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Le Dieu très-bas

L'athée qu'est Baillargeon a parfaitement raison sur un point: là-haut, dans le ciel, Dieu n'est pas. Parce qu'Il est tout en bas; tout proche. Dieu-Emmanuel, c'est Dieu-avec-nous, dans nos misères, nos faiblesses, nos blessures, nos impuissances, etc.
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Tu aimes la vérité au fond de l'être... (Psaume 51)

Je garde un souvenir impérissable du Noël de 2013. La fin de l'automne fut particulièrement pénible, car j'étais tombé en dépression pour une troisième fois. Bien sûr, les antidépresseurs m'ont permis de remonter à la surface; j'en remercie la science médicale. Toutefois, ce qui m'a tenu en vie, c'est la prière, constante et profonde. La dépression est une bien drôle de maladie. Avant d'être causée par le dysfonctionnement des neurotransmetteurs, la cause en est psychologique, mentale; je dirais volontiers aujourd'hui qu'elle est fondamentalement spirituelle.

Pour faire d'une longue histoire une histoire courte, l'être profond que je suis se trouvait pour ainsi dire en état d'asphyxie. C'est la lutte perpétuelle entre l'Être et l'Avoir. Dès que j'eus choisi le parti de l'être, ma dépression cessa du jour au lendemain, et n'est jamais revenu me hanter par la suite. Une partie en moi réclamait l'avoir, l'acquisition, l'accumulation, la gratification, etc. Au contraire, l'être en moi ne recherche rien sinon d'être tout simplement, comme l'enfant qui se plaît seulement à exister. La pauvreté sur tous les plans lui convient comme un gant. La Providence le gave de tous ses dons.

En réalisant ma grande pauvreté, mon impuissance radicale, ma « finitude » (pour reprendre le mot du théologien Paul Tillich), je découvris du même coup Dieu. Enivré de joie et de paix, je chantais alors ces lignes suaves de saint Augustin : « Tard je vous ai aimée, Beauté si ancienne et si nouvelle, tard je vous ai aimée. C'est que vous étiez au-dedans de moi, et, moi, j'étais dehors de moi ! » (Les confessions, Livre X, 27). Ces mots résonnent encore en moi comme un chant céleste digne d'un Palestrina.

Avec ivresse, je bus aussi les mots de Gustave Thibon touchant la pauvreté de Dieu : « Dieu est le plus riche et le plus pauvre des êtres. Il est tout, mais il n'a rien. Il ne peut donner que lui-même. Et cela explique son insuccès. L'homme a soif de dons plus extérieurs et moins précieux. » (L'échelle de Jacob).

Dieu pauvre ? Hein ?! Est-ce Dieu possible ? Certainement !

Nous qui sommes du monde et du mode de l'Avoir, Dieu n'est que pure légèreté et pauvreté radicale. Dieu est - du moins, pour nous - sans allure. Il ne cherche pas à avoir quelqu'un qui pourrait le servir mais quelqu'un que, Lui, pourrait servir. Insondable paradoxe ! C'est pourquoi il adopte la tenue de l'esclave pour nous laver les pieds ! Totalement inouï ! Nietzsche bafouille : il hurle devant la révolte des esclaves.

Quand je raconte ces histoires ahurissantes à Ton sujet, les gens me tombent dessus. C'est bon signe ! Tu es un Père sans bon sens. Tu choques la raison raisonnante qui n'a que faire de ces histoires à dormir debout. Le Monde de l'Avoir ne te supporte tout simplement pas. Ils veulent te mettre à mort au plus sacrant. Ça urge ! Devant toi, les grands prêtres de la Science déchirent leur chemise. Nietzsche, encore lui, proclame que Tu es mort.

C'est avec ses pensées sur la pauvreté et la richesse de Dieu que j'attendais, fébrile, Noël 2103, guéri de ma dépression. J'avais compris que mon mal était celui de l'Avoir. Je lisais quotidiennement le Carnet de l'Avent et Noël 2013 rédigé par l'admirable Georges Madore (Novalis). Le 25 décembre, je lus avec extase ces mots : « Bas, plus bas, c'est là que Dieu se trouve... c'est là qu'il nous attend. Ne regardez pas là-haut : la nuit a englouti la lumière, les anges ont fait place aux étoiles; les chants se sont dissous dans le silence. Dieu n'est pas là-haut, il est ici-bas. Il est le Dieu Très-Bas. Qui ne sait se pencher ne peut le trouver. »

Quelles sublimes paroles !, m'exclamais-je alors. Aussitôt, je songeai à l'ouvrage de Normand Baillargeon, Là-haut, il n'y a rien (PUL, 2010), une « anthologie de l'incroyance et de la libre-pensée ». L'athée qu'est Baillargeon a parfaitement raison sur ce point : là-haut, dans le ciel, Dieu n'est pas. Parce qu'Il est tout en bas; tout proche. Dieu-Emmanuel, c'est Dieu-avec-nous, dans nos misères, nos faiblesses, nos blessures, nos impuissances, etc.

Les efforts des anticapitalistes comme Baillargeon resteront vains tant qu'ils n'auront pas compris que leur combat s'effectue sous le mode de l'Avoir, alors que la victoire, qui est à portée de main, réside dans le mode de l'Être. Dans un prochain billet, je montrerai que le mode de l'Avoir commande une conception de la raison comme acquisition, celle de la raison instrumentale. La science moderne est justement ordonnée à la raison-acquisition. Ce n'est plus la raison d'être, qui fut celle de la métaphysique, mais celle d'un faire ou de l'entreprise. Le capitalisme est ordonné à la conception de vérité comme acquisition ou possession; et les contempteurs du vilain capitalisme ne réalisent pas qu'ils adoptent eux-mêmes cette conception acquisitive de la raison et de la vérité.

Joyeux Noël !

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