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Guerre en Irak: «Éviter un choc des civilisations»

Ce ne sont pas seulement dix ans qui séparent l'intervention en Irak de 2003 et aujourd'hui, mais deux mondes.Le monde d'aujourd'hui est tout à fait différent, d'abord parce que l'Amérique de Barack Obama semble n'avoir que très peu à voir avec celle de l'administration Bush. Le monde est aussi très différent aujourd'hui, quand on regarde la France qui mène actuellement une coalition africaine au Mali pour combattre des groupes terroristes jihadistes liés à Al-Quaida, avec le soutien du Conseil de sécurité et des États-Unis.
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AFP

Ce ne sont pas seulement dix ans qui séparent l'intervention en Irak de 2003 et aujourd'hui, mais deux mondes.

Le monde d'aujourd'hui est tout à fait différent, d'abord parce que l'Amérique de Barack Obama semble n'avoir que très peu à voir avec celle de l'administration Bush.

Le monde est aussi très différent aujourd'hui, quand on regarde la France qui mène actuellement une coalition africaine au Mali pour combattre des groupes terroristes jihadistes liés à Al-Quaida, avec le soutien du Conseil de Sécurité et des États-Unis.

C'est aussi un monde complètement différent, où le Printemps arabe prouve que les peuples arabes ont envie de devenir les acteurs de leur propre histoire, mais sont touchés par de terribles contradictions, lesquelles conduisent paradoxalement à un renforcement sans précédent des mouvements islamistes.

Enfin, c'est un monde différent, car avec la montée en puissance de la Chine, de la Russie, de l'Amérique latine, les pays occidentaux ne sont plus les seuls à déterminer ce qui est juste ou injuste.

Et ce nouveau monde a été profondément marqué par les choix des années 2002 et 2003, après le choc du 11 septembre, et plus particulièrement par les débats concernant l'intervention en Irak, qui avaient alors agité le Conseil de Sécurité. En tant que ministre des Affaires étrangères en France sous la présidence de Jacques Chirac, je n'ai toujours eu qu'un seul objectif en tête, qui était pour moi l'essence du message et de l'expérience de mon pays: combattre sans relâche la violence terroriste, sans permettre pour autant la survenue d'un choc des civilisations, tout simplement parce que notre passé nous a enseigné que c'était là exactement le but du terrorisme. Il vous faut gagner en même temps le combat et la paix.

L'IRAK EN PHOTOS, 10 ANS APRÈS

Le billet de Dominique de Villepin se poursuit après la galerie

Iraq, 10 Years On

En premier lieu, combattre les terroristes signifiait comprendre la véritable nature de cette nouvelle menace terroriste, résultant des évolutions de l'histoire, ce afin d'y trouver la parade la plus adéquate.

Cette menace était le résultat de la faiblesse de tout le Moyen-Orient. Les terroristes se présentaient eux-mêmes comme les faibles dans une lutte contre les forts, les vengeurs isolés d'une population arabe victimisée. Cette faiblesse était leur légitimité et prétendre être en guerre constante avec eux ne pouvait que renforcer leur force politique. C'est pourquoi nous avons toujours mis en garde contre la fausse idée d'une "guerre contre le terrorisme". Le contre-terrorisme n'est pas une contre-insurrection, c'est toute la leçon qu'a retenue la France de la guerre d'Algérie entre 1954 et 1962. C'est pourquoi nous avons plaidé pour des initiatives significatives en faveur d'une coopération internationale des polices et services de renseignements contre les organisations criminelles après 2001, et que nous avons nous-mêmes mis en place une coopération exemplaire du renseignement avec nos Alliés, reconnue par le gouvernement américain.

C'est aussi un résultat dérivé de la globalisation. Pas dans son idéologie, mais dans ses outils. Les terroristes s'appuyaient sur un réseau financier occulte et sophistiqué de paradis fiscaux, aussi bien que sur des communications modernes mondiales, satellites et Internet. C'est pourquoi nous avons insisté sur la nécessité de prendre des mesures à l'échelle multilatérale, en réglementant la finance et les communications mondiales, des mesures qui représentaient les points clés de la réunion du Conseil de Sécurité réclamée par la France en janvier 2003.

