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Monsieur Parizeau: le faux pas et la réconciliation

En apprenant la mort de Jacques Parizeau, je me suis surprise à pleurer. Pleurer comme une fille pleure un proche parent, parti trop vite, alors qu'elle avait encore tant à dire. À entendre les réactions suite à son décès, il ne reste plus grand monde pour rappeler ses très rares faux pas, mais aussi témoigner de la grande humilité avec laquelle il a racheté sa faute.
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En apprenant la mort de Jacques Parizeau, je me suis surprise à pleurer. Pleurer comme une fille pleure un proche parent, parti trop vite, alors qu'elle avait encore tant à dire. À entendre les réactions suite à son décès, il ne reste plus grand monde pour rappeler ses très rares faux pas, mais aussi témoigner de la grande humilité avec laquelle il a racheté sa faute au fil des ans.

J'étais là, au référendum de 1995, lors de sa déclaration malheureuse sur les raisons qui ont mené à la victoire du NON. À cette époque, j'étais membre du comité ethnoculturel pour le OUI, dont le mandat était de s'assurer que les différentes communautés culturelles comprennent les enjeux de ce projet historique et ultimement, qu'ils y adhèrent. Ça n'a pas été chose facile. Rare fille d'immigrante à s'impliquer dans le camp du OUI, noyée dans une mer d'hommes blancs francophones, plusieurs me rappelaient avec un humour de mauvais goût qu'il ne me manquait plus que la chaise roulante pour marquer un score parfait aux programmes d'égalité en emploi.

Des doutes, j'en avais. Mes cours en science politique m'avaient appris à me méfier des nationalismes qui, reconnaissons-le, n'ont jamais eu très bonne presse dans l'histoire. À cela, ajoutez les grandes prédictions apocalyptiques et les alertes au racisme que me servaient couramment les membres de ma propre communauté, elle-même influencée par le discours fédéraliste.

Mais il y avait en contrepartie cette sympathie que je nourrissais à l'endroit des «colonisés». Étant moi-même porteuse du lourd héritage colonisateur des Portugais, j'avais finalement choisi mon camp. Et contre vents et marées, je me suis tenu debout jusqu'à la fin, au côté de ceux qui voulaient ardemment le pays du Québec. Dans un tel contexte, vous ne m'en voudrez pas si je vous dis que le soir où Monsieur Parizeau a attribué une partie de la défaite référendaire au vote ethnique, c'est en quelque sorte à moi qu'il s'adressait, et aux quelques centaines d'autres militants québécois issus de l'immigration qui venaient, tout comme moi, à la fois de perdre le pays, mais aussi la reconnaissance de la part de celui pour qui nous avions tout donné et tout sacrifié.

Dans les heures qui suivirent, bon nombre de collaborateurs de Monsieur Parizeau me contactèrent pour s'excuser, personnellement, mais aussi au nom de « Monsieur ». Mais la blessure était telle qu'aucune excuse par préoccupation ne pouvait en venir à bout. L'occasion m'a bien été donnée de confronter l'Homme, lorsque, par un doux mélange de hasard et de complicité de la part de l'entourage de Monsieur Parizeau, je me suis retrouvée assise en face de lui lors du souper de Noël organisé par son chef de cabinet : « Je suis d'origine portugaise, vous savez ?», lui avais-je lancé.

- «Ah bon!, répondit-il d'un air agacé, moi ma femme n'était pas d'origine. Elle était Polonaise. »

Je me suis montrée incapable d'aller plus avant dans la conversation. J'étais à la fois déçue de la froideur avec laquelle il me considéra, mais je comprenais aussi que sa blessure à lui était grande presque insupportable. J'en conclus que ni lui ni moi n'étions prêts à aborder le sujet, chacun pour des raisons différentes, bien entendu.

On dit qu'avec le temps, les choses s'arrangent. Cela ne fut pas mon cas, pas avec ceux que j'avais un temps considéré comme ma famille politique. Alors que Monsieur Parizeau s'était effacé de la vie publique et que le Parti québécois semblait plus déterminé que jamais à institutionnaliser l'immigrant comme obstacle à l'indépendance, il devint évident pour moi que si je demeurais souverainiste, le projet proposé par ce parti n'était pas le mien et que je n'y avais plus ma place.

Mais, plusieurs années après, alors que le sombre épisode de la Charte des valeurs battait son plein au Québec, voilà que le plus imprévisible des événements se produisit, lorsque la seule personne qui pouvait m'aider à cicatriser ma blessure se manifesta. Sa prise de position dans le débat qui faisait rage m'a fait réaliser toute la candeur de l'homme qui semblait avoir humblement tiré des leçons de sa propre histoire.

Si aujourd'hui, Monsieur Parizeau était devant moi, je lui dirai à quel point je suis reconnaissante de tout ce qu'il a fait et que jamais on ne devrait laisser l'histoire se souvenir d'une bêtise de 30 secondes au détriment d'une vie entière à répondre aux aspirations d'un peuple. Loin d'être le porteur du « nous » replié sur soi, je pense, au contraire, que Monsieur Parizeau, par l'ensemble de son œuvre, a largement contribué à bâtir le « Nous » auquel j'appartiens. Merci, Monsieur Parizeau, d'avoir pris le temps, avant de partir, d'apporter la paix dans mon cœur et dans celui de bon nombre de Québécois.

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2 février 1982

Jacques Parizeau en photos

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