dit. "Comment pouvez-vous savoir si l'autre parent de mon fils est une femme, ou s'il a une maman?" La dame est devenue plus blanche que la mousse de son latte.

Ce n'est pas entièrement sa faute si elle a tout de suite pensé au schéma familial traditionnel en voyant un homme avec un bébé. Pour quelqu'un de sa génération, ça n'a rien d'étonnant. Mais j'avoue que ça m'a fait du bien de lui répondre ça. Pour être honnête, j'ai aussi un problème avec l'idée qu'un homme seul avec un bébé est forcément vu comme le baby-sitter ou celui qui remplace temporairement la maman quand elle n'est pas disponible. Les hommes sont des parents à part entière, pas les baby-sitters de leurs propres enfants.

Mon orientation sexuelle et le choix d'Heidi de devenir mère célibataire (...) ne nous définissent pas en tant que parents.

Une autre fois, je discutais par sms avec un ami gay, qui m'a dit qu'il était en route pour un plan à trois. "Tu vois ce que tu loupes en restant coincé chez toi un samedi soir à t'occuper de ton môme?" écrivait-il. "Tu crois que tu pourras recommencer à sortir un jour? "

Même avant la naissance de mon fils, les plans à trois ne m'ont jamais branché, mais là n'était pas la question. Ce n'était pas à moi de le convaincre que j'étais heureux et qu'il n'y avait nulle part où j'aurais préféré être un samedi soir plutôt qu'à la maison en train de lire Bonsoir Lune au petit bonhomme que j'aimais le plus au monde.

Ma famille est tout pour moi, et je sais que j'ai de la chance d'avoir vécu ça grâce à ceux que j'aime. J'éprouve surtout beaucoup de gratitude envers Heidi pour la façon dont notre relation s'est transformée quand nous sommes devenus parents: nous sommes passés du statut de meilleurs amis à quelque chose d'encore plus profond et riche, alimenté par une confiance et un respect mutuels renforcés. Nous consacrons tous nos efforts à éduquer Nate de façon cohérente dans nos deux foyers, nous communiquons au quotidien et nous faisons de notre mieux pour être toujours sur la même longueur d'onde. Tout le monde ne nous soutient pas, et nous avons dû faire face à de nombreux défis (y compris des commentaires misogynes et homophobes écœurants), mais nous nous y attendions plus ou moins, et nous avons appris à ignorer ces bruits malveillants pour nous concentrer sur l'essentiel: élever Nate et donner un exemple positif de ce que peut être une famille aimante et moderne.

Ce blogue, publié à l'origine sur le HuffPost américain, a été traduit par Iris Le Guinio pour Fast For Word.

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