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Le dilemme de l'instruction au Québec ne consiste pas à se demander si elle devrait être dispensée dans la langue de Molière ou dans une autre, mais plutôt si elle doit être obligatoire ou non. Tant que les recteurs universitaires se targueront d'octroyer des diplômes aux détenteurs d'un analphabétisme vernaculaire, l'éducation y demeurera, à l'évidence, facultative.
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Les minorités n'ont point droit de cité dans une république. La majorité n'en jouit pas davantage. L'État réserve plutôt cette distinction aux seuls citoyens qui en bénéficient tous à parts égales. Cependant, étant donné que le maintien de relations harmonieuses entre les hommes requiert un minimum de communication verbale, la cohésion linguistique s'avère un facteur crucial au bon fonctionnement d'une société démocratique. En fait, aucun peuple envisageant son avenir avec lucidité ne saurait même présumer de son existence en l'absence d'une langue commune à l'ensemble des membres qui le compose.

L'environnement politique détermine, d'ordinaire, l'idiome national dans lequel tous sont tenus de recevoir leur formation. Alors que la qualité d'un système pédagogique repose sur sa capacité à transmettre des connaissances pertinentes aux cohortes successives d'étudiants, il convient d'admettre que sa valeur, quant à elle, se mesure par l'impact de cet apprentissage sur le niveau de productivité des particuliers au sein de la collectivité. Si l'accès à un enseignement dans le dialecte maternel de l'écolier comptait parmi les droits inaliénables, l'État se verrait condamné, en théorie, à subventionner jusqu'à 6 000 commissions scolaires différentes.

Les privilèges constitutionnels dont elles profitent ne peuvent expliquer, de façon convaincante, la fréquentation assidue des institutions anglophones sur le territoire de la Belle Province, puisque la quantité d'élèves d'origine anglo-saxonne ne suffirait pas à y remplir la moitié des classes maintenant offertes. Quoi qu'il en soit, le dilemme de l'instruction au Québec ne consiste pas à se demander si elle devrait être dispensée dans la langue de Molière ou dans une autre, mais plutôt si elle doit être obligatoire ou non. Tant que les recteurs universitaires se targueront d'octroyer des diplômes aux détenteurs d'un analphabétisme vernaculaire, l'éducation y demeurera, à l'évidence, facultative.

La liberté d'expression constitue un des fondements de la civilisation occidentale. Elle favorise un brassage d'idées se révélant essentiel au développement de la pensée critique et à l'évolution des mentalités qui en découle. Impossible de retirer cette protection juridique aux personnes morales sans brimer les droits des individus qui en revendiquent la propriété. Jamais des préoccupations d'ordre culturelles ne pourront justifier l'interdiction d'afficher la langue de son choix sur une raison sociale ou à des fins promotionnelles. Rien n'empêche toutefois un gouvernement légitime d'assujettir le discours mercantile à des règlements municipaux -- afin de faire prévaloir des considérations esthétiques, par exemple -- dans le cadre de l'application uniforme d'un plan d'urbanisme.

En ce qui concerne le marché de l'emploi, si la vénération du principe commercial selon lequel le client est roi autorise une entreprise à prier ses représentants d'adresser la parole au public dans la langue qu'affectionnent leurs interlocuteurs, un employeur qui, en revanche, infligerait aux salariés de la Belle Province l'usage d'un verbe autre que le français dans la correspondance interne de la compagnie, enfreindrait autant une règle élémentaire de logique que le Code du travail et s'exposerait ainsi aux coûteuses réprimandes d'un tribunal sympathique à la cause des employés réfractaires. Dans un tel contexte, que dire à un Québécois offusqué par les réticences d'un simple commis sinon que le respect ne se légifère pas, il s'impose ; car l'immense pouvoir de persuasion qu'exerce la menace d'un boycott confère force de loi aux exigences des consommateurs confrontés à la sourde oreille d'un commerçant francophobe.

En outre, malgré que l'on constate, de par le monde, une nette prédominance de la langue de Shakespeare en ce qui a trait aux conversations qu'entretiennent les gens d'affaires, la croyance locale, tenace dans l'esprit de certains, associant la maîtrise du vocabulaire de cette dernière au dynamisme économique de nos voisins, semble trahir chez nous un complexe hérité d'un passé colonial non encore exorcisé ; une attitude susceptible de laisser perplexe les masses laborieuses nippones tout comme, d'ailleurs, les nombreux Terre-neuviens qui se morfondent dans l'oisiveté.

À l'époque de la Confédération, 39% des habitants du Canada clamaient haut et fort leur appartenance à la francophonie. De nos jours, cette proportion ne représente guère mieux que le quart de la population. Au reste, les données du dernier recensement laissent entrevoir une réduction de leur poids démographique à environ 15% du total d'ici une génération. Ces statistiques reflètent une tendance lourde qu'aucune loi ne parviendra à renverser. Tandis que le gouvernement central tente, futilement, d'instaurer le bilinguisme officiel d'un océan à l'autre, à l'ouest du pays, la vague d'immigration chinoise complique doublement la tâche des décideurs appelés à se prononcer sur la sélection d'une langue seconde : dorénavant, laquelle choisir entre le cantonais et le mandarin?

Quoique leur marginalisation relative augure déjà bien mal pour la survivance des Canadiens français, un déclin en chiffres absolus du nombre de locuteurs partageant cette identité présenterait un scénario autrement plus dramatique. Or, le phénomène de la dénatalité nécessite le recrutement de ressources humaines dont les difficultés d'assimilation risquent de sonner le glas du fait français en Amérique.

En effet, pendant qu'au Québec les allophones continuent, encore aujourd'hui, de s'intégrer massivement à la communauté anglaise, hors de ses frontières, nul n'oserait caresser l'espoir que le moindre volontaire étranger vienne se greffer au rang d'une diaspora décimée par des transferts linguistiques qui, sans apport migratoire compensateur, entraîneront sa disparition à plus ou moins brève échéance. À ce rythme, hormis une répétition de la revanche des berceaux, l'épopée de la Nouvelle-France se soldera finalement par un échec au terme de 400 ans d'histoire. Quiconque affirme le contraire parle avec une langue fourchue.

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