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Un an après Émilie Ricard, quels constats pour le personnel infirmier?

L’année 2018 nous aura appris que les infirmières sont prêtes à assumer leur rôle politique et qu’il n’est plus question d’être victimisés par des décisions contraires aux intérêts des patients et aux soignants.
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Il est indispensable que le personnel infirmier de terrain, qui subira directement les conséquences des décisions ministérielles, fasse activement partie du processus.
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Il est indispensable que le personnel infirmier de terrain, qui subira directement les conséquences des décisions ministérielles, fasse activement partie du processus.

Ce texte a été coécrit par Amélie Perron (inf., PhD) etMarilou Gagnon (inf., PhD), Fondatrices et présidentes de l'Observatoire infirmier.

Le 29 janvier 2018, l'infirmière Émilie Ricard postait sur Facebook une photo et un message exprimant toute sa détresse face à sa surcharge phénoménale de travail dans un CHSLD du Québec. Sa sortie a capté l'attention des médias et du public et a placé, pour la énième fois, les conditions de travail exécrables du personnel infirmier (et des autres membres des équipes soignantes) sous les projecteurs. Bientôt un an après la sortie de Mme Ricard, où en sommes-nous? En tant que fondatrices et présidentes de l'Observatoire infirmier, nos constats sont les suivants.

L'année 2018 a été jalonnée d'interventions diverses dans toute la province, culminant dans une mobilisation infirmière que l'on n'avait plus vue depuis de nombreuses années.

L'année 2018 a été une année marquante pour les infirmières et infirmiers du Québec. Prises de parole dans les médias sociaux et les médias, dénonciations des conditions de travail non sécuritaires et non éthiques, et actions collectives en milieu de travail et dans les rues. Rien n'arrête le personnel infirmier qui en a assez. Assez d'en faire toujours plus avec moins. Assez de mettre en péril la santé et la sécurité de ses patients — ainsi que les nôtres. Assez de subir les décisions de gestionnaires et de politiciens qui saisissent de manière trop étroite et sélective la réalité des soins au Québec. L'année 2018 a été jalonnée d'interventions diverses dans toute la province, culminant dans une mobilisation infirmière que l'on n'avait plus vue depuis de nombreuses années.

Dénoncer publiquement ces décalages chroniques par le biais d'exemples concrets a été une stratégie particulièrement efficace face à un système qui mise sur le silence de ses employés et leur crainte de représailles.

Les infirmières et infirmiers sont capables de bouleverser les rapports de pouvoir entre l'État, les milieux de travail et le personnel soignant. Leur présence continue auprès des patients fait d'eux des témoins précieux pour bien saisir les manquements dans les soins et l'impact de décisions qui sont, la plupart du temps, motivées par les budgets et la quête d'efficience, malgré la complexité et la lourdeur toujours croissantes des situations de soins. Dénoncer publiquement ces décalages chroniques par le biais d'exemples concrets a été une stratégie particulièrement efficace face à un système qui mise sur le silence de ses employés et leur crainte de représailles.

L'année 2018 a montré encore une fois à quel point les administrateurs des milieux de soins craignent un personnel infirmier qui dénonce. En brisant le silence avec courage et grâce à l'appui du public, les infirmiers et infirmières ont envoyé un signal clair. Le pouvoir, ce sont ceux et celles qui transigent quotidiennement avec la réalité des soins aux patients qui le détiennent.

L'appui de la population est une pierre angulaire de la mobilisation infirmière. Année après année, les sondages révèlent que le public fait pleinement confiance à la profession d'infirmière au Canada et dans le monde. Lorsque les infirmiers et infirmières prennent la parole, la population écoute et, surtout, réagit. Le témoignage d'Émilie Ricard en a fait la démonstration: il en va de même pour les dénonciations hautement médiatisées de Natalie Staké-Doucet et Yan Giroux à Tout le Monde en Parle, de Kassandra Leclerc à TVA Nouvelles (suspendue par son employeur après avoir dénoncé ses conditions de travail) de même que Caroline Dufour et ses collègues qui ont rendu public Le livre noir des urgences de l'Outaouais par Radio-Canada.

