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Je suis jalouse de toutes les mères, qu'elles soient adolescentes ou plus âgées

Je me suis mariée à quarante ans.Et à cet âge-là, c'est incroyable le nombre de gens qui m'ont demandé si nous comptions avoir des enfants. Je leur répondais que non, nous n'en aurions pas.
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J'ai écrit ce texte il y a quatorze ans. En ce jour de fête des Mères, je me sens prête à le partager.

Je me suis mariée à quarante ans.

Et à cet âge-là, c'est incroyable le nombre de gens qui m'ont demandé si nous comptions avoir des enfants. Je leur répondais que non, nous n'en aurions pas. Ce qui me semble incroyable aujourd'hui, c'est que je pensais mentir. Garder le secret.

Évidemment nous aurions des enfants. Quarante ans, c'est encore jeune.

J'ai toujours eu de la chance, notamment sur le plan professionnel. Je suis assez arrogante pour imputer ce succès à mon intelligence et à mon travail, mais suffisamment honnête pour reconnaître qu'il résulte en partie de la grande quantité de temps libre dont je dispose. Je travaille dur parce que je n'ai rien de mieux à faire. Non que je sois particulièrement ambitieuse. J'essaie simplement de passer le temps de manière intéressante. Au bureau, les gens m'écoutent, accordent de l'importance à mes opinions et me paient plutôt bien. Mais je dois reconnaître que j'échangerais tout cela contre un bébé. Quelle ingratitude !

En plus de tout cela, j'ai trouvé un mari à quarante ans, et gentil qui plus est. Si l'on en croit les statistiques, j'avais plus de chances de mourir écrasée par une météorite. Et il me faudrait encore un enfant ?

Mon mari, qui est un peu plus âgé que moi, n'a jamais été tout à fait sur la même longueur d'ondes. Avant moi, il était marié à une femme qui ne pouvait pas avoir d'enfants. Il s'est donc habitué à un avenir sans eux. Il ne sait pas s'en occuper, et il pense qu'il ne ferait pas un bon père.

Il aurait été fantastique. J'ai vu à quel point il adore et prend soin de nos petits chats. Il partage notre repas avec eux, démêle patiemment leur pelage, vante leurs exploits même quand son auditoire commence à trouver le temps long et, le moment venu, il leur construit de petits cercueils en pleurant.

Quand nous nous sommes mariés, il savait que je voulais un bébé mais il n'avait aucune idée de l'étendue de mon désir.

Au début de notre mariage, j'ai eu du retard dans mes règles. Submergée d'angoisse et de bonheur, je passais de longs moments assise, sans bouger, à retenir ma respiration et compter les secondes qu'il me restait avant que ma vie change pour toujours. Ca a duré deux longues semaines. J'étais terrifiée à l'idée de m'être trompée. Je n'ai pas vu que mon mari avait peur pour d'autres raisons. Oui, on pourrait très bien avoir un enfant... mais... financièrement, c'est un peu difficile en ce moment, tu seras obligée de mettre ta carrière entre parenthèses. Quand il faudra lui payer des études supérieures, on sera à la retraite. Si on meurt, il sera orphelin... A vrai dire, je n'ai écouté que la première phrase. Quand mes règles sont finalement arrivées, j'ai souffert en silence. Mon mari m'a témoigné beaucoup d'attention, mais son empathie laissait transparaître un soulagement manifeste. J'ai passé toute la journée au lit, les stores baissés. Je le sentais me regarder de temps à autre dans l'embrasure de la porte, comme s'il savait que mon chagrin lui était inaccessible. Oui, on pourrait avoir un enfant, a-t-il dit. Je sais que ça te comblerait.

Je suis la personne la plus égoïste de la planète.

Le mois suivant, mon médecin m'a recommandé un spécialiste de la fertilité. J'ai pris ses coordonnées et je les ai mises dans mon sac en sachant que je ne l'appellerais pas.

J'étais certaine de tomber enceinte, et de ne pas avoir besoin d'aide. Tous les mois, j'y ai cru. Pendant dix ans. Je pleure encore quand j'ai mes règles. J'essaie de garder ça pour moi, mais mon mari me surprend parfois. Il me console et j'espère qu'il pense que c'est lié à mes hormones. À mon âge, ce ne serait pas étonnant.

Je suis jalouse de toutes les mères, qu'elles soient adolescentes ou plus âgées. Je suis jalouse des femmes qui tombent enceintes du premier coup, comme de celles qui finissent par avoir un enfant après de multiples fausses couches et de faux espoirs.

Et maintenant j'ai cinquante ans. Nous n'aurons pas d'enfants.

Cela ne va pas occasionner de grands changements puisque j'ai déjà une vie sans enfant. Désormais, ce sera permanent. C'est une vie très agréable et elle continuera comme avant. Je dois simplement faire quelques ajustements vis-à-vis de ce que j'espérais.

Pendant trente ans, j'ai observé des mères avec leurs enfants et retenu certaines scènes, pensant qu'elles me serviraient un jour. J'ai volé ces moments comme une voleuse à l'étalage garde les vêtements qu'elle a dérobés dans un placard, sans oser les porter. Mon armoire est pleine à craquer.

Mais ces vêtements ne me vont plus. Il est temps d'en faire un paquet pour la Croix-Rouge.

Le premier jour d'école, les cartes et colliers de nouilles pour la fête des Mères. Le patin à glace et les comptines que l'on chante dans la voiture. La varicelle et les jeux informatiques. L'entraînement pour le foot. Les caprices. Les céréales sur les coussins du canapé, les vélos dans l'allée.

Ce sont de toutes petites images, vraiment insignifiantes. Les souvenirs de quelqu'un d'autre, auxquels il est temps de renoncer. Nous n'aurons pas d'enfants.

Au restaurant, un petit garçon pose un instant la tête sur la poitrine de sa mère. Elle lui caresse les cheveux avant qu'il retourne à sa pizza. L'année dernière, j'aurais certainement conservé ce moment. Mais je n'ai plus d'endroit où le ranger. Je le laisse partir.

Ma vision de l'avenir a laissé la place à un grand vide, qui ne saurait s'éterniser. Après tout, je suis une battante. Je sais que de nouvelles images viendront remplacer celles-ci. Peut-être des images de feux de cheminée et de bons livres, de fleurs fraîches sur la table, de plages, de couchers de soleil, de conversations, de balancelles. J'ai l'intuition que ces rêves seront plus calmes, mais je sais qu'ils m'attendent déjà.

J'ai passé toutes ces années à mettre de l'argent de côté sans rien dire à personne pour les études supérieures de mes enfants. Mais nous n'en aurons pas. L'argent a été réaffecté.

Mon mari et moi faisons construire à la campagne, sur un coin de terre à couper le souffle, une très jolie maison que nous avons conçue nous-mêmes. Elle possède donc à peu près tout ce dont nous avons toujours eu envie.

Vous vous souvenez du film Grand Canyon ? Je crois que les critiques ne l'ont pas aimé, mais moi, si. À un moment, Mary McDonnell sort faire son jogging et trouve un bébé abandonné dans les buissons. Elle le garde. Cela n'enchante pas son mari, mais c'est Kevin Kline, il est magnifique, leur relation est parfaite et ils ont une vision si positive de la vie qu'il ne fait pas le moindre doute que tout finira par s'arranger.

Parfois, quand je sors me promener, j'observe attentivement les buissons.

Ce blog, publié à l'origine sur Le Huffington Post (États-Unis), a été traduit par Catherine Biros pour Fast for Word.

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