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La destruction de la monnaie

La Grèce a le choix de procéder à une saignée à l'ancienne ou de se confier à la coopération de la zone euro. Dans tous les cas, la destruction de la monnaie, si elle n'est pas interrompue, détruira la société.
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Le refus de prêter est la marque principale (on a envie de dire «de fabrique») de la déflation. Or, nous sommes actuellement dans un univers où les organismes de crédit, contestés dans leurs prises de risques antérieures, affectés par des pertes sur crédits et menacés par les régulateurs au nom des ratios de fonds propres, sont enclins à réduire leurs portefeuilles de crédit et, par conséquent, leur offre de nouveaux crédits. S'y ajoutent, les situations de type «grec» quand un pays surendetté ne présente plus, aux yeux des prêteurs, de suffisantes garanties de sécurité.

Multiplicateur et décélérateur de crédit

Le multiplicateur de crédit est exogène au système bancaire, il est la conséquence de la montée en force du multiplicateur d'investissement. Les crédits produits par le système bancaire créent des dépôts pour autant qu'il n'y ait pas de «fuites» dans le système.

D'où viennent que les crédits se multiplient? Du multiplicateur d'investissement! La multiplication des investissements ne conduit pas à une génération spontanée de nouveaux investissements sur le terreau d'une économie enfin fertilisée. Il y faut du crédit: les entreprises qui répondent à la sollicitation de la demande induite par l'augmentation des investissements se reportent donc vers le système bancaire pour qu'il augmente son offre de crédit.

À l'inverse existe-t-il un «décélérateur» de crédit? On devra éviter l'idée qu'il puisse exister un «diviseur» du crédit qui serait un inverse logique (d'une étrange logique) du multiplicateur! Pour que se manifeste un décélérateur, il faut admettre un cas particulier: la trappe à liquidité s'ouvre en grand. Il s'ensuit que l'effet «multiplicateur» des investissements est compensé, et au-delà, par le détournement de l'épargne et sa stérilisation. Le processus s'appuie bien sur la «raison suffisante» de la création monétaire, sauf que l'inversion du sens d'un de ses éléments conduit à un blocage pur et simple de son jeu et des effets qui en dérivaient.

Il faut ajouter, toujours sur un plan conceptuel, que le multiplicateur impliquait la durée (le temps dans la théorie keynésienne est un acteur déterminant du fonctionnement des mécanismes économiques) produisant ses effets par étapes successives et cumulatives. La trappe à liquidité, quant à elle, fonctionne en une seule fois, ou au mieux, dans des délais bien plus courts: l'épargne «thésaurisée» (ou «fuitée») bloque le mécanisme multiplicateur comme si le temps s'était arrêté.

Pas de crédits, pas de monnaie?

Les effets sur le long terme sont maintenant bien connus: les liquidités en excès partent vers d'autres horizons (dans d'autres devises, par exemple). Les intermédiaires financiers n'équilibrent plus leurs comptes (de bilan) et disparaissent les uns après les autres. Il faut un peu de temps, mais le résultat sur la longue durée, c'est que la monnaie finit par disparaître.

Revenons sur les manifestations qui annoncent la fin dramatique du drame. Le «cas grec» est clair. On sait que la BCE, malgré tous les mauvais sentiments des Grecs à son égard et malgré les critiques qui lui ont été adressées par les autres membres de la zone euro, a fourni et continue à fournir des subsides aux banques grecques.

Motif: leur liquidité s'est réduite comme peau de chagrin. Pour protéger leur liquidité, les banques grecques ne prêtent plus et, au surplus, sont prises dans un vrai «corner» tel qu'on n'en trouve que dans l'univers bancaire: la monnaie scripturale ou bien s'évapore sous la forme de conversion en monnaie fiduciaire (en billets de banque euros émis sous la responsabilité de la BCE), ou bien les capitaux grecs vont se réfugier sous d'autres horizons, dans des banques allemandes par exemple, (plus de 100 milliards d'euros, dit-on) qui se trouvent alors créancières des banques grecques, ce dont elles ne veulent absolument pas.

C'est la deuxième cause du recours à la BCE. La fin de ce soutien signifierait, faute d'autres sources de crédit, la fin des banques grecques. Et par voie de conséquence la fin de la participation de la Grèce à la zone euro.

La fin de la monnaie

Il n'y a pas de diviseur de crédit, inverse du multiplicateur car l'économie n'y a pas dans l'économie de mécanismes de type «boîte de vitesse», avec une marche avant qui aurait un inverse absolu, la marche arrière.

Le déflateur, c'est la mise en rade du multiplicateur lequel ne fonctionne plus, faute de matière première: le crédit. La contraction des crédits prend la forme d'un excès des remboursements de crédits sur l'octroi de nouveaux crédits. Ce «déficit» en crédits contribue à réduire les dépôts, c'est-à-dire la masse monétaire, ses effets sont amplifiés par le biais d'un «déflateur de crédit» dont la force dérive de la puissance du climat «déflationniste» (économique, social, politique) dans lequel on se place de toute évidence. C'est ainsi que s'illustre cette autre proposition: «la réduction des crédits entraîne la réduction des dépôts, donc de la monnaie».

À ce compte, la monnaie finit par disparaître et les passifs perdent tous sous-jacents. Dans les temps anciens, le pays victime de ce genre de situation avait de fortes chances d'être préempté par un créancier voisin! Dans les temps modernes, si un pays n'accepte pas la réalité que dénonce le déflateur, son risque consiste à battre des records d'inflation. L'exemple des pays d'Amérique latine est là pour montrer que ce n'est pas une vaine menace.

Dans le cas de la Grèce, trois voies sont maintenant ouvertes

La pire serait celle de l'exil monétaire qui conduirait directement soit à une inflation dans l'esprit du Zimbabwe, soit à une oligarchisation de l'économie et de la société grecques.

Deuxième voie, la plus délicate: procéder, dans un pied de nez à Keynes, à l'euthanasie des créanciers. La Grèce est surendettée, tout le monde le sait. Elle l'est depuis longtemps, ce que les bons conseillers de la zone euro ont fait semblant de découvrir récemment. Les banquiers qui ont trop prêté sont complices de l'endettement. Il serait de bonne guerre que de proclamer: «Trop de dettes devraient tuer la dette plutôt que l'endetté». Le retour à une liquidité exemplaire inverserait le «déflateur de crédit» et renverserait les anticipations des investisseurs. La monnaie retrouverait son statut antérieur, les dépôts seraient rapatriés, etc.

Troisième voie, l'Allemande. En Allemagne, après la fin de la Seconde Guerre mondiale, la réforme monétaire du «docteur Erhard» a consisté à créer une nouvelle monnaie. Une mesure «symbole» fut que chaque Allemand recevrait 40 deutsche marks payables en main propre, et 20 DM sur son compte. Evidemment, on résume abusivement!

Les situations monétaires dramatiques n'existent pas par elles-mêmes: elles sont la conséquence directe d'une situation dramatique, sociale, économique, politique, voire culturelle. La Grèce a devant elle le choix de procéder à une saignée à l'ancienne dans le grand style des médecins de Molière ou, au contraire de se confier à la coopération des membres de la zone euro. Dans tous les cas, la destruction de la monnaie, si elle n'est pas interrompue, détruira la société.

Pascal Ordonneau, Le retour de l'Empire Allemand ou le Modèle Imaginaire, chez JFE éditions.

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