Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Il y a 40 ans, Nicole Juteau devenait la première policière du Québec (et elle en a bavé)

Il y a 40 ans, elle devenait la première policière du Québec (et elle en a bavé)
Nicole Juteau

QUÉBEC – Elle mesurait 5 pieds 4 «et demi» et pesait 110 livres. Aucun uniforme n’était à sa taille. Des dizaines de corps de police ont refusé de l’embaucher et les hommes, eux, n’en voulaient pas comme partenaire. Et puis, il y avait le règlement numéro 7.

Grande rieuse et éternelle optimiste, Nicole Juteau en a bavé pour devenir la première policière du Québec à l’automne 1975. «Combien de fois je suis rentrée à la maison en pleurant?», lance-t-elle en se remémorant ses premières années comme agente de la Sûreté du Québec (SQ) à Shawinigan. Ironiquement, 1975 était aussi l’année internationale de la femme.

À ses débuts, Nicole Juteau a été affectée à du travail de bureau pendant quatre mois, le temps que l’Assemblée nationale abroge le règlement numéro 7. « [Pour être policier] il fallait obligatoirement mesurer au moins 5 pieds 8 pour 140 livres, être un homme et avoir une bonne ossature, explique Nicole Juteau. Alors, on ne fittait pas du tout, nous, les femmes.»

Quand la SQ de Shawinigan lui a finalement offert un poste, un seul policier a accepté de travailler avec elle. Mais si le collègue insistait pour conduire l’auto-patrouille, ce n’était pas par sexisme, insiste Nicole Juteau. «À l’époque, les voitures avaient un seul banc pour les deux passagers, dit-elle. Je faisais 5 pieds 4 et lui 6 pieds 2. Alors, quand je conduisais, il avait les genoux dans le front!», lance-t-elle en riant.

Avec les autres confrères, c’était une toute autre histoire. «La femme police», comme ils l’appelaient, n’était jamais invitée pour la bière après le boulot. D’ailleurs, les conjointes s’en méfiaient. Les policiers s’amusaient aussi à vider son sac à main. «Ils voulaient savoir si je prenais la pilule, pour savoir si je couchais avec quelqu’un», dit Nicole Juteau.

Mais il y avait aussi les bons moments. «Au festival de Saint-Tite, les gens venaient me voir, surtout les femmes, pour me dire bravo. J’étais une véritable attraction; tellement que j’avais de la difficulté à faire mon travail», raconte Nicole Juteau.

Il faut dire qu’elle n’avait pas droit à l’erreur. «Quand ils m’ont embauchée, ils m’ont dit : "Si tu réussis bien, on va en prendre d’autres [femmes]''.» Bonjour la pression…

Interdit aux dames

Pour en arriver là, Nicole Juteau a d’abord dû déjouer le système scolaire. «Je n’avais pas le droit d’appliquer en technique policière au Collège d’Ahuntsic parce que c’était réservé aux hommes», raconte-t-elle. Qu’à cela ne tienne, la jeune femme s’est inscrite en technique correctionnelle, qui offrait les mêmes cours durant la première année. Elle a ensuite changé de programme grâce à un nouvel orienteur qui ne connaissait pas la politique de l’école. Une fois son stratagème découvert, elle a dû s’engager par écrit à ne pas poursuivre le collège si elle n’obtenait pas d'emploi.

nicole juteau

Nicole Juteau, à l'époque où elle était agent double

À l’Institut de police de Nicolet, elles n'étaient que trois étudiantes (ses deux collègues sont devenues agentes de sécurité dans le Grand Nord). «Ç’a été l’enfer, les instructeurs ne voulaient rien savoir de nous», raconte Nicole Juteau.

Un exemple parmi d’autres : ses deux collègues étudiantes ont été blâmées pour avoir dansé un slow avec des camarades de classe. Leur comportement aurait nui à la réputation de l’Institut. Les étudiants masculins, eux, n’ont pas été semoncés. «Même moi, j’ai reçu un blâme mineur», se rappelle Nicole Juteau, alors qu'elle n’avait pas dansé avec un collègue.

L’adversité lui a toutefois forgé le caractère, confie-t-elle. Devenue policière, elle et ses collègues se sont retrouvés une nuit encerclés par des motards associés au Hells Angels.

L'un d'eux lui a lancé: «La sentence pour le viol d’une policière, est-ce que c’est la même que pour une autre femme?»

«Non, la sentence, c’est ça», a-t-elle répliqué en pointant son arme à feu.

«La matante»

Après six ans de patrouille, Nicole Juteau est devenue agent double pour l’escouade de la moralité. À l’époque, la cocaïne faisait son apparition dans les rues de la province. Alors, la jeune femme jouait fréquemment le rôle d’une danseuse nue à la recherche d’un peu de poudre dans les bars.

Parfois, les transactions lui donnaient froid dans le dos. Elle s’est retrouvée dans un bunker à Montréal, sans issue de secours. Une autre fois, c’était dans un sous-sol en terre battue «avec une lumière qui pend au plafond comme dans les films». À son arrivée, le vendeur était cagoulé. «Je me suis dit "je vais y passer, c’est sûr".»

De fil en aiguille, Nicole Juteau s’est retrouvée agente de renseignement criminel sur les Hells Angels en pleine guerre des motards à la fin des années 1990. C’est elle qui photographiait et fichait les motards lors de leurs grands événements. Les Hells Angels ont fini par la surnommée «La matante».

Un jour, en marge d’un procès, elle confie à l'un d'eux qu’elle n’apprécie pas tellement le sobriquet. «Si tu voyais le surnom des autres», lui a lancé le prévenu.

«Alors, je me suis dit que "matante", ce n’est pas si mal», rigole Nicole Juteau.

Retraitée à 46 ans, Nicole Juteau travaille désormais comme accompagnatrice pour des groupes de touristes aux États-Unis. La résidente de Mascouche joue encore les agents doubles à l’occasion pour le bénéfice d’ordres professionnels (pour cette raison, nous ne pouvons publier une photo récente).

Elle a notamment démasqué le «guérisseur» Jean-Paul Lavoie pour le Collège des médecins. «J’ai un bon talent de comédienne et je suis habituée de prendre de bonnes notes, des détails, explique Nicole Juteau. En tant qu’ex-policier, on pense toujours à ce dont on va avoir besoin en cour.»

Au fil des ans, elle a aussi aidé d’autres policières à faire leur place dans ce monde d’hommes. Malgré les embûches, Nicole Juteau affirme n’avoir «jamais regretté une minute» d’avoir choisi ce parcours difficile. «J’avais la passion, c’était mon rêve d’être policière. En réalité, j’ai réalisé très tard que j’avais pavé la voie aux autres femmes.»

INOLTRE SU HUFFPOST

10- Michelle Obama

Les femmes les plus puissantes du monde selon Forbes (2015)

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.