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Jacques Grand'Maison, ou de la difficulté d'être prêtre au 21e siècle

Jacques Grand'Maison vient de nous quitter pour ce qu'il croyait profondément être un monde meilleur. Il était un homme bon, aimé et respecté de tous.
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Jacques Grand'Maison vient de nous quitter pour ce qu'il croyait profondément être un monde meilleur, «prêt à rencontrer son créateur», comme il me l'a affirmé récemment. Il était un homme bon, aimé et respecté de tous.

Il a été de toutes les luttes sociales et syndicales qui ont affecté la classe ouvrière de Saint-Jérôme depuis 1950. Son implication dans l'expérience d'autogestion ouvrière Tricofil est la plus connue.

J'ai eu la chance de discuter régulièrement avec lui depuis 2010. Il m'appelait affectueusement «son philosophe», même si nos positions sur la religion étaient diamétralement opposées. Nous nous rencontrions à son bureau ou dans une micro-brasserie de Saint-Jérôme au nom prédestiné de Dieu du ciel, servis par des jeunes femmes qui «avaient l'air des anges du ciel », comme il disait affectueusement.

Il m'avait demandé de faire la recension de son livre Une spiritualité laïque pour les journaux locaux. J'ai même eu la chance de l'accompagner comme chauffeur pour qu'il puisse donner une conférence à la faculté de droit de l'Université de Sherbrooke. À sa demande, j'ai révisé la version électronique de certains de ses livres publiés aux Classiques des sciences sociales.

J'ai lu tous ses ouvrages. Au début, je l'associais à des penseurs catholiques comme Fernand Dumont et Charles Taylor. La connaissance des idées de ces deux intellectuels très religieux me permettait de mieux comprendre les thèmes développés par Grand'Maison. Il était surtout un théologien. Son style est beaucoup plus oral qu'intellectuel. Ses textes parlent comme le ferait un prédicateur en chaire. Ils sont basés sur ses expériences vécues à Saint-Jérôme.

Pendant ses sermons, il racontait des histoires, des anecdotes, comme les Québécois aiment les entendre. Il se référait plus souvent à ses expériences personnelles qu'au Nouveau Testament, tout en rendant actuelles les grandes valeurs de la foi chrétienne. Comme l'écrit son biographe, Martin Meunier: «Ses écrits constituaient surtout des moments réflexifs, sorte de retours sur l'action collective, qu'il prisait par-dessus tout.»

Même si je ne partageais pas ses mythes, j'étais toujours surpris de constater son ouverture d'esprit, son esprit critique. Il s'opposait à l'Église en général et surtout à la hiérarchie religieuse. Il dénonçait les prêtres pédophiles et le laxisme de l'Église officielle face à ce problème. Il haïssait ces chrétiens qui lient le sida par exemple, à une punition de Dieu. II ne tarissait pas d'éloges pour l'«aide médicale à mourir», ce beau projet du PQ. Il s'opposait aux évêques de l'Ouest canadien qui voulaient refuser l'enterrement dans un cimetière catholique aux personnes ayant eu recours à l'aide médicale à mourir.

À l'occasion d'une discussion, je lui avais demandé si, selon lui, la souffrance et plus particulièrement celle avant la mort donnait un sens à la vie d'un chrétien, comme le recommande notre Sainte-Mère-l'Église, qui préconise de souffrir pour se faire pardonner nos péchés. Il n'était pas d'accord. Il trouvait ridicule que le Pape Jean-Paul II se flagelle pour que Dieu lui pardonne ses péchés et ceux de l'humanité. Il considérait cela comme du sado-masochisme. Il penchait aussi du côté de la fameuse Charte des valeurs du PQ et il était avant tout «du bord» de la jeunesse.

Par rapport à l'Église officielle, il prenait ses distances. C'est le sens de la référence que l'on retrouve dans son livre Une spiritualité laïque. Il donne le Bon Samaritain comme exemple d'une personne possédant des valeurs spirituelles, qui aide son prochain, sans rien demander en retour.

«Il n'est pas juif, il n'est pas chrétien. On ne sait rien de sa foi... Simplement, il est le prochain de son prochain.»

Sa position sur l'égalité homme-femme, sur le droit des femmes à l'avortement, le situait en marge de l'Église catholique officielle.

L'indépendance du Québec lui tenait beaucoup à cœur, même s'il avait refusé de se présenter pour le PQ dans Saint-Jérôme contre madame Solange Chaput-Rolland du PLQ, en 1979.

Il s'interrogeait sur l'abandon de l'enseignement de l'histoire dans les années 1970 par notre système d'éducation: «Le fait que l'on ait rayé l'enseignement de l'histoire dans nos écoles publiques pendant un bon moment est un autre effet pervers du Refus global...» Il dénonçait «les utopies de la table rase» qui inspirent les réformes de ce système.

Il regrettait aussi que l'Église du Québec ait outrepassé son mandat en s'occupant des hôpitaux, des écoles, des services sociaux, etc. Ce n'était pas son rôle, disait-il. Mais en contrepartie, il affirmait que l'on ne peut construire un Québec moderne en oubliant son passé et en effaçant tout ce que les religieux ont fait pour construire le Québec actuel.

Selon moi, son meilleur livre est Quand le jugement fout le camp, dans lequel on peut lire un résumé de sa pensée:

«Depuis quelques décennies, notre souci légitime de rattrapage sur tous les terrains à la fois, scolaire, social, économique et politique, s'est exercé souvent dans des démarches précipitées trop peu alertées par des requêtes de long terme comme celle des transmissions intergénérationnelles, de la conscience historique d'une vision d'avenir qui dépasse des luttes et des revendications trop centrées exclusivement sur les intérêts immédiats.»

Bref, comme il aimait le répéter: « Le Québec moderne a jeté le bébé avec l'eau du bain. » Une autre de ses belles formules imagées.

Le printemps dernier, il m'avait invité à critiquer l'article de Jacques Lanctôt dans le Journal de Montréal, qui le présentait comme «le dernier des Mohicans». Il n'aimait pas cette image. Il ne voulait pas se voir comme le dernier des curés. Arrivé au soir de la vie, il lui était difficile de réaliser que la pérennité de son œuvre n'était pas assurée. Je me demande ce qu'il pense maintenant du titre du Devoir: «Le dernier des chanoines». Il était devenu prêtre dans les années 1950, à l'époque de l'Église triomphante qui préparait le Royaume de Dieu à venir incessamment. Il est passé d'une société qui valorisait la chasteté et la viduité, à une société hédoniste. Tout un saut. Jacques était un homme très intelligent. Il se rendait compte que son idéal de jeunesse ne se réaliserait pas et cela l'attristait.

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