Mais au-delà de celles et ceux qui ont pu attirer l'attention des médias, il ne faut pas oublier tous ces autres qui, par le biais d'innombrables demandes de rencontres avec leurs administrateurs, de revendications, de sit-in, et d'autres moyens de pression, ont empêché les décideurs d'ignorer et de négliger leur détresse.

Les événements qui ont suivi la sortie d'Émilie Ricard sur Facebook ont montré que les infirmiers et infirmières qui sonnent l'alarme ont besoin de protection.

Dans la foulée des dénonciations infirmières, nous avons été témoins de pratiques abusives endémiques (intimidations, menaces, sanctions, congédiements) et de tactiques visant à maquiller des problèmes organisationnels au sein du réseau de santé.

Or, présentement il existe très peu de recours fiables et efficaces pour les infirmiers et infirmières qui font l'objet de sanctions. La loi au Canada offre un cadre trop étroit pour être d'une quelconque utilité pour les lanceurs d'alerte employés en établissement de santé public ou privé. Il n'existe pas de mécanismes pour tenir les établissements de santé imputables à la suite d'une dénonciation. Enfin, les processus internes de dénonciation ont été clairement identifiés par les dénonciateurs et les experts comme entrainant des risques très élevés de représailles contre ceux qui osent parler.

Après un battage médiatique soutenu jusqu'au mois de mai sur les difficultés et les contraintes vécues par le personnel infirmier, une accalmie s'est ensuivie qui a laissé croire à une résorption de la crise infirmière. Or, celle-ci a persisté bien au-delà de la couverture médiatique et elle perdure encore aujourd'hui.

Nombre d'infirmiers et infirmières qui ont tenté de contester le TSO ont été rabroués et forcés de rester malgré leur épuisement, mettant ainsi les patients en danger.

L'imposition du temps supplémentaire obligatoire (le fameux TSO) est encore le mode de fonctionnement usuel de plusieurs hôpitaux et CHSLD, et il s'est même aggravé dans certains milieux; nombre d'infirmiers et infirmières qui ont tenté de contester le TSO ont été rabroués et forcés de rester malgré leur épuisement, mettant ainsi les patients en danger. Les menaces de sanction ont continué de pleuvoir, reflétant le mépris ordinaire dont le personnel infirmier fait l'objet. D'ailleurs, à l'heure actuelle, en l'absence d'améliorations tangibles et durables, des moyens de pression se poursuivent toujours dans certains secteurs pour essayer de forcer le changement.

Il faut bien entendu souligner le fait que bien des espoirs ont été fondés sur le nouveau gouvernement élu en octobre. La nouvelle ministre de la Santé, Danielle McCann, a en effet promis en campagne électorale, et de nouveau après sa nomination, d'éliminer «rapidement» le TSO et de soulager la détresse du personnel infirmier. Certaines des solutions qu'elle propose font d'ailleurs écho à celles que nous avions présentées dans un texte adressé aux ministres Barrette et Couillard en février dernier.

Il est indispensable que le personnel infirmier de terrain, qui subira directement les conséquences des décisions ministérielles, fasse activement partie du processus.

Le réseau de la santé a déjà toutes les ressources requises pour opérer les changements nécessaires à la ré-humanisation des conditions de travail du personnel infirmier. La nouvelle ministre devra travailler particulièrement fort pour rétablir tant la confiance que le moral de sa main-d'œuvre la plus nombreuse du système de santé. Pour ce faire, il est indispensable que le personnel infirmier de terrain, qui subira directement les conséquences des décisions ministérielles, fasse activement partie du processus.

Les infirmiers et infirmières en ont assez d'être relégués au second plan dans les prises de décisions qui touchent la gestion du système de santé et de son personnel soignant. Ils suivront donc de très près les politiques du gouvernement Legault et en particulier de sa ministre de la santé, et s'il faut, ils recommenceront leurs mobilisations individuelles et collectives pour se faire entendre. L'année 2018 nous aura en effet appris que, plus que jamais, les infirmiers et infirmières sont prêts à assumer leur rôle politique dans le domaine de la santé, et qu'il n'est plus question pour eux d'être victimisés par des décisions contraires aux intérêts des patients et de ceux qui les soignent.

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