Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Journalistes surveillés par la SQ: des zones d'ombre demeurent

Journalistes surveillés par la SQ: des zones d'ombre demeurent

En décidant de surveiller en 2013 le registre des appels de six journalistes, dont trois de Radio-Canada, la Sûreté du Québec (SQ) a voulu faire la lumière sur une affaire qui remonte à une dizaine d'années. Retour sur un dossier aux ramifications multiples, qui n'a pas encore livré tous ses secrets.

Un texte de Mélanie Meloche-Holubowski

L'histoire commence avec l'Opération diligence menée par la SQ à la fin des années 2000 au sujet de l'infiltration de l'économie légale par le crime organisé.

La SQ entreprend une enquête au printemps 2007 après la plainte d'un entrepreneur en maçonnerie, qui affirmait que les Hells Angels tentaient d'infiltrer son entreprise.

L'enquête visait notamment à établir les liens entre la mafia, les motards et la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ).

Puis, en septembre 2013, certains médias apprennent que Michel Arsenault, alors président de la FTQ et président du conseil d'administration du Fonds de solidarité de FTQ, a fait l'objet de surveillance électronique et de filature de la SQ, entre septembre 2008 et septembre 2009.

La fuite des transcriptions de cette surveillance électronique dans les médias arrive au moment où la commission Charbonneau se penche sur les milliers de conversations interceptées par la police au cours de l'Opération diligence.

Enquête sur les fuites

Le 10 septembre 2013, Michel Arsenault envoie une lettre à Stéphane Bergeron – alors ministre de la Sécurité publique – et l'exhorte à ouvrir une enquête sur l'origine de ces fuites. Il se dit alors victime d'une fuite d'informations illégale et « inacceptable ». Rappelons que Michel Arsenault n'a jamais fait l'objet d'accusations criminelles.

M. Arsenault confirme dans sa lettre qu'il a été avisé par la SQ au printemps 2009 qu'il était sous surveillance depuis déjà quelques mois. Il dit avoir pourtant eu l'assurance que la divulgation des transcriptions, images ou vidéos de cette surveillance était une infraction criminelle.

« Les fuites ne peuvent provenir que de deux sources, la Sûreté du Québec ou la CEIC [Commission d'enquête sur l'industrie de la construction]. Les procureurs de la CEIC ont assuré les procureurs du Fonds de solidarité FTQ que la fuite ne venait pas d'eux », écrit Arsenault dans sa missive.

M. Bergeron a affirmé en 2013 qu'il avait reçu la lettre de Michel Arsenault, mais qu'il ne lui avait pas parlé de vive voix. Une affirmation qu'il a réitérée mercredi.

Quelques heures après avoir été appelé par le ministre de la Sécurité publique, le directeur général de la SQ à cette époque, Mario Laprise, annonce le début d'une enquête pour tenter de découvrir la source de ces fuites.

Article 193 du Code criminel :

Lorsqu'une communication privée a été interceptée au moyen d'un dispositif électromagnétique, acoustique, mécanique ou autre sans le consentement, exprès ou tacite, de son auteur ou de la personne à laquelle son auteur la destinait, quiconque, selon le cas :

a) utilise ou divulgue volontairement tout ou partie de cette communication privée, ou la substance, le sens ou l'objet de tout ou partie de celle-ci;

b) en divulgue volontairement l'existence,

sans le consentement exprès de son auteur ou de la personne à laquelle son auteur la destinait, est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de deux ans. »

Stéphane Bergeron, aujourd'hui porte-parole du Parti québécois en matière de sécurité publique, nie avoir demandé que les journalistes soient ciblés pour connaître l'origine de fuites de renseignements policiers dans les médias.

« C'est une initiative que je n'ai évidemment pas demandée, et c'est une initiative que je n'aurais jamais autorisée, et c'est une initiative dont je n'ai jamais été informé avant il y a quelques instants », a-t-il dit en conférence de presse, aux côtés de son chef, Jean-François Lisée.

Je m'attendais à ce qu'on enquête sur les fuites à l'interne, pas qu'on épluche les registres d'appels des journalistes

Stéphane Bergeron

Raymond Bachand, Arsenault et les fuites

Au cours d'une conférence de presse mercredi après-midi, M. Bergeron a laissé entendre que Raymond Bachand avait lui-même informé M. Arsenault du fait qu'il était sous écoute électronique.

« Bachand a communiqué avec M. Arsenault, a affirmé M. Bergeron. Comment se fait-il que Raymond Bachand ait eu cette information? [...] Comment une information aussi sensible a pu se rendre aux oreilles à un membre du conseil des ministres, qui a pris le téléphone et qui a dit au principal intéressé : "Tu fais partie d'une écoute électronique", risquant de faire dérailler une enquête policière? »

M. Bergeron s'appuie sur une conversation diffusée à la commission Charbonneau entre Raymond Bachand et M. Arsenault. Le leader syndical, qui souhaitait à l'époque être nommé au sein du conseil d'administration de la Caisse de dépôt et placement du Québec, voulait savoir pourquoi sa nomination semblait être bloquée, même si Jean Charest lui avait promis ce poste le 12 janvier 2009.

Quand M. Arsenault a demandé au ministre des Finances de l'époque, Raymond Bachand, si l'écoute électronique par la SQ était la raison pour laquelle il n'avait pas été nommé au C.A. de la Caisse de dépôt, M. Bachand n'a pas répondu. M. Arsenault a alors compris qu'il s'agissait bel et bien pour cette raison qu'il n'a pas obtenu le poste.

M. Arsenault affirme dans sa lettre à M. Bergeron qu'il a plutôt été averti par la SQ, conformément à la loi.

Plusieurs questions restent en suspens

Qui est le sixième journaliste qui a été surveillé? Pendant combien de temps les journalistes ont-ils été surveillés?

Qui est l'auteur des fuites médiatiques qui ont révélé l'enquête visant Michel Arsenault?

Pourquoi la SQ a-t-elle mené une enquête criminelle contre les journalistes?

Qui a autorisé l'écoute électronique des journalistes?

Enfin, qui sera chargé de l'enquête qui examinera le recours à l'écoute électronique dans le cas de journalistes?

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.