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Il était une fois la maladie: l'hypertension, une mutation dans la pratique médicale

La tension artérielle aura marqué au moins trois grands tournants dans l'histoire médicale. À partir de l'étude de la tension, et le patient et le médecin ont changé.
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Jusqu'au début du XXe siècle, la physiologie et la médecine clinique ne faisaient pas très bon ménage.

Pour les cliniciens jusqu'au milieu du XIXe siècle, même l'utilisation du thermomètre était contestée. Pour eux, il s'agissait d'un instrument qui venait «inutilement» compliquer leurs tâches. L'inspection du malade, sa palpation et son auscultation étaient prétendument suffisantes à tous bons cliniciens pour porter un diagnostic. Le reste était superflu. Pourtant dans les laboratoires universitaires, la physiologie faisait de grands pas.

Les découvertes du XIIIe au XIXe siècle

L'histoire de la tension artérielle s'inscrit dans cette évolution. Les premières notions parurent vers le milieu des années 1200 par le médecin anatomiste syrien Ibn an-Nafis à qui on attribue la découverte de la circulation sanguine.

Plus de 300 ans plus tard, Jean Fernel, un médecin français (aussi astronome et mathématicien célèbre) propose l'hypothèse qu'il existe un lien entre la systole et l'éjection du sang. Un médecin physiologiste britannique, William Harvey, confirme ces hypothèses et en utilisant un garrot, il démontre que dans la grande circulation, il y a aussi un retour du sang au cœur sans pouvoir en expliquer tout le mécanisme.

Il faut se rappeler qu'à cette époque le microscope n'existe pas et le réseau des capillaires sanguins reste inconnu. Il faudra atteindre 1661 pour que Marcello Malpighi, le père de l'histologie, passionné par les écrits de Harvey, découvre avec le microscope l'existence des capillaires sanguins et puisse ainsi démontrer le passage du sang entre les artères et les veines.

Mesure de la pression sanguine

On doit les premières mesures de la pression sanguine à un érudit anglais du nom de Stephen Hales. Membre du clergé, il s'est illustré dans bons nombres de domaines incluant la botanique, la chimie et la physiologie. Il étudia, grâce à un appareil de son invention, la pression sanguine chez diverses espèces animales. Nous sommes en 1733. Grâce à ses expérimentations, Hales fit connaitre le rôle des diverses valvules cardiaques et expliqua comment le passage des artères aux veines par le réseau capillaire amenait une résistance du flot sanguin.

Plus d'un siècle plus tard, le physicien et médecin français, Jean-Léonard-Marie Poiseuille, invente un manomètre à mercure qu'il nomme hémodynamomètre. Il publie en 1844 Le Mouvement des liquides dans les tubes de petits diamètres. Son appareil lui permet entre autres de démontrer que la tension artérielle suit le rythme de l'expiration et de l'inspiration. Mais toutes ces considérations demeurent du domaine théorique. Les mesures de la tension artérielle ne sont pas associées à aucune maladie.

Le point tournant

C'est d'abord en Allemagne que le laboratoire se rapprocha du patient avec la création de l'Institut Carl Ludwig qui proposait aux médecins des accès à des tests physiologiques par exemple le dosage de l'albumine dans les urines pour corroborer une atteinte rénale. L'union entre les analyses et les cliniciens débutaient.

En France, le cardiologue Pierre Édouard Charles Potain amorcera ce changement à l'opposé de l'opinion généralement admise à l'époque. Le docteur H. VAQUEZ dans son article intitulé, Éloge de Potain, paru dans Paris Médical. №2 ; 14 janvier 1928, écrivait : «En 1862, alors que jeune agrégé, il remplaçait à l'Hôtel-Dieu, il (NDA :Potain) demande la création d'un laboratoire dans le service de la clinique. C'était une innovation, disons plus, une révolution, et personne n'y avait encore songé. L'administration en fut toute émue. Accéder à la prière de Potain, quel fâcheux précédent! »

N'empêche que le docteur Potain était convaincu de l'importance de noter les tensions artérielles lors de l'examen des patients. Ainsi de 1883 à 1889, il ne nota pas moins de 1550 fois les chiffres de tension artérielle dans le cadre de 680 observations. Il publia chez Masson en 1902 un ouvrage demeuré célèbre, La Pression Artérielle de l'homme à l'état normal et pathologique [1]. Mais pour Potain, la pression était la résultante d'une maladie et nullement impliquée dans la cause. Pour lui, l'athérome et la néphrite sont des maladies qui engendrent des pressions artérielles élevées tandis que la fièvre typhoïde provoquait une basse pression.

