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«Je disparais»: lorsqu'il n'y a plus de repères

«Je disparais» veut nous faire prendre conscience du fait qu'on finit par s'habituer aux plus grandes douleurs, aux pertes les plus terribles.
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Catherine Vidal signe la mise en scène, une mise en scène minimaliste qui utilise les éclairages et les sons de manière redoutablement efficace.
Matthew Fournier
Catherine Vidal signe la mise en scène, une mise en scène minimaliste qui utilise les éclairages et les sons de manière redoutablement efficace.

C'est une pièce sans décor et où les accessoires se limitent à deux chaises que nous présente le Prospero. Je disparais d'Arne Lygre, un dramaturge norvégien, repose sur la force d'un texte magnifiquement livré par des comédiens de haut calibre. Ce n'est ni léger ni drôle, adoptant un ton grave pour parler de la fin d'un monde, de la fin du monde tel que nous le connaissons.

Une femme (Marie-France Lambert, magnétique) vit dans la même maison dans un pays que l'on ne nomme pas depuis toujours. Elle dit avoir tout ce qu'il lui faut même si parfois l'idée l'effleure qu'il y a peut-être des choses ailleurs qu'elle aimerait tout autant. Elle attend son mari, son amie et la fille de cette dernière, car ils doivent partir. Guerre, invasion ou catastrophe écologique, on ne saura jamais la nature du danger qui les force ainsi à quitter leur environnement familier, à prendre un bateau et à se retrouver à l'étranger. L'amie (Macha Limonchik, que nous retrouvons avec bonheur sur une scène de théâtre) arrive enfin, mais elle veut attendre sa fille, tout comme l'autre femme ne veut pas partir sans son mari.

Dans cette attente, pour passer le temps, elles vont se projeter dans diverses situations et endosser différentes identités. Ce procédé, utilisé tout au long de la pièce, est follement intéressant, permettant aux personnages d'explorer les avenues de leur imaginaire et d'exprimer des sentiments qu'elles tairaient autrement. Elles deviennent ainsi deux femmes dans un cabinet de médecin, jouant et commentant l'action, ce faisant protagonistes et chœur. Lorsque la fille (Larissa Corriveau) se joint à elles, elles deviendront les victimes d'un tremblement de terre, enterrées sous les décombres d'un immeuble et dans l'attente de secours. Cette scène, qui se passe dans une noirceur quasi complète, est vraiment oppressante, permettant aux spectateurs de comprendre un tant soit peu la sensation d'étouffement et le désespoir que l'on peut ressentir dans une situation comme celle-là. Plus tard, attendant sur une plage un hypothétique bateau, les comédiennes s'incarneront dans un homme, sa mère et sa femme, qui pousseront un matelas pneumatique jusqu'à un rivage salvateur après avoir, en chemin, fait des choix déchirants. Le mari (James Hyndman) ne les rejoindra pas. Il choisira autre chose lors de son apparition à la fin de la pièce.

Nous voyageons avec ces femmes, nous partageons leurs sentiments et leurs émotions, nous nous identifions à elles et ressentons leur désarroi alors qu'elles sont complètement déstabilisées dans un univers sur lequel elles ne possèdent plus aucune prise.

Catherine Vidal signe la mise en scène, une mise en scène minimaliste qui utilise les éclairages et les sons de manière redoutablement efficace. Nous voyageons avec ces femmes, nous partageons leurs sentiments et leurs émotions, nous nous identifions à elles et ressentons leur désarroi alors qu'elles sont complètement déstabilisées dans un univers sur lequel elles ne possèdent plus aucune prise. Les visages des comédiennes sont nus, sans aucun artifice, ce qui accentue encore davantage la faculté qu'elles ont de se réinventer dans divers personnages. Le résultat, avec la complicité des éclairages de François Marceau, est souvent saisissant.

Lorsque nous perdons nos repères géographiques ou émotifs, que nous reste-t-il? Des mots, des gestes, des pensées, dira le mari à la fin de la pièce. Je disparais veut nous faire prendre conscience du fait qu'on finit par s'habituer aux plus grandes douleurs, aux pertes les plus terribles. Et que notre besoin des autres est grand. Ces thèmes rabâchés sont traités par Arne Lygre avec une originalité certaine. Le résultat demeure lourd cependant et ce n'est pas une pièce dont on sort en sifflotant. Mais elle nous rejoint dans ce regard qu'elle pose sur la nécessité d'imaginer toujours le pire qui peut arriver à ceux que nous aimons tout en s'efforçant de garder un vissage serein.

Je disparais : au Prospero jusqu'au 21 octobre 2017.

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