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Le Nacho Libre ou l'arrogance de l'intertextualité

Est-ce que la blague du Nacho Libre manquait d'humour? Possiblement. Est-ce dans l'intertextualité s'y retrouve un manque d'empathie envers les victimes de viol? Aucunement.
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Le cas a fait grand bruit sur les réseaux sociaux, jusqu'à devenir de la nouvelle traditionnelle suite à l'article de Matthieu Dugal publié dans Le Soleil le 20 février 2014. Un bar publie sur sa page Facebook une photo de son ardoise, reconnue pour son humour geek, disposée à l'avant de son établissement. L'enseigne scande: «Pick-up line d'aujourd'hui: est-ce que ce mouchoir sent le chloroforme? Lol!».

S'ensuit un tollé, puis une controverse et bien certainement, un débordement. Mais qu'en est-il de ce débordement?

Au cours des prochaines lignes, je répondrai à l'article de Matthieu Dugal, un homme que je respecte à tous les jours pour sa curiosité intellectuelle, qui me semble ici manquer quelque peu de perspective.

De la gestion de communauté

L'essentiel du point de vue véhiculé par l'article de Dugal se résume à l'importance (et la compétence) de bien mesurer la manière avec laquelle on gère une communauté sur les réseaux sociaux, à travers la qualité de son contenu. Dans le cas présent, la qualité du contenu génère une controverse que le gestionnaire de communauté n'aurait pas dû laisser «dégénérer». Jusqu'ici, l'argument se tient, il est question d'une saine gestion de communauté.

Or, lorsque le journaliste du Soleil écrit que ce même gestionnaire souffre en «l'apparence d'un manque troublant d'empathie pour les victimes (banaliser le viol, c'est drôle?)», il porte un jugement plus large qui teinte l'essentiel de son argumentaire. Le contexte change.

De l'intertextualité

Le Nacho Libre est un établissement qui, par la nature même de son nom, transpire l'intertextualité: le nom d'un film qui caricature lui-même un volet d'une certaine culture hispanophone. Au fil des années, le bar a fait exploser le concept à coup de soirées thématiques et/ou tournoi de jeux vidéo. De l'aveu même du propriétaire, le Nacho Libre est l'archétype extrapolé d'un sous-sol d'adolescent. On ne gère donc pas ici la communauté d'une grande corporation ou d'une fondation.

Le concept n'échappe pas à Dugal qui souligne son amour propre pour le genre, en autant qu'il demeure de bon goût. Et c'est ici que le bât blesse. Effectivement, l'humour du Nacho Libre n'est possiblement pas aussi subtil que celui d'autres établissements, sauf qu'il n'en demeure pas moins que le contexte conditionne la réception, et plus largement, la compréhension.

Tel que le souligne Dugal, la phrase au chloroforme du Nacho Libre serait une référence à la comédie américaine Hall Pass. Pour ma part, j'y ai vu une référence à un gag de la série animée Family Guy où le personnage principal Peter Griffin invite sa femme de ménage mexicaine à renifler un mouchoir de chloroforme afin de s'en débarrasser. De l'intertextualité, donc. Car cité hors contexte, cette séquence de la série animée contient tout pour choquer.

Par contre, dans le cadre d'une série diffusée aux heures de grandes écoutes à travers le monde, la blague sera dans le pire des cas, pas drôle du tout. Est-ce que la blague du Nacho Libre manquait d'humour? Possiblement. Est-