L'arrivée du sphygmomanomètre

Hales, au milieu des années 1700 et Poiseuille, beaucoup plus tard, avaient inventé des appareils qui, par introduction de tubes dans le circuit sanguin, permettait des mesures de la pression. En 1881, fera l'apparition du premier sphygmomanomètre non invasif créé par le docteur allemand Samuel von Basch. Mais c'est réellement en 1896 qu'arrivera le premier sphygmomanomètre semblable à ceux encore utilisés de nos jours. On en doit la paternité au pédiatre italien Scipione Riva Rocci, un expert aussi reconnu pour son œuvre sur la tuberculose.

En 1905, le chirurgien russe, Nicolaï Korotkov, eut l'idée d'ajouter le stéthoscope à l'utilisation de l'appareil de Riva Rocci. Il obtenait ainsi des mesures beaucoup plus précises. D'où les termes: les bruits de Korotkoff que sont en fait les sons que provoque le passage du sang dans les artères.

De l'effet à la cause: les assureurs à la rescousse

Il faudra attendre plus de cinquante ans avant qu'on ne commence à élucider le rôle de l'hypertension dans la maladie. Mais ce ne sera pas du milieu médical qu'arrivera l'étincelle. La fameuse étude de Framingham faisait suite à des constats réalisés par les actuaires de compagnies d'assurances. J'ai eu le privilège de signer avec le docteur Christian Fortin un livre, L'hypertension - La tueuse silencieuse, paru en novembre 2004 aux éditions Publistar. On peut y lire:

«En 1947, commença à Framingham, une petite localité près de Boston, l'enquête épidémiologique (l'étude des causes) qui fait référence encore de nos jours en matière d'hypertension et qui sensibilisa l'ensemble de la communauté scientifique internationale à cette nouvelle maladie. Ses résultats démontrent que le niveau de pression artérielle, le taux de cholestérol sanguin, des modes de vie pernicieux comme le tabagisme, la consommation exagérée de calories, de graisses, de sel et d'alcool, la sédentarité ainsi que l'obésité, le diabète et certains facteurs héréditaires sont coupables de favoriser les maladies cardiovasculaires comme l'infarctus du myocarde et les accidents vasculaires cérébraux (AVC).»

Évolution ou révolution?

En somme, la tension artérielle aura marqué au moins trois grands tournants dans l'histoire médicale. À partir de l'étude de la tension, et le patient et le médecin ont changé. D'une part, la consultation ne surviendrait plus uniquement lors de la maladie. D'autre part, les analyses ne seraient plus qu'une recherche physiologique sur les causes et effets des maladies, mais bien une partie intégrale du processus diagnostic. Finalement l'histoire de l'hypertension artérielle révèle le bien-fondé d'une nouvelle approche ni médicale ni physiologique, c'est l'épidémiologie qui aura permis de mettre en lumière les effets de l'hypertension en santé.

L'histoire de l'hypertension artérielle est donc beaucoup plus que celle des instruments qui ont permis d'en évaluer la mesure. Elle est celle d'une mutation dans l'histoire de la médecine et du passage de la théorie physiologique à la pratique clinique. D'une époque où le médecin clinicien refusait d'avoir recours aux analyses et autres mesures physiologiques, nous en sommes rendus à un moment où il est devenu bien difficile, sinon dangereux, de se passer de ces données...

Références:

[1] Histoire de l'hypertension artérielle et du risque vasculaire : aux origines des mutations de la médecine contemporaine, Nicolas Postel-Vinay, Histoire des Sciences médicales, Tome XXX, page 235.

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Mai 2017

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