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Laïcité: réfléchir à la vie sociale en tant que citoyen

Affirmer la laïcité n’est pas se fermer à qui que ce soit, c’est une invitation positive à partager et à penser la vie sociale en tant que citoyen, non en tant que pratiquant d’une religion.
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L’attitude laïque n’empêche pas la foi, elle spécifie seulement que le devoir public n’est pas le lieu pour manifester sa confession religieuse — évidence qui semblait acquise depuis longtemps. Il est étonnant qu’on l’oublie.
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L’attitude laïque n’empêche pas la foi, elle spécifie seulement que le devoir public n’est pas le lieu pour manifester sa confession religieuse — évidence qui semblait acquise depuis longtemps. Il est étonnant qu’on l’oublie.

Le projet de loi du gouvernement Legault sur la laïcité suscite des réactions étonnantes que nous aimerions souligner, nous limitant tout au plus aux recommandations sur les signes religieux et à leurs principes sous-jacents, qui sont après tout le point de départ et le cœur du problème.

Premier étonnement. Qui niera qu'affirmer la laïcité soit forcément d'intervenir au niveau de ces signes et de leur responsabilité? Qui niera que les signes religieux, comme tous les signes de la vie culturelle connotent, induisent et formulent un «sens»? Les signes signifient! De la cravate à la Svastika, un signe parle, veut dire. Le foulard des femmes musulmanes aussi, comme la soutane des prêtres signifiait, impliquait l'appartenance à une famille spirituelle, le partage de règles, d'un credo, l'obéissance à l'évêque, etc.

Ce qui faisait dire à ce député, il y a déjà un siècle, dans son plaidoyer au Parlement français contre le port de la soutane: «Messieurs, le costume ne rend pas seulement le prêtre prisonnier de son évêque, il le rend prisonnier de sa longue formation, de son milieu étroit. À cet homme, ôtez sa robe, qu'il puisse à son aise causer avec n'importe qui sans arrondir ses phrases et vous lui ferez faire un pas immense. L'habiller comme tout le monde non pas en tant que tyran, mais au contraire soucieux de la liberté et de la dignité humaines.»

Changeant le ton et les dénominations, ne voit-on pas qu'il s'agit du même thème et de la même intention à propos du voile de la femme musulmane porté sur les lieux d'un devoir public? Bouchard-Taylor avait compris cette responsabilité des signes religieux et les proscrivait là où on sait. Mais pas à l'école!

Second étonnement: pourquoi en saisir le sens ici et non là? Car c'est avant tout à l'école que la chose s'impose.

Que dit la laïcité? Elle dit aux enseignants: ce n'est pas en tant que chrétiens, en tant que musulmans, que vous enseignez dans une société de la séparation des Églises et de l'État, mais en tant que citoyens.

L'affirmer se traduit par la neutralité, l'absence de signes ostentatoires. On s'étonne que ce ne soit pas clair. Il y a 50 ans au Québec, l'Église catholique l'a compris et s'est retirée avec ses signes à petits pas, non sans élégance. Certains veulent maintenant franchir à reculons les 50 dernières années pour rentrer dans une ère où les musulmans laïques eux-mêmes nous prient de ne pas nous engager. Imaginons une fillette sur qui l'influence religieuse à la maison devient intolérable, qui a besoin d'un peu d'air et qui trouve devant elle une femme voilée ou portant la croix, fut-elle animée des meilleures intentions du monde...

La laïcité, loin de vouloir soumettre, veut rendre disponible une autre voie que celle dans laquelle on grandit à la maison. Chacun peut garder sa foi et l'afficher chez soi, dans la rue, à l'église.

L'attitude laïque n'empêche pas la foi, elle spécifie seulement que le devoir public n'est pas le lieu pour manifester sa confession religieuse — évidence qui semblait acquise depuis longtemps. Il est étonnant qu'on l'oublie.

Il est vrai, grande est la force des habitudes en chacun de nous. Mais les changer est souvent une promesse pour le mieux. On ne quitte pas volontiers un mode de vie, il nous dispose de telle ou telle façon, et cette disposition finit avec le temps par être aimée pour elle-même, le héros d'Yvon Deschamps en étant un bon exemple: «les unions, cossa donne?» De même, demandait déjà Spinoza il y a 350 ans dans son traité théologique-politique, comment se fait-il que les hommes combattent pour leur servitude comme s'il s'agissait de leur salut?

La réception à cette législation est le troisième grand étonnement, mais elle s'explique: comment ignorer qu'un voile est symbole de soumission? C'est un signe sans doute qu'on a fini par aimer. Il faudra alors faire aimer l'idée que dé-voiler une tenue à l'école n'est pas léser un droit (c'est la voiler qui le serait), comme plutôt simplement affirmer le droit de base pour un enfant d'être soustrait à l'école aux signes d'une religion, peu importe laquelle. Un enfant qu'on aime dans une société laïque qu'on aime. Une nouvelle habitude à créer. Osons ceci qui est non moins paradoxal: même ceux qui se constituent contre ce projet, à moins de manquer de mémoire, font semblant, car ils en savent et en approuvent le pourquoi.

Légiférer sur le principe laïque maintenant, c'est éviter des clivages qui plus tard risquent de déchirer le tissu social québécois.

Affirmer la laïcité n'est pas se fermer à qui que ce soit, c'est une invitation positive à partager et à penser la vie sociale en tant que citoyen, non en tant que pratiquant d'une religion, tout en ménageant à celle-ci ses signes en son temps et son lieu. Non pas «contre», mais «pour», c'est en appeler à la solidarité sur la base d'un lien citoyen et républicain.

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