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Klimt et la réforme de la Loi sur l'immunité des États

Presque tous les pays ont une loi sur l'immunité des États. Ces lois sont fondamentales au fonctionnement du système international. Cependant, au fil des décennies, des exceptions ont dû être adoptées pour éviter ses dérèglements les plus évidents.
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La Dame en or, film sorti sur les écrans le 3 avril, est l'occasion de découvrir l'histoire mouvementée du Portrait d'Adèle Bloch-Bauer I, toile emblématique de l'Art nouveau viennois et l'une des plus grandes œuvres du XXe siècle. Gustav Klimt a réalisé ce magnifique portrait de l'épouse de l'industriel Ferdinand Bloch-Bauer en 1907. Après l'Anschluss, les nazis confisquèrent la toile. Mais cette dernière ne fut pas restituée aux héritiers du couple Bloch-Bauer en 1945 comme il se devait. Elle fut plutôt conservée dans les collections nationales autrichiennes et exposée au Belvédère où elle devint un véritable symbole national.

Il fallut attendre la fin des années 1990 pour que les Autrichiens prennent conscience que de nombreuses toiles de leurs collections publiques avaient été mal acquises et qu'une loi favorisant les restitutions soit promulguée. À la suite de l'adoption de cette loi, Maria Altmann, nièce et héritière du couple Bloch-Bauer et résidente de Californie, tenta sans succès de récupérer la toile en Autriche. C'est finalement par des poursuites aux États-Unis, qui allèrent jusqu'à la Cour suprême, qu'elle eut gain de cause. La Cour suprême américaine dut en effet décider si Maria Altmann avait le droit de poursuivre l'Autriche aux États-Unis pour récupérer la toile. Après cette décision et une sentence arbitrale favorable, l'Autriche restitua le portrait, ainsi que quatre autres Klimt, à Maria Altmann. Suite à une vente, le Portrait d'Adèle Bloch-Bauer I est désormais exposé à la Neue Galerie, à New York.

En plus de faire découvrir cette page d'histoire, le film devrait nous interpeller pour une autre raison. En effet, et contrairement aux États-Unis, les héritiers de Ferdinand et d'Adèle Bloch-Bauer n'auraient jamais eu gain de cause au Canada, et ce, en raison de la loi canadienne sur l'immunité des États, loi permissive pour les abus des droits fondamentaux commis à l'étranger.

Presque tous les pays ont une loi sur l'immunité des États. Ces lois sont fondamentales au fonctionnement du système international. Cependant, au fil des décennies, des exceptions ont dû être adoptées pour éviter ses dérèglements les plus évidents.

Par exemple, le Congo avait refusé de payer l'architecte canadien qui avait dessiné des plans pour son pavillon lors de l'Expo 1967, qui ne fut finalement jamais construit. La Cour suprême canadienne donna raison au Congo en 1971, statuant que l'immunité étatique donnait une excuse à un État pour ne pas acquitter ses factures. Pour éviter ce genre de situation, le Parlement canadien ajouta à sa loi sur l'immunité étatique une exception visant les affaires commerciales. De même, de nombreux pays ont, à la suite du 11 septembre 2001, ajouté une exception pour permettre de poursuivre les États qui commanditent le terrorisme.

Le débat sur l'immunité étatique fut récemment relancé dans la foulée de la décision Kazemi. Fin 2014, la Cour suprême canadienne refusa que la famille de Zahra Kazemi, cette photojournaliste irano-canadienne qui avait été torturée et assassinée après son arrestation en Iran, présentât une réclamation contre l'État iranien devant un tribunal canadien. La Cour suprême statua que si l'on voulait permettre des poursuites dans des cas de torture, il était nécessaire au Parlement d'insérer une exception supplémentaire dans la Loi sur l'immunité des États.

Lorsque le Parlement se penchera sur cette question de la torture, le débat devrait être élargi à celle des expropriations illégales. C'est en effet seulement parce que les États-Unis ont une exception qui porte spécifiquement sur les expropriations qui contreviennent au droit international que Maria Altmann a pu avoir gain de cause. Cette question des expropriations semble sans doute moins importante que celle de la torture. Mais nous aurions tort de la négliger. Les tentatives de génocide au XXe siècle furent, faut-il le rappeler, presque toujours accompagnées de pillages ou de destructions généralisées des objets qui évoqueraient jusqu'au souvenir des populations que l'on tente d'anéantir. Le sujet est d'autant plus d'actualité que l'on commémore le centenaire du génocide arménien à la suite duquel l'État turc a systématiquement exproprié et tenté d'effacer les traces de la présence chrétienne sur son territoire. Et quant au nettoyage culturel effectué présentement par l'État islamique en Syrie et en Iraq, il nous rappelle tristement que le patrimoine culturel est toujours des plus vulnérables lors des conflits armés.

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