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Philippe Couillard, la privatisation d'Hydro-Québec et la publicité des débats

Qui a dit que les élections générales étaient un espace de débat public où les chefs de parti politique, en faisant connaître leurs intentions, cherchaient à attirer le vote d'un plus grand nombre d'électeurs possible?
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Agence QMI

Qui a dit que les élections générales étaient un espace de débat public où les chefs de parti politique, en faisant connaître leurs intentions, cherchaient à attirer le vote d'un plus grand nombre d'électeurs possible?

Je pose la question, car il me semble que c'est assez faux.

Une campagne électorale est un moment de pur marketing politique, donc du chef, orchestré par des conseillers en communication qui vendent une image, une marque de commerce (du chef, du parti). On est de pleins pieds dans la politique (la lutte pour le pouvoir politique et les techniques de manipulation) et le politique y a peu à voir (les questionnements sur les finalités d'une communauté et d'une gouverne politiques, sur les notions de justice, d'égalité, de liberté, d'identité).

Les libéraux québécois sont passés maîtres dans cet art de la séduction publique, pour mieux cacher une orientation politique qui les confinerait aux banquettes d'opposition, mais qu'une fois au pouvoir, ils peuvent mettre de l'avant.

Je pense à Jean Charest qui fit campagne en 2003 sans jamais parler de réingénierie de l'État et en tenant un discours qui le mettait quasiment à gauche de Bernard Landry en parlant de préserver les acquis de l'État du Québec moderne. Une fois au pouvoir, Charest nous a sorti sa réingénierie, ses partenariats publics-privés. Un slogan de l'époque résume bien le sentiment de la population : « On n'a pas voté pour ça! »

Les péquistes ne sont pas en reste : Pauline Marois est devenue première ministre sans jamais parler d'austérité budgétaire et avec un programme politique à la gauche du spectre politique (hausse d'impôts des plus riches, abolition de la taxe santé, etc.).

Je pense aussi à Philippe Couillard et son entourage de médecins favorables au privé tous azimuts, sans mentionner le retour en force des néolibéraux Luc Godbout et Claude Montmarquette (du groupe CIRANO) qui sauront produire des « études » (lire ici de la propagande) favorable à une politique d'austérité budgétaire et de privatisation. On attend encore une sortie publique de Claude Castonguay (aussi membre de CIRANO) pour nous vanter les mérites d'un système de santé à deux vitesses, voire à une seule vitesse, celle du privé.

Couillard a su faire campagne sans jamais parler d'une privatisation, partielle ou totale, de la Société des alcools du Québec ou d'Hydro-Québec. Ces deux entreprises publiques fournissent chaque année d'importantes ressources à l'État québécois et assurent la stabilité de la cote de crédit du Québec auprès des agences de notations, par l'importance de leurs actifs. De plus, la construction de l'État du Québec moderne et la promotion sociale des francophones est liée en grande partie à la nationalisation de l'hydro-électricité par le ministre libéral René Lévesque sous le gouvernement de Jean Lesage. Enfin, au plan identitaire, Hydro-Québec est liée à une certaine idée du Québec et participe du récit collectif qu'on appelle la Révolution tranquille.

La sortie de Montmarquette et Godbout pour présenter leur «rapport» (fichier .pdf) constitue donc un premier ballon d'essai pour le gouvernement libéral. Il contribue aussi à préparer les esprits, peu à peu, à accepter ce qui est présenté comme inévitable, nécessaire.

Ces idées de privatisation de la SAQ et d'Hydro-Québec étaient aussi dans les plans du deuxième gouvernement libéral de Robert Bourassa (1985-1994) qui avait pris le pouvoir entouré de néolibéraux forcenés appelant à défaire l'État du Québec à la hache. Bourassa, en tant que contributeur à la construction de l'État du Québec durant son premier gouvernement (1970-1976), a rapidement calmé les ardeurs de ses troupes dont plusieurs, déçus, démissionnèrent.

Mais, Couillard, le canadianiste néolibéral dans la continuité de Charest, n'est pas Bourassa, le fédéraliste nationaliste et centriste. Par canadianiste, je fais référence au concept élaboré par l'historien Michel Brunet qui renvoie à une adhésion sans partage d'une identité nationale pancanadienne s'appuyant sur un État fédéral centralisé, en tant qu'État national. Par fédéraliste, m'inspirant des publications d'André Brunelle, j'entends une vision du Canada comme une véritable fédération où existent des ordres de gouvernement (provincial et fédéral) égaux et autonomes dans leurs champs de compétence, j'entends aussi un croisement d'appartenance (provincial et fédéral) dont aucune ne s'impose aux autres.

Il faut donc à mon avis s'inquiéter, car Couillard, plus à droite, ne me semble pas animé de la même modération que Bourassa et il ne perçoit pas son rôle comme le promoteur du fait français au Québec. Ne disait-il pas que les ouvriers sur une ligne de montage devaient parler anglais, au cas où un riche client ou actionnaire de l'entreprise, passant pas là, lui adressait la parole. À un certaine époque, on appelait cela « Speak white », c'est-à-dire que parler l'anglais était synonyme de parler le langage de la modernité libérale, et parler français signifiait un repli ethnique sur soi et sur sa condition féodale.

De plus, le Parti libéral du Québec a été, avant l'ère Charest, une formation divisée entre deux forces constituées d'un côté d'une aile affairiste et canadianiste et de l'autre d'une aile sociale-démocrate et nationaliste modérée. Par contre, aujourd'hui, l'aile affairiste a su s'imposer et l'aile sociale-démocrate est soit inexistante, soit étouffée par les élus affairistes.

Si les élections générales doivent permettre à la population de choisir qui formera le prochain gouvernement en soupesant les différents projets politiques que propose chaque parti politique, on peut dire qu'à chaque fois les Québécois se font berner, car on cherche à tout prix à leur parler le langage de la politique (du marketing politique visant à prendre le pouvoir) et à éviter de s'engager sur le terrain du politique (des grands débats de société, notamment de la place respective du privé et du public dans l'économie).

Si les chefs de parti comme Philippe Couillard et leur entourage proche ne disent pas franchement ce qu'ils comptent faire une fois au pouvoir, c'est le fonctionnement même du régime représentatif qui est miné, et c'est sans parler du mépris dans lequel on tient l'électorat. De plus, ce sont deux des fondements mêmes du régime politique libéral qui sont mis de côté : la publicité des débats et la circulation libre des idées et de l'information. C'est dire que les décisions qui comptent se prendront sans l'aval du peuple qui se retrouve, chaque fois, devant un fait accompli. Il faudrait donc trouver un autre nom pour décrire notre régime politique que celui de démocratie libérale. Pourquoi pas celui d'oligarchie libérale tel que proposé par le philosophe Cornelius Castoriadis?

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