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Informatique au gouvernement: pourquoi on dépend tant des consultants?

Le gouvernement dépense des sommes gigantesques en technologies de l'information à chaque année. Peut-on espérer qu'avec ce sang neuf, on pourra redynamiser les moeurs des fonctionnaires à l'interne et injecter des expertises de pointe qu'on ne sera plus obligé de solliciter de l'externe?
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La semaine dernière, la Vérificatrice générale du Québec déposait un rapport portant sur les Contrats en technologies de l'information. Pour les uns, ce qu'on y lit est scandaleux alors que pour les autres, le scandale est plutôt dans l'inaction gouvernementale de la dernière décennie. Dans les faits, ce que rapporte la VG, tous les employés du gouvernement qui travaillent dans les technologies de l'information en sont parfaitement conscients.

Je vous dis ça parce que dans une autre vie, j'étais parmi eux. Diplômée en informatique de génie, j'ai réalisé des projets informatiques à la CSST et à la SAAQ à titre d'employée du gouvernement, puis, à mon compte comme pigiste d'une firme externe bien connue. C'est donc avec une double perspective - celle de l'interne et celle de l'externe - que les conclusions de ce rapport me sont familières.

La VG décrit ni plus ni moins la dynamique de travail dans les directions informatiques du gouvernement, ministères et organismes, et relate ce qui lui paraît inacceptable:

  • Des analyses de besoins définies par des ressources externes (des consultants)
  • Des critères dans les appels d'offres qui favorisent un fournisseur plutôt qu'un autre; une compagnie plutôt qu'une autre (donc, on étouffe la concurrence)
  • La pondération des critères dans les appels d'offres qui élimine la concurrence, particulièrement lorsque ces critères ne sont pas respectés une fois le contrat obtenu (on exige des profils spécifiques avec des compétences spécifiques, avec des années d'expérience, des connaissances dans les systèmes spécifiques, des technos spécifiques).

Bref, pour qui a déjà participé à un comité de sélection de fournisseurs de services professionnels, la participation des consultants à toutes les phases du processus fait partie des moeurs et n'a rien d'inhabituel. Côte à côte, ressources internes et externes participent à la définition des besoins, aux architectures de système, aux spécifications des produits et systèmes, jusqu'à la rédaction des appels d'offres. L'équipe externe étant souvent très présente dans les phases de réalisation des projets, des essais et d'implantation des systèmes, il n'est pas rare que les ressources internes qui héritent des livrables soient complètement ignorantes et non qualifiées pour assurer la maintenance du projet. On gardera donc, sur le plancher, une couple de ressources externes et on procédera - peut-être - à un transfert d'expertise.

J'y ai vu, par exemple, un chargé de compte d'une firme externe me dire: «Ouin. Pas mal d'ouvrage au bureau pour remplir des cahiers de soumissions qui n'ont aucune chance d'être sélectionnés». Le directeur du département de l'agence gouvernementale lui avait confié en toute transparence: «Écoute, ça me prend plusieurs soumissionnaires. Peux-tu me rendre service? T'auras pas ce contrat-là mais je te promets le suivant.» C'était aussi simple que ça. On a des budgets de développement de projets, on sait très bien que le personnel interne ne suffira pas, et on s'organise pour répartir les sommes à des firmes «amies», préférablement celles du Québec Inc. bien connecté.

J'ai vu des architectes externes au profil très convoité qui étaient suggérés sur à peu près tous les appels d'offres. Le moment venu, c'était quelqu'un d'autre qui arrivait et qui facturait au même tarif.

À titre de pigiste, et en passant par des firmes externes qui obtenaient les contrats, j'avais le bonheur de pouvoir travailler sur des projets excitants. Je facturais la firme externe qui à son tour, refacturait le gouvernement en y ajoutant un 30, 40, parfois 50%. (N'y a-t-il pas moyen de creuser ça un peu?)

Et puis il y a ces fameux retraités qui partaient plus tôt avec leurs banques de congés de maladie (d'environ 1 an, 1 an et demi), qui allaient faire une partouse de golf pendant un an, puis qui revenaient comme consultants dans la même boîte.

Il y a bien longtemps de ça... mais en lisant le rapport de la VG, je n'ai aucune raison de croire qu'il n'en est pas encore ainsi, d'autant que la VG en rajoute et donne des exemples. À l'article 101 de son rapport, elle raconte qu'au Ministère des ressources naturelles,

une seule des 21 personnes proposées dans la soumission a travaillé à la réalisation de travaux reliés à un contrat de 3,6 millions de dollars. L'expérience et la pertinence de ces ressources comptaient pour 80 % de la note pour la qualification de la firme.

