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La dette, les finances publiques et l'austérité: pourquoi cacher la vérité?

La dette du Québec est-elle trop lourde à porter?
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La situation financière du Québec est difficile. C'est le grand présupposé qui justifie la politique d'austérité du ministre Martin Coiteux et du premier ministre Philippe Couillard. Mais est-elle à ce point en mauvais état? Et surtout, face aux problèmes réels que nous vivons, est-ce que l'austérité est la bonne solution?

La dette du Québec est-elle trop lourde à porter?

Pour appuyer l'idée que ça va mal dans nos finances publiques, certains pointent du doigt la dette du Québec. Or, dans une étude effectuée pour le compte de l'IRIS , Francis Fortier et Simon Tremblay-Pepin ont démontré que cette inquiétude était nettement exagérée. Il ne faut pas regarder seulement la dette en tant que telle, mais bien son rapport au produit intérieur brut (PIB), c'est-à-dire à la richesse qui est produite au Québec. Le PIB du Québec pour l'année 2012-2013 est de 357,9 G$ (357,9 milliards de dollars). Or, en 2013, la dette du secteur public (la dette du gouvernement + celle des institutions publiques telles que Hydro Québec, les hôpitaux et les universités) est de 256,4G$ (soit 70,3% du PIB). La dette brute (la dette du gouvernement, à l'exclusion du reste du secteur public, sans tenir compte des actifs financiers) est de 191,8 G$ (53,6% du PIB). La dette nette (la dette brute du gouvernement de laquelle on soustrait les actifs financiers) est de 175,4G$ (49% du PIB). La dette représentant les déficits cumulés (la dette nette moins la part de la dette réservée aux dépenses d'infrastructures qui n'ont pas encore été amorties) est de 118,1 G$ (33% du PIB). Peu importe de quelle dette il s'agit, la richesse produite est nettement supérieure à la somme due.

Il faut aussi distinguer les différentes causes de l'endettement. On a tendance à distinguer la «bonne dette» et la «mauvaise dette». Pour certains, la bonne dette représente la part de notre dette qui est due aux dépenses d'infrastructures (ponts, routes, bâtiments) et la mauvaise dette est la dette représentant les déficits cumulés (les dépenses courantes, communément appelées aussi « dépenses d'épicerie »). Quelle proportion est occupée par la mauvaise dette si on la compare à la dette nette? À première vue, puisque la mauvaise dette semble coïncider avec la dette représentant les déficits cumulés (118,1 G$), elle représente 67,3% de la dette nette.

Toutefois, étant donné les opérations comptables adoptées par le gouvernement, la dette représentant les déficits cumulés fait intervenir non seulement les dépenses courantes habituelles (salaires des employés de l'État, programmes sociaux, subventions aux fonds de fonctionnement des institutions universitaires, etc), mais aussi le service de la dette, c'est-à-dire le paiement des intérêts sur le capital emprunté, incluant celui qui a servi à réaliser des dépenses d'infrastructures. Mais plus important encore, elle contient aussi des investissements effectués en termes d'immobilisations et plus généralement d'infrastructures. Autrement dit, on fait entrer dans le fonds de fonctionnement du gouvernement (servant normalement aux dépenses courantes) des dépenses effectives d'infrastructures et on exclut seulement les sommes qui ne sont pas encore amorties au chapitre de ces infrastructures.

Cette convention comptable est aussi devenue une pratique courante dans nos universités, comme l'a révélée l'étude fouillée de la Fédération québécoise des professeures et professeurs d'université (FQPPU). Les universités consacrent une part de plus en plus importante de leur budget de fonctionnement au fonds des immobilisations (i.e. à la construction de bâtiments universitaires). Les déficits cumulés des institutions universitaires s'expliquent ainsi en partie par le fait qu'une part importante de leurs dépenses d'infrastructures ont été comptabilisées dans leur fonds de fonctionnement et non dans le fonds des immobilisations.

