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La Charte, un futur Monument de l'histoire du Québec malgré ses failles

Nous demandons que tous les partis de l'Assemblée nationale cessent toute partisanerie sur cette Charte. Sur la question des principes, la division partisane déprécie la démocratie aux yeux des citoyens. Les parlementaires paient en prestige ce qu'ils perdent en élévation. Alors, tous les progressistes de tous les partis, unissez-vous!
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Rien de moins qu'un Monument, mais il faut le démontrer.

Les Québécois ne sont guère habitués à exhiber leur fierté nationale. Ainsi, ils ont imaginé le Cégep, mais ils n'ont pas tellement à l'esprit que cette institution est d'une formidable originalité et d'une efficacité éducative performante. S'il était un produit exportable, il nous aurait rendus fort riches...

Il en sera de même pour la Charte des valeurs de laïcité dont je prédis qu'elle sera sûrement imitée, et pourquoi pas mondialement.

Ayons aussi à l'esprit que la Suisse, l'un des pays les plus démocratiques de la planète et gestionnaire important des dollars de la manne pétrolière, a interdit sur son territoire l'érection de minarets. Un de ses cantons, le Tessin, a en 2013 interdit la burka et le niqab (visages cachés) dans l'espace public.

Aucun dollar (arabe, juif, chrétien ou autre) ne doit permettre de passer outre à la démocratie des Lumières.

Le mot «Lumières» et leur apport exact sont trop peu connus et cette méconnaissance transparaît dans les débats. La raison en est simple : on a laissé nos écoles et les programmes scolaires aux mains des bigots qui se sont empressés de nous les cacher lors de notre cursus scolaire à tous. Cette ignorance grave perdure dans le cours Éthique et culture religieuse (ECR) de triste facture. Ignorer les Lumières pour un peuple démocratique contemporain, c'est comme pour un individu ignorer sa date de naissance...

Voici les raisons qui ont provoqué, chez ses partisans, un tel enthousiasme pour la Charte, ce solide projet de loi si bien pensé et si nécessaire, avec quelques bémols cependant.

1. Le large et tonique débat démocratique auquel la promesse de cette Charte des valeurs de laïcité a donné lieu.

2. Son humanisme issu des Lumières. Il donne droit de cité à la religion, mais dans des lieux de culte et privés. La Charte vise les organismes de l'État et leur fonctionnement uniquement.

3. La croyance religieuse, dans les lieux privés, est rigoureusement respectée. La Charte n'en mentionne aucune nommément et sans préférence; c'est un progrès quand on sait que toute religion se prétend la seule légitime ou la plus authentique au détriment de toute autre.

4. Le refus des codes vestimentaires médiévaux (visage voilé) (art.7, 9), et le refus de toute espèce de sexisme misogyne par le principe de l'égalité entre les hommes et les femmes.

5. La religion doit céder le pas aux valeurs sociétales de : «sécurité», «égalité homme-femme», «communication» fluide, «identification» univoque (art.7).

6. Son grand respect des dissidents religieux à qui sont accordés des délais d'adaptation et du droit à des accommodements spécifiques mais raisonnables. Leur accompagnement «par un dialogue avec la personne concernée» (art. 14) est ici assuré. L'accommodement religieux accordé si la faisabilité est possible: «équité, contrepartie, conséquences, taille, fréquences et durée» (art 16) sont tous des critères raisonnables.

La liberté, si fréquemment invoquée par les tenants de l'inclusion des signes ostentatoires religieux, est ici parfaitement protégée. Elle est balisée par des critères d'ordre public comme le sont toutes les autres libertés. Baliser n'est pas bannir.

7. Son application graduelle (art. 44 et suiv.), est éminemment respectueuse des sensibilités.

8. L'implication est exigée des organismes qui se prévaudront de ses articles pour que l'application de la Charte soit près des gens et de leurs revendications légitimes et raisonnables.

9. La Charte fait appel à une vertu citoyenne capitale : la discipline civique par la «preuve de réserve» et de «neutralité religieuse» (art 3 et 4) des convictions intimes personnelles sans qu'aucune ne soit stigmatisée ou dépréciée. La même discipline qu'on s'impose tous quand nous devons enlever nos souliers avant d'entrer dans une mosquée ou de baisser le ton quand on visite la chapelle Sixtine.

Y est présent le respect des convictions religieuses du fonctionnaire et du prestataire de service à qui il n'est nullement demandé d'y renoncer. En effet, un croyant ou un athée qui n'affiche pas sa conviction n'y renonce pas; il se discipline à ne pas l'afficher ou en causer.

10. L'État est neutre : il ne favorise, ni ne défavorise quelque option métaphysique que ce soit. Ainsi, sa neutralité s'étend aux entreprises privées qui font affaire avec lui (art.10). En corollaire, aucun favoritisme et aucune préférence ne s'exerceront non plus sur les entreprises et organismes privés qui font affaire avec lui.

