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«Je me souviens»

Sommes-nous nostalgiques du passé ? Réactionnaire ou tout simplement incapables d'assimiler les impératifs d'un progrès qui nous échappe
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On ne me fouettera jamais pour avoir écrit ce texte. Raif Badawi, lui, a été condamné à 1000 coups de fouet et 10 ans prison pour avoir blogué.

Une réflexion éthique à propos de la mémoire collective et de ses avatars

À l'heure où nos gouvernements agitent le spectre d'un contrôle accru sur la circulation de l'information, la question de la mémoire refait surface avec une acuité renouvelée. Plus que jamais, ceux qui contrôlent l'information détiennent le pouvoir. Oubliant les leçons de l'histoire, plusieurs semblent avoir la mémoire courte au moment de composer ce billet.

«Je me souviens» constitue la devise officielle d'un Québec qui semble de plus en plus coupé de sa mémoire collective. Mathieu Bock-Côté, jeune sociologue et chroniqueur au Journal de Montréal, s'est fendu de plusieurs billets à propos de l'impérieuse nécessité de ne pas perdre cette mémoire qui est le fondement de l'identité collective.

Bock-Côté est monté aux barricades alors que les autorités fédérales voulaient débaptiser le pont Champlain, une opération susceptible, selon lui, de contribuer « encore un peu plus à l'évacuation de ce qui reste de la mémoire de la Nouvelle-France dans le paysage public québécois». Poursuivant sur sa lancée, il nous prévenait que «la Nouvelle-France demeure le moment fondateur de la nation québécoise. Continuer de nommer la réalité québécoise à partir des grands symboles qu'elle nous a laissés, consiste à rappeler la nature vivante de ce lien, aussi ténu soit-il dans une société toujours heureuse de s'immoler culturellement devant l'autel du présent perpétuel».

À propos d'amnésie

Chez les anciens Grecs, la mémoire était considérée comme une déesse : elle s'appelait Mnémosyne. Clef de toutes les connaissances, la mémoire déliait ses fils comme une infinité de rivières irriguant le fleuve de l'histoire. Généalogie de ceux et celles qui se sont « illustrés » au gré d'événements fédérateurs, l'histoire représente le grand livre de la mémoire collective. Mais, il y a histoire et histoire ... plusieurs observateurs perspicaces ayant eu le courage d'affirmer que, seuls, les vainqueurs écrivent l'histoire. C'est ce qui explique, peut-être, le fait que notre « Révolution tranquille » soit presque devenue une mythologie postmoderne gommant l'histoire ancienne, celle d'une Nouvelle France morcelée par une suite de conquêtes successives.

Dans l'ancien temps, avant une « révolution tranquille » qui ne représente qu'un aberrant oxymore dans les termes, la fabrique, où siège citoyen des paroisses, préservait les « fonts baptismaux », sortes d'archives qui ont permis à la généalogie des Canadiens français d'être transmise aux générations futures. Ainsi, lieu de rassemblement des fidèles, mais tout autant des citoyens, la paroisse agira comme l'élément constitutif des premiers villages, puis des villes. Bien plus qu'un instrument d'endoctrinement catholique, la paroisse demeure, envers et contre tous les manipulateurs de l'histoire, la première « agora » de la nation québécoise.

La fuite en avant

Depuis les années 1960, le centre d'achat aura remplacé le parvis de l'église comme agora populaire et nos urbanistes n'ont toujours pas réussi à retisser des liens susceptibles de rendre la ville aux piétons. L'automobile servant de véhicule aux consommateurs avides de «nouveauté», c'est le promeneur qui a été laissé pour compte dans toute cette histoire qui n'en est plus une. En effet, la police des esprits table sur l'éternel «circulez !» pour évacuer toute réflexion sérieuse au sein d'une agora qui ressemble à s'y méprendre à un plateau de télévision.

Qu'est-ce qui distingue un plateau de télévision d'une place publique ? C'est bien simple : ceux qui participent à « Tout le monde en parle » savent qu'ils sont filmés et qu'ils pourront, ultérieurement, être pris à partie pour certains dérapages verbaux. D'où cette écoeurante unanimité, tout sauf une manifestation de communication spontanée, qui suinte dans le sillage des «ébats télévisuels». À contrario, les paroissiens parlaient de tout et de rien sur le parvis de l'église, et poussaient l'ironie jusqu'à critiquer ouvertement le sermon du curé de service.

C'est donc dire qu'il y eut une époque où les débats publics étaient découplés du discours officiel (que ce soit celui de l'Église catholique, des politiciens ou des élites universitaires, par exemple). De nos jours, à l'heure de la « religion cathodique », l'œil de la camera voit tout, enregistre tout et transmet tout. En prime time. D'où la propension de nos contemporains à se tortiller le cul, toujours à la recherche d'une posture convenable à adopter. La posture (média) remplace ce que nous aimerions dire (médium) en définitive.

Une histoire sur commande

Nous sommes à l'heure de la communication cosmétique, du gommage de la mémoire collective. C'est ce qui explique, sans l'ombre d'un doute, l'empressement de la classe politique à récupérer un événement afin de relayer les consignes d'usage aux prescripteurs de la classe médiatique qui feront en sorte que les quidams comprennent rapidement quelle posture adopter. Ainsi, la tristement célèbre «affaire Charlie Hebdo» aura cédé la place à une opération de communication menée à la vitesse de l'éclair. Du jour au lendemain, un énorme fait divers devenait une «affaire nationale» et, le surlendemain, appartenait, déjà, aux anales de l'histoire.

