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La récente qualification juridique du conflit en Ukraine: une nouvelle pratique du CICR?

Peu médiatisée, la date du 23 juillet 2014 est pourtant cruciale à retenir dans les évènements du conflit en Ukraine: le Comité international de la Croix-Rouge a publiquement qualifié la situation ukrainienne de.
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Peu médiatisée, la date du 23 juillet 2014 est pourtant cruciale à retenir dans les évènements du conflit en Ukraine: le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), gardien droit international humanitaire (DIH), a qualifié publiquement la situation ukrainienne de conflit armé non international. Dominik Stillhart, directeur des opérations du CICR, a en effet déclaré duant cette journée que « les combats dans l'est de l'Ukraine continuent de faire des victimes parmi les civils, et nous demandons instamment à toutes les parties de respecter le droit international humanitaire. Ces règles et principes s'appliquent à toutes les parties au conflit armé non international en Ukraine».

Un bref rappel des faits : en novembre 2013, des troubles et tensions internes commencent à secouer l'Ukraine. À la suite du refus du président pro-russe Viktor Ianoukovitch de signer l'accord d'association avec l'Union européenne, un mouvement de contestation se crée et mène à sa destitution, le 22 février, après une flambée de violence qui fait plus de 80 morts. En mars, la crise s'aggrave et la Crimée, région russophone de l'Ukraine, est rattachée à la Russie après une intervention militaire et un référendum jugé illégitime par l'Occident, notamment par le gouvernement canadien, qui considère que la Russie occupe illégalement l'Ukraine et viole sa souveraineté et son intégrité territoriale. Depuis la mi-avril, les forces armées ukrainiennes et les militants pro-russes s'affrontent dans l'est de l'Ukraine. Les conditions de sécurité et la situation humanitaire en Ukraine se détériorent de jour en jour et selon les Nations Unies, le nombre de victimes a doublé au cours des quinze derniers jours, atteignant désormais 2086 morts (information en date du 14 août).

Le droit international humanitaire, aussi appelé le droit des conflits armés ou le droit de la guerre, est une branche du droit international constituée d'un ensemble de règles qui cherchent à limiter les effets des conflits armés. Il protège les personnes qui ne participent pas ou plus aux combats et restreint les moyens et méthodes de guerre et est contenu essentiellement dans les quatre Conventions de Genève de 1949 et les deux Protocoles additionnels de 1977 relatifs à la protection des victimes des conflits armés. Créé en 1863, le CICR a la mission exclusivement humanitaire de protéger la vie et la dignité des victimes de conflits armés et d'autres situations de violence, et de leur porter assistance. Il est à l'origine des Conventions de Genève et du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, dont il dirige et coordonne les activités internationales dans les conflits armés et les autres situations de violence. Les États reconnaissent généralement son autorité morale en matière d'application du DIH, notamment en matière de qualification juridique de conflit, qui découle de son rôle historique et de son expertise unique dans le domaine.

La qualification juridique d'un conflit est primordiale : elle a d'importantes conséquences au niveau des obligations juridiques qui incombent aux parties. Les parties à un conflit armé non international doivent au minimum se conformer à l'article 3 commun aux Conventions de Genève et aux règles du DIH coutumier. Ces règles garantissent notamment un traitement humain à toute personne qui tombe au pouvoir de l'ennemi. Les parties au conflit doivent aussi respecter les règles de la conduite des hostilités : l'interdiction de mener des attaques directes contre les civils et sans discrimination; l'obligation de respecter le principe de proportionnalité dans l'attaque ; et l'obligation de prendre toutes les précautions pratiquement possibles dans la planification et l'exécution des opérations militaires en vue d'épargner les personnes civiles.

De plus, à la différence d'une situation où des troubles et tensions internes ébranlent un pays, mais où le régime juridique applicable demeure le droit interne de l'État concerné, l'application du DIH à un conflit armé non international implique également la possibilité de poursuivre en justice les auteurs d'infractions graves du droit international humanitaire, comme les crimes de guerre, notamment devant les tribunaux pénaux internationaux.

Or, il est de pratique peu commune que le CICR procède à des qualifications publiques des conflits. La raison est simple : le dialogue et la confidentialité sont les valeurs fondatrices de l'organisation et guident ses actions. La démarche privilégiée par le CICR est l'évaluation à l'interne d'une situation à la lumière de critères juridiques établis, et de sa nature, à savoir s'il s'agit d'un conflit armé international ou non international. Elle effectue par la suite un rappel du droit en partageant sa qualification avec les parties au conflit, de manière bilatérale et confidentielle, et en leur rappelant leurs obligations juridiques en vertu du DIH.

Dans la rare éventualité où le dialogue confidentiel ne porte pas fruit, l'organisation, si elle juge que cela peut apporter une meilleure protection des victimes d'un conflit, se réserve le droit de qualifier publiquement la situation, afin de produire des effets et d'améliorer la situation : à l'égard des parties au conflit, elle exerce une pression afin que celles-ci respectent le DIH, et aux États tiers, elle attire leur attention sur la situation et souligne leurs obligations en vertu de l'article 1 des Conventions de Genève, soit de respecter et faire respecter lesdites Conventions en toutes circonstances. La qualification publique confère également au CICR un champ d'action élargi, prévu par les Conventions de Genève, pour entreprendre ses activités, notamment apporter des secours sur le terrain aux victimes. Il permet entre autres de mobiliser d'autres acteurs internationaux, notamment les Nations Unies ou encore les ONGs.

Ainsi, une telle qualification publique par le CICR concernant la situation en Ukraine témoigne peut-être d'une insatisfaction, voire d'un échec de l'organisation à obtenir des parties au conflit, par un dialogue confidentiel, l'assurance du respect de leurs obligations en vertu du droit international humanitaire. Une autre possibilité intéressante qui pourrait expliquer le bien-fondé d'une qualification juridique publique par le CICR du conflit ukrainien est peut-être un changement de pratique en soi de l'organisation, qui pourrait désormais préférer accélérer la prise de conscience de la communauté internationale et mettre la pression rapidement sur les parties au conflit, en qualifiant la situation dès les premiers stades et en affirmant le régime juridique applicable, ainsi qu'en rappelant aux États leur devoir de respecter leurs obligations en vertu du droit international humanitaire. Cette affirmation pourrait être notamment illustrée par la surprenante qualification publique du conflit syrien par le CICR en juillet 2012, qui a suscité de vives réactions parmi la communauté des experts juridiques internationaux. Il faudra continuer de suivre la pratique de l'organisation dans l'avenir pour juger de cette possibilité.

Quoi qu'il en soi, alors que les combats s'intensifient dans l'est de l'Ukraine et continuent de faire des victimes parmi les civils, la qualification publique du conflit ukrainien par le CICR témoigne de son inquiétude grandissante face à un possible non-respect du droit international humanitaire en Ukraine. Les parties au conflit, et également la communauté internationale, se doivent de suivre de très près les évènements qui s'y déroulent et d'honorer leurs obligations auprès des victimes du conflit, au nom de la dignité humaine inhérente à chaque être humain, et d'autant plus au nom de ceux qui sont les plus vulnérables.

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