11. L'État est éducateur : il module l'apprentissage de la réserve, de la discrétion et de la discipline citoyenne d'obéissance à la loi en accompagnant les citoyens dans la « mise en œuvre des prescriptions» (art. 29 et 33).

12. Il protège les enfants (art. 30), bien que partiellement (art. 11), du prosélytisme religieux dans les écoles. Ainsi il reconnait de facto et implicitement qu'un enseignant est un détenteur d'autorité et d'influence très important.

13. Il se réserve le droit de sanction finale de tout accommodement (art.50).

14. Le patrimoine culturel est protégé sans connotation religieuse spécifique (art. 41).

Cette Charte, lors de sa promulgation, sera un Monument à la gloire du peuple québécois attaché à la philosophie des Lumières et elle sera mondialement imitée si nous savons en faire l'objet de notre légitime fierté.

Le billet se poursuit après la galerie

Cependant elle demeure à la fois imparfaite (avec des «trous» inclusifs délétères, en fait des failles). Dans la présente Charte, «les failles» sont les articles 13, 33, 38, 39, 111 et 112.

Pour cette raison, elle est inachevée et perfectible ; et nous devons ici faire patiemment confiance au progrès démocratique :

1. Exactement de même nature que «la faille» qu'est l'article 20 de la Charte des droits et libertés du Québec (1975) qui permet de se soustraire aux droits de la personne pour des «motifs religieux ou éducatifs». C'est la ruse cachée des bigots en vue de se soustraire à la modernité laïque.

Les mots «apporter son soutien » (art. 33) pour faciliter la mise en œuvre de la présente Charte» n'augurent rien de bon, car la Charte est déjà très claire. A-t-on besoin du «soutien» de l'État pour apprendre à s'habiller comme tout le monde ? Demander de l'aide sera sans doute un euphémisme pour demander de s'y soustraire en tout ou en partie, et en catimini.

2. Une autre faille : soustraire l'Assemblée nationale des exigences déjà exprimées dans la Charte (art. 38 et 39). Depuis quand un député ne ferait pas œuvre, à l'instar de tous les autres citoyens, de discipline civique et laïque ? A fortiori, un législateur ! Enfin, depuis quand un crucifix à déplacer nécessite un déménageur spécialisé ?

3. Heureusement, la Charte ne dit pas expressément que l'État n'a pas à subventionner un actif du patrimoine par le simple fait qu'il soit religieux (art. 41). Mais il en habille la possibilité de l'euphémisme «éléments emblématiques ou toponymiques», et il s'engage à «en tenir compte».

Nous risquons de payer, par nos taxes et sous la table, des subventions inacceptables, car médiévales. (cf. aux églises, propriété du Vatican, la subvention de 67 millions $ octroyée par un ancien premier ministre pour avoir sa photo dans le journal avec le pape... Une photo patrimoniale, c'est sûr).

Ce n'est pas respecter notre histoire que d'entrer dans le trou de serrure du colonialisme culturel, et c'est donner notre argent à un État étranger.

Certaines religions sont encore si influentes au Québec que nos élus risquent de les flagorner par électoralisme sans grandeur. Il faut rappeler à nos députés : il n'y a pas de politique noble sans courage et de politique efficace sans modernité.

L'hémorragie fiscale perdure : «En 2010, le crédit d'impôt aux particuliers pour les dons à des organisations religieuses (33 000 au Canada et 4500 au Québec) (...) a coûté 1,08 milliard $ au gouvernement fédéral, bref, à nous tous.

Au Québec, il y a «1427 organisations catholiques, 30 islamiques et 280 Témoins de Jéhovah), mais 6% seulement d'entre elles utilisent leurs ressources à autre chose qu'au culte et à la promotion de la foi» (L'actualité, déc. 2013, p.11). Les 94% organisations restantes les utilisent à quoi ? La cause est entendue : parasitisme fiscal.

Une Charte cohérente et conséquente doit absolument mettre fin à cette honteuse exonération fiscale, un scandale violant le pacte citoyen fondé sur l'égalité qu'est toute justice. Les Lumières nommaient ce pacte citoyen : «unité réelle de tous (...) par convention de chacun avec chacun» (Hobbes) et un «contrat social» (Rousseau).

4. Sont soustraits de la Charte (art.11), et sans raison valable, les professeurs d'université qui dispensent un «enseignement de nature religieuse» ou un «service d'animation spirituelle», euphémisme pour nommer une propagande qui se veut très sympathique à l'égard de la religion, de même qu'une concurrence déloyale aux véritables professionnels de la santé (psychologues et médecins). La psychologie est la véritable science moderne de l'âme humaine et la philosophie rationaliste son meilleur guide.

Encore là, une faille désastreuse que cet article 11. La pensée magique d'origine néolithique, protégée dans une université, est une aberration protégée par l'indifférence. J'ai déjà pris connaissance de ces cours, et leur scientificité est égale à presque zéro. Que font-ils dans une université ? Et les protéger nommément dans une Charte est le comble de la plus lâche démission, ou un sapin passé entre les pattes du législateur. Les universitaires en quête de subventions devraient aussi ouvrir les yeux sur ces fonds universitaires gaspillés.

5. Enfin, la pédophilie catéchistique (non sexuelle) est une agression contre l'enfance. Rien dans la Charte pour protéger les enfants dans les écoles privées d'un tel enseignement, et rien non plus sur la partie CR (culture religieuse) du cours ECR si mal fagoté. C'est vers 17-18 ans que les options métaphysiques, en respect complet des personnalités, doivent être proposées, car c'est l'éveil et l'âge philosophiques par excellence.

Il faut soustraire à l'enseignement religieux l'accès aux enfants qui sont trop jeunes pour disposer de ces visions du monde et les protéger d'y être quasiment formatés tant les enfants sont dénués de toute capacité à la distanciation critique, capacité propre à la maturité. Nous allons ici pouvoir tester le fond de l'ambition religieuse : humanisme pédagogique ou avidité pédophile prosélyte.

6. Autre faille (art. 13). Un médecin ou un pharmacien pourront «ne pas fournir des services professionnels en raison de leurs convictions personnelles». Pourquoi un médecin juif pourrait s'abstenir de soigner un jeune islamiste ? Des médecins israéliens les soignent. Un médecin musulman masculin pourrait refuser de soigner une femme musulmane ou un sioniste ? Ou une femme à avorter ou assister celle qui a avorté ? Cet article 13 est en contradiction flagrante avec le serment d'Hippocrate. Hippocrate, dans son serment, invoque les dieux (Apollon, Asclépios, Hygie et Panacée) non pour tourner le dos au malade mais pour s'y pencher.

Les Lumières contemporaines vont ici hurler leur désaccord sur l'article 13. En effet, la vie humaine et le soulagement de la souffrance sont des principes et des valeurs au-dessus de toutes les religions. Elles doivent être affirmées, par l'État moderne des Lumières, supérieures aux convictions métaphysiques obsolètes ou révolues. De même, le droit pour tout citoyen d'exiger la protection de ceux qui le peuvent, a fortiori quand c'est leur métier, est inaliénable. C'est le principe axial de la philosophie des Lumières fondatrice de la modernité et de nos États démocratiques.

7. Nous déplorons, dans la Charte canadienne des droits (1982,) l'expression archaïque «la suprématie de Dieu», reliquat de la lutte anticommuniste sans doute. De même dans le présent projet de loi les mots «besoins spirituels» (art. 19) n'y ont pas leur place.

Périclès lui-même, homme d'État athénien de la toute première démocratie occidentale (-507 à -404), n'aurait jamais placé la religion en «suprématie» sur d'autres valeurs ou droits. Il l'a affirmé, nous le rappelle Thucydide : dans notre constitution, «c'est la liberté». Pas celle des démocrates à double face d'aujourd'hui qui s'en servent pour y infiltrer des comportements misogynes ou théocrates. Périclès proclame la liberté qui dirige la plénitude individuelle et citoyenne. Non la communautariste, la tribale ou la religieuse.

Une religion, et une spiritualité ne sont pas des «besoins» mais des opinions. Une «religion», en plus, n'a rien d'universel (elles sont toutes en concurrence, même violente) ; et une «spiritualité» est un mot spécieux, une auberge espagnole. Si ces «besoins spirituels» prétendent à l'existence, les lieux de culte ou associations privées y sont leur place, pas dans une Charte.

Malgré ces bémols nous espérons que le gouvernement du Parti Québécois - le plus grand parti vigoureux et novateur depuis Jean Lesage - s'en serve pour améliorer le projet de loi.

Et avec l'aide non partisane des autres partis... Est-ce rêver ? Tous les partis, bien naturellement, sont divisés sur cette question, comme ils l'ont toujours été sur d'autres sujets (féminisme, liberté des mœurs, écologie, développement urbain, et autres).

Le conservatisme du PCC est, bien sûr, affligeant et irrémédiable. Mais le NPD, le PLC, la CAQ, QS et le PLQ doivent lui tenir tête et soutenir le Parti québécois pour des raisons de principe : modernisme et progressisme. Ces axes politiques majeurs sont rassembleurs et consolidateurs de la culture commune. Sans cette culture commune fortement solidifiée par la Charte notamment, un grave danger vous guette: d'adversaires aujourd'hui vous serez ennemis demain, car la barbarie est à nos portes, et aucun régime n'est pérenne sans vigilance.

Nous demandons que tous les partis de l'Assemblée nationale cessent toute partisanerie sur cette Charte. Sur la question des principes, la division partisane déprécie la démocratie aux yeux des citoyens. Les parlementaires paient en prestige ce qu'ils perdent en élévation.

Alors, tous les progressistes de tous les partis, unissez-vous !

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Extraits du manifeste du Refus global (1948)

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