Entre l'événement et sa représentation par les circuits officiels, une manifestation « nationale » aura permis de récupérer la juste indignation d'une partie de la population afin de générer un vent de panique, détonateur qui a fait ses preuves lorsque vient le temps de fabriquer du consentement collectif. Une fois le bouton du détonateur pressé, il devenait périlleux de critiquer le «narratif» des événements du 7 janvier dernier. La presse aux ordres des prescripteurs officiels (conseillers en communication, en sécurité ou en éducation, voire en rééducation) s'est mise à lancer des anathèmes dans le cadre de ce qui s'apparente à une «chasse aux sorcières» nouveau genre.

Que s'est-il passé entre les années 1960 et aujourd'hui ? C'est bien simple. À l'époque de nos vaillants révolutionnaires pantouflards, il était permis, et même recommandé, de critiquer l'histoire « officielle », celle qui célébrait l'épopée d'une nation en train de se coaguler, de naître. Les historiens, pour ne pas les nommer, qui avaient été formés par le « cours classique » étaient devenus suspects, montrés du doigt par les tenants d'une modernité qui entendait réécrire l'histoire, rien de moins. Curieusement, en 2015, les politiciens ont remplacé les historiens (toutes catégories confondues) et ils se mettent à écrire une histoire qui ressemble à un programme préélectoral. Un rappel à l'ordre qui ne s'« enfarge pas dans les fleurs du tapis » pour marteler que ceux qui détiennent le pouvoir sont ceux qui ont le droit d'écrire l'histoire.

La dérive totalitaire

À l'époque où les Mark Twain de ce monde témoignaient des actualités, dans un contexte où les premiers journalistes étaient qualifiés d'« historiens du quotidien », la circulation des idées ne se faisait pas en boucle fermée. L'imprimerie, après avoir permis la libre circulation d'une Bible publiée en langage vernaculaire, se mettait de la partie pour que les témoins oculaires d'une époque puissent participer à une narration qui échappait encore au totalitarisme. Les patrons de presse n'avaient pas encore lancé la serviette au profit des «groupes de presse» et des «publicitaires», ancêtres de nos prescripteurs actuels. Les faits courants n'étaient pas simplement recensés, commentés ou analysés, ils pouvaient, même, donner lieu à de mémorables batailles d'interprétation.

De nos jours, à l'heure de l'ubiquité d'Internet, la « presse aux ordres » attend les directives du gouvernement avant de publier quoi que ce soit et les voix discordantes sont immédiatement qualifiées de «conspirationnistes». Ce néologisme traduit bien la méthodologie du nouveau totalitarisme des pensées. Le pouvoir (et tous ses relais) prend appui sur certains événements pour mettre en place une grille de lecture (un narratif) qui déterminera ce qui peut être analysé et ce qui n'a pas droit de cité dans cette enceinte médiatique qui fait penser à un prétoire. Le prétoire de la nouvelle inquisition de la pensée.

L'histoire qui, naguère, se nourrissait des innombrables témoignages et qui pouvaient dans certains cas être réécrite en partie, redevient une science. Cette même science baptisée « matérialisme historique » qui aura permis à l'impitoyable dictature stalinienne d'emprisonner, de traiter et, in fine, de détruire la conscience de ceux qui auront osé défier le narratif officiel. Désormais, l'histoire est un instrument de façonnement de la conscience, pseudoscience d'une «dictature soft» qui est en train de nous asphyxier lentement, mais sûrement.

Comble de l'abrutissement, certains relais - de cette gouvernance mondiale qui se met en place - ont décrété, depuis peu, que l'histoire comporte des événements qui sont sacralisés, devenant intouchables et indiscutables. Cette focalisation sur certains narratifs de l'histoire fait en sorte que cette discipline passe de la pseudoscience à la religiosité. C'est alors que la foule des consommateurs replets (qui ont le ventre plein et la conscience vide) est avisée qu'il n'existe qu'une seule histoire. Celle que dicte un pouvoir qui est de moins en moins «soft».

Ici et maintenant

Sommes-nous nostalgiques du passé ? Réactionnaires ou tout simplement incapables d'assimiler les impératifs d'un progrès qui nous échappe ? Que nenni ! On ne refait pas l'histoire et on ne peut pas marcher à reculons. L'histoire est un fleuve et les historiens véritables tentent, tant bien que mal, de ramer contre vents et marées. Quelques fois, nous n'avons pas le choix que de ramer à contrecourant, pas pour nier l'histoire, mais bien pour tenter de repêcher une partie de nos précieux vivres ayant sauté par-dessus bord. Et, il nous arrive, de temps en temps, d'accoster sur une île déserte. Le temps de reprendre nos forces et de prendre nos esprits. Parce qu'il faut du temps pour prendre conscience de «ce qui se passe» autour de nous. C'est ce qui explique le fait que le présent ne soit, presque toujours, qu'une répétition du passé. La suite logique des événements. Encore faudrait-il savoir pourquoi certains événements ont-ils préséance sur d'autres.

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