Mais en second lieu, combattre le terrorisme signifiait aussi éviter un choc des civilisations, qui constituait un haut risque dans un monde profondément divisé. La naissance de nouvelles puissances avait conduit à des haussements de ton, venant en particulier de la Chine et de la Russie. Avec un Occident déclinant, mais convaincu de son bon droit, nous étions condamnés à faire éclater la communauté internationale, l'Occident contre le reste du monde. C'était le point-clé concernant l'Irak, particulièrement au regard de la position de la Russie, ainsi que de celle de la Chine, qui nécessitait d'être entendue et qui aurait pu mener à un compromis. C'est ce que nous avons essayé de toutes nos forces d'accomplir avec les Allemands, Gerhard Schroeder et Joschka Fischer, et avec les Russes, Vladimir Poutine et Igor Ivanov.

LES RÉACTIONS DES LEADERS POLITIQUES CANADIENS (en anglais)

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Former prime minister Jean Chretien

What Leaders Said About Iraq In 2003

En effet, il nous semblait terriblement dangereux en 2002-2003 de compromettre l'action mondiale contre les terroristes en affaiblissant le Conseil de Sécurité des Nations Unies. L'essentiel de mon combat consistait à préserver la légitimité et l'unité des Nations Unies. La résolution 1441 restait à nos yeux le cadre légal approprié pour forcer l'Irak de Sadam à plus de coopération s'agissant des armes de destruction massive. Elle aurait pu devenir la base d'un consensus international avec un calendrier cohérent et des actions concrètes, les inspections de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). C'est fort de cette conviction qu'en février 2003, au nom de la France et après bien des efforts pour trouver des solutions alternatives et des compromis, j'ai mis en garde contre une plus grande mise en danger de la légitimité des Nations Unies. Plus tard, le président Chirac a déclaré qu'il était prêt à utiliser le droit de veto de la France au Conseil de Sécurité si une seconde résolution ne garantissant pas l'unité devait être proposée, ce qui ne s'est finalement jamais produit.

Oui, c'était un choix difficile à faire, mais je reste convaincu que cela n'a pas été un combat perdu. Certes, la guerre a eu lieu, mais avec ce choix, nous avons contribué à préserver la construction légale mise en place par nos ancêtres au milieu et à la fin de la Seconde Guerre mondiale. En construisant des ponts vers d'autres mondes, plus de possibilités ont été ouvertes pour le futur, et en particulier pour l'influence et le pouvoir des pays occidentaux mis au défi. Plus encore, quelque chose d'imprévu a émergé de ce débat difficile, l'éveil mondial des opinions publiques à une forme de responsabilité commune.

Aujourd'hui, nous devons continuer à travailler dans le sens d'une action commune dans ce nouveau monde. Cela signifie nous interroger sur cette longue guerre qui a commencé en 2001 en Afghanistan, qui a non seulement été une réponse à une menace directe, mais aussi l'expression de la fascination occidentale pour la guerre et le pouvoir. Les batailles ont peut-être toutes été remportées en termes militaires, mais la guerre reste perdue en termes politiques. Parce que pour l'Occident, il semble toujours n'exister aucun autre pouvoir, aucune autre légitimité que la force, au moment même où cette force semble condamnée à s'affaiblir. Permettez-moi de vous présenter trois défis représentatifs.

La guerre des drones met au défi notre appréhension d'une lutte juste. Il est normal de vouloir protéger les précieuses vies de nos soldats, mais quelles sont les conséquences de cette guerre déshumanisée? Elle nous conduit droit vers un modèle de guerre de faible intensité, mais permanente, dans lequel certaines nations technologiquement avancées pourraient intervenir où elles le souhaitent.

Deuxième défi, la place des médias dans ces guerres nous rend dépendants d'une mise en récit de la réalité qui bénéficie aux médias et aux hommes politiques, mais qui simplifie à outrance la réalité et nous rend aveugles aux conséquences à long terme. Nous sommes conduits à agir collectivement dans un présent permanent, faisant et défaisant avec le même volontarisme inutile. Nous sommes ainsi condamnés à l'échec.

Troisième défi: en intervenant trop souvent directement, nous mettons en péril le concept même de l'intervention humanitaire en la soumettant au devoir de protection. Si nous voulons préserver l'action humanitaire dans le futur, nous avons besoin de définir de façon plus claire la limite entre action humanitaire et interventionnisme politique conduisant à un changement de régime.

Il est temps de concevoir une autre forme de pouvoir pour notre action future. Il est temps d'inventer une nouvelle responsabilité. Le terrible sort de la Syrie aujourd'hui sonne comme un appel à agir. Nous devons nous extraire de cette impasse entre usage systématique de la force et impuissance. Agissons maintenant. Dans ce but, comme hier, nous avons besoin d'initiative, nous avons besoin de légitimité pour notre action commune, et nous avons besoin de reconstruire l'unité de notre communauté internationale.

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