Inéquitable envers les firmes qui ont souffert d'une telle pondération injustifiée, conclut-elle. C'est le moins qu'on puisse dire. À l'article 115:

Nos travaux font ressortir que, sur une période de un an, il y a eu quatre ressources externes qui ont travaillé simultanément pour des firmes différentes (de deux à cinq firmes), et pour plusieurs entités vérifiées.

Pas pire, celle-là, non?

À propos de la dépendance envers des ressources externes (consultants)

Ce qui nous amène à la fameuse question de la dépendance des ministères et organismes envers des ressources externes, omniprésentes à toutes les étapes du déploiement des systèmes et technologies de l'information au gouvernement.

Je vais vous le dire carrément. Je la comprends. Je la comprends dû à mon expérience personnelle qui est celle d'une informaticienne qui s'est vu obligée de quitter son emploi permanent pour se joindre à des équipes de consultants, si elle voulait travailler sur des projets stimulants. De quelqu'un qui, après quelques années comme pigiste se fait convoquer par un Directeur de services informatiques qui m'offre une charge de projet. «Mais pourquoi préférer un pigiste externe pour ce poste», lui ai-je demandé. Sa réponse: «Parce que je n'ai personne dans mon équipe qui veut la job.»

Détrompez-vous. Il n'a pas dit qu'il n'y avait personne dans son équipe qui était en mesure d'occuper le poste. Seulement, personne à l'interne ne voulait la job. Exigeante, une charge de projet. Heures supplémentaires, fins de semaine à faire des essais de système...

Le comble? Aujourd'hui, on peine même à trouver des personnes à l'interne qui sont intéressées à participer à des comités de sélection (de fournisseurs de services professionnels). C'est pas peu dire. Voici ce que raconte la VG dans son article 69:

Il y a peu de personnes intéressées à participer au comité de sélection, entre autres parce que la charge de travail pour évaluer les soumissions dans le domaine des technologies de l'information est importante (appels d'offres complexes et volumineux).

Ayoye! Il est là, le vrai scandale, si vous voulez mon avis.

Parce que cette dynamique de dépendance envers les consultants externes, elle repose sur des fondations que personne ne remettra en question:

  • la permanence des ressources informatiques à l'interne de qui on ne peut rien exiger
  • l'incapacité de congédier une ressource qui n'a pas le profil de l'emploi (celui qui nécessite une insatiable soif de renouveler ses connaissances et d'être à jour)
  • une complicité entre le gouvernement et des firmes externes dont le chiffre d'affaires repose en grande partie sur des contrats gouvernementaux

Quand on est plus attaché à la permanence qu'à sa job, quand on est plus attaché à ses conditions de travail qu'à occuper un poste stimulant, quand on préfère le confort de la routine plutôt qu'une dynamique d'apprentissage continu, c'est ça que ça donne.

Enfin, imaginer que l'ajout de règles, de suivi et de contrôle puisse changer cette dynamique m'apparaît également un brin illusoire même si cela contenterait la VG, protégerait les arrières des responsables à l'interne, et rassurerait les bureaucrates.

À sa défense, le président du Conseil du trésor Martin Coiteux, lui-même responsable des technologies de l'information du gouvernement, a pondu un plan d'action en juin dernier dont les mesures doivent être mises en oeuvre de juin 2015 à mars 2018. On y retrouve quelques-unes des recommandations de la page 37 du Rapport de la Vérificatrice générale.

Parmi ces mesures, on y retrouve la mesure #13 - Ajouter des effectifs. Difficile de recruter des informaticiens, selon les syndicats? Il faudra bien mieux les rémunérer, clament les syndicats? Pas vraiment. Heureusement - ou malheureusement - l'État québécois a une force d'attraction encore exceptionnelle.

En effet.

Contre toute attente, le gouvernement a reçu dix fois plus de candidatures que le nombre de postes à combler afin de dénicher de nouveaux fonctionnaires pour travailler en informatique. Finalement, personne ne devait autant s'inquiéter, puisque des milliers de personnes veulent se joindre à la fonction publique.

Québec a reçu 5286 candidatures, selon les données compilées par le Conseil du trésor. De ce nombre, 2286 (43 %) ont plus de dix ans d'expérience. - Jean-Nicolas Blanchet, Journal de Québec

Dix fois plus de candidatures! Ce n'est pas rien. Le gouvernement dépense des sommes gigantesques en technologies de l'information à chaque année. Peut-on espérer qu'avec ce sang neuf, on pourra redynamiser les moeurs des fonctionnaires à l'interne et injecter des expertises de pointe qu'on ne sera plus obligé de solliciter de l'externe? Enfin, espérons qu'au bout du compte, il y aura des instruments de mesure qui pourront nous confirmer qu'on en aura plus pour notre argent.

On verra ça en 2018.

Écoutez également ma chronique au FM93,3 sur le sujet

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