Quand on tient compte de la part du budget de fonctionnement du Gouvernement consacrée aux dépenses d'infrastructures, cela fait croître la partie de la dette consacrée aux dépenses d'infrastructures (la « bonne dette») et cela réduit par le fait même la dette due aux dépenses courantes (la « mauvaise dette »). Par rapport à la dette nette, la dette due aux opérations courantes accapare en réalité seulement 32% de la dette nette (et non 67,3% qui concerne la dette représentant les déficits cumulés), alors que la bonne dette accapare en réalité 68% de la dette nette. Autrement dit, le gouvernement du Québec s'est surtout endetté à cause de ses dépenses d'infrastructures et non à cause de ses déficits d'opérations courantes.

Dans leur texte, Fortier et Pepin-Tremblay démontrent aussi que la dette est en grande partie due à des créanciers québécois dans une proportion de 85%, ce qui ne nous rend pas vulnérable à l'égard d'un pays étranger. En outre, la situation du Québec est avantageusement comparable à un très grand nombre de pays au sein de l'OCDE. L'ensemble des engagements financiers du Gouvernement du Québec (incluant la dette des municipalités, des services sociaux, des hôpitaux et des universités) atteint 205,7G$ en 2013, soit 57,5% du PIB québécois. Si on inclut la part québécoise de la dette du gouvernement fédéral, les engagements bruts atteindraient 339,1 G$, soit 94,8% du PIB. Même dans ce cas, le Québec serait moins endetté que la Grande-Bretagne, l'Espagne, les États-Unis, la zone Euro, le total des pays de l'OCDE, la France, le Portugal, l'Italie et le Japon.

Si l'on tient compte de l'ensemble de nos actifs financiers (incluant notre part des actifs financiers fédéraux, ainsi que notre épargne dans des actifs financiers bruts, dans le Fonds d'amortissement des régimes de retraite (FARR) et à la RRQ), on obtient l'ensemble des engagements financiers nets du Québec. Et alors, en plus des autres pays déjà mentionnés, la situation du Québec se compare avantageusement à d'autres pays de l'OCDE, incluant le Canada, les Pays-Bas et l'Allemagne. La conclusion est que la situation de notre endettement n'est pas une source d'inquiétude justifiant les mesures draconiennes d'austérité mises en place par l'actuel gouvernement.

Si toutefois le gouvernement tient à faire quelque chose pour contrôler ou réduire la dette, il doit porter son attention surtout sur les dépenses d'infrastructures. On sait que les dépassements de coût au chapitre des infrastructures à Montréal ont été en moyenne de 30% pendant la période couverte par la Commission Charbonneau. On sait aussi, grâce à l'étude de la firme SECOR parue en novembre 2012, que le Programme québécois des infrastructures (PQI) prévoit des dépenses atteignant 55G$ sur cinq ans, que les dix huit plus gros projets d'infrastructures accusent des dépassements de coût atteignant en moyenne 78%, tandis que l'ensemble des projets accusent des dépassements de coût de 56% en moyenne. S'il y a des coupes à réaliser, c'est là qu'elles se trouvent.

Notre budget de dépenses courantes n'est-il pas constamment déficitaire?

Le véritable problème, dira-t-on, est en fait proprement budgétaire. Nous ne parvenons plus à équilibrer notre budget. Nous vivons dans un déséquilibre perpétuel, accumulant les déficits année après année. Qu'en est-il exactement?

Une part importante du budget est consacrée au service de la dette, c'est-à-dire au paiement des intérêts sur notre dette. Mais puisque la dette du gouvernement est elle-même due à 68% à des dépenses d'infrastructures, on peut dire qu'une part importante du service de la dette est consacrée aux remboursement des intérêts liés à des dépenses d'infrastructure. Si nous avons beaucoup d'intérêts à payer, ce n'est donc pas à cause des dépassements de coûts occasionnés par les programmes sociaux.

Fait à noter, lorsque les taux d'intérêt augmentent, le service de la dette augmente aussi et cela peut causer un déséquilibre dans les finances publiques au point de forcer le gouvernement à réaliser un déficit budgétaire. Encore là, cette situation est en grande partie due à des dépenses d'infrastructures, puisque les intérêts que nous payons sont aux deux tiers liés à une dette immobilière. Ainsi, une bonne partie des déficits du gouvernement fédéral survenus après 1975 était due à la hausse des taux d'intérêt payés pour les immobilisations, et non à cause de ses dépenses de programme.

Une autre cause explique les déficits récurrents du gouvernement. La crise financière de 2008 a provoqué un ralentissement économique, qui a entraîné une hausse du taux de chômage et, par le fait même, réduit les revenus de l'État. Encore là, les déficits gouvernementaux s'expliquent non pas à cause des dépenses excessives de nos programmes sociaux, mais bien à cause de revenus moindres provoqués par une crise économique, elle-même suscitée par une crise financière.

En outre, en situation de crise économique, le gouvernement se doit d'intervenir en faisant des dépenses d'infrastructures pour stimuler l'économie. La baisse de revenus d'impôt conséquente d'un taux de chômage accru, combinée à des dépenses nouvelles d'infrastructure, créent un autre déséquilibre dans le budget du gouvernement, ce qui n'a rien à voir avec le coût des programmes sociaux. Puisque ces dépenses d'infrastructures sont comptabilisées dans les dépenses courantes, le budget de fonctionnement du gouvernement accuse un déficit année après année, mais il n'y aurait pas eu de déficit accumulé si le gouvernement n'avait pas été obligé d'intervenir par des dépenses d'infrastructures pour stimuler l'économie.

Bref, les déficits gouvernementaux ont été causés principalement par la hausse des taux d'intérêt ou par la crise financière. Les programmes sociaux n'y sont donc pour rien.

L'austérité est-elle la solution qu'il faut adopter?

Face à l'ensemble des remarques qui précèdent, le choix du gouvernement de couper dans les programmes sociaux, de hausser les tarifs et de geler les salaires de sa fonction publique n'apparaît pas justifié. Sa stratégie budgétaire s'inspire d'une idéologie de droite néo-libérale. On comprendra aisément que ce genre d'idéologie dépassée puisse encore être enseignée aux Hautes Études Commerciales, mais cela n'est pas une raison pour confier les rennes de la présidence du Conseil du Trésor à un gestionnaire qui pense de cette façon. Pourquoi viser les programmes sociaux si la dette québécoise est surtout causée par les dépenses d'infrastructure et que les déficits récurrents des dernières années ont été causés ou bien par la hausse des taux d'intérêt ou bien par l'incurie du milieu financier ?

Pire encore, le gouvernement se propose, une fois l'équilibre budgétaire retrouvé, de réduire les impôts et de mettre le reste des surplus réalisés dans le Fonds des générations pour rembourser progressivement le capital de notre dette. Il est donc faux de prétendre, ainsi que le ministre Coiteux l'a laissé entendre, que l'équilibre budgétaire vise à permettre le maintien de nos programmes sociaux. Les réductions d'impôt promises vont réduire les revenus de l'État, ce qui va forcer le Gouvernement à réduire encore plus ses dépenses de programmes sociaux.

La stratégie de remboursement de la dette par la création d'un fonds des générations est un autre leurre de ce gouvernement. En réalité, l'important est de réduire progressivement la proportion de la dette par rapport au PIB. Pour y parvenir, il faut s'assurer d'une croissance plus grande du PIB. L'important est aussi de réduire la part du budget consacrée au service de la dette. Or, la part du budget réservée au service de la dette est passée de 16% à 10% ces dernières années. Le service de la dette est, en effet, maintenant d'environ 10 G$ pour un budget total de 100G$.

Une activité économique accrue va engendrer une croissance du PIB. Or, les gouvernements successifs ont cru que l'activité économique serait plus grande si on subventionnait beaucoup les entreprises, qu'on réduisait leurs impôts, qu'on éliminait la taxe sur le capital et qu'on réduisait le nombre de paliers d'impôt. Le Québec est même devenu un champion toute catégorie dans ces quatre domaines. C'est l'autre versant de l'idéologie néo-libérale : n'intervenir dans l'économie que pour aider financièrement les entreprises tout en leur imposant le moins possible de contraintes fiscales. Mais cette politique n'a pas livré les fruits escomptés. Les entreprises québécoises ont accumulé une épargne de 110 G$ qu'elles ne réinvestissent pas dans l'économie. Plusieurs entreprises et individus ont de plus en plus mis leurs argents dans les paradis fiscaux et l'écart s'est accru entre les plus riches et les plus pauvres.

La solution n'est donc pas de couper dans les services, de geler les salaires et de hausser les tarifs. Il faut, au contraire, modifier nos politiques face à l'entreprise privée. Il faut réintroduire la taxe sur le capital et de nombreux paliers d'impôts. Il faut lutter contre les paradis fiscaux et forcer les entreprises à réinvestir leurs profits dans l'économie. La solution n'est donc pas d'adopter une politique d'austérité comme le fait le Gouvernement Couillard-Coiteux, mais bien de stimuler l'économie en mettant l'entreprise privée à contribution pour qu'elle fasse enfin sa juste part.

Ceci peut apparaître comme une politique d'extrême gauche, mais il n'en est rien. C'est la conclusion à laquelle sont parvenus Henry Stiglitz et Paul Krugman, deux prix nobel d'économie. C'est la conclusion à laquelle sont parvenus Barack Obama et le Fonds monétaire international. C'est aussi la conclusion à laquelle les pays européens parviennent une fois constatée le désastre engendré par l'application de mesures d'austérité en Grèce, en Italie, en Espagne et au Portugal. On réalise en Europe que la politique d'austérité recommandée par Angela Merkel est un désastre. Nous savons d'ailleurs maintenant que cette politique s'appuyait sur une étude dont la méthodologie était erronée.

C'est dans ce contexte économique mondial que le gouvernement Couillard, à l'encontre de tout entendement, adopte à son tour une politique d'austérité. On sait très bien maintenant que cette solution n'est pas la bonne et qu'elle produit les effets contraires au but recherché, à savoir, l'équilibre budgétaire. Pourquoi notre gouvernement s'entête-t-il à appliquer une politique qui n'est pas seulement contreproductive, mais qui empire le mal au lieu de le guérir?

Conclusion

Il ne faut pas minimiser les problèmes auxquels nous faisons face. Le ministère de la santé, par exemple, fait face à des dépenses qui croissent à un rythme plus grand que celui de l'inflation. Il faut parvenir à réduire les dépenses de l'État dans ce secteur. Cela est d'autant plus urgent que la population vieillit, que l'espérance de vie est prolongée et que des technologies coûteuses permettent de repousser constamment les limites d'une vie en santé. En plus, nous faisons face, de manière ponctuelle et provisoire, à l'arrivée massive des baby boomers qui ont atteint l'âge de la retraite et qui vont dans les vingt prochaines années augmenter la proportion de personnes qui ne travaillent pas, ce qui va du même coup réduire le ratio du nombre de travailleurs par rapport au nombre de retraités.

L'austérité n'est toutefois pas non plus la solution qu'il faut envisager pour résoudre les problèmes spécifiques du système de santé. Diverses mesures doivent être adoptées. On songe, par exemple, à Pharma Québec proposé par Québec Solidaire, un projet qui permettrait un usage prépondérant des médicaments génériques. Il faudrait aussi se lancer dans une campagne d'information systématique, y compris à l'école, visant à améliorer la qualité de l'alimentation et l'activité sportive. Il faudrait aussi une politique d'immigration qui assure une meilleure intégration sociale des nouveaux arrivants. Ceux-ci ne doivent pas augmenter la proportion des personnes sans emploi. Ils doivent au contraire augmenter le nombre de personnes au sein de la population active. Ce n'est donc pas en coupant dans les services qu'on parviendra à réduire les dépenses du système de santé.

Le premier ministre Couillard avait peut-être en tête son propre ancien ministère lorsqu'il a songé à mettre en place une politique d'austérité à la grandeur du Québec. Puisque son ancien ministère dépense trop, il s'est dit que la situation devait être la même dans l'ensemble des ministères. Toutefois, comme on l'a vu, les difficultés réelles du Québec et des autres économies de l'OCDE ne sont pas causées par les programmes sociaux, et même pas par ceux qui sont liés au système de santé. Elles sont causées par une politique de laisser faire à l'égard du milieu financier, de l'entreprise privée, des plus riches et des banques. Ces derniers ne font pas leur juste part, ne réinvestissent pas dans l'économie, contournent les règles fiscales et provoquent des crises financières qui deviennent ensuite des crises économiques.

L'austérité détruit le filet social, vise la classe moyenne de même que les classes défavorisées et laisse les plus riches s'enfuir avec un butin toujours de plus en plus grand et une responsabilité toujours de moins en moins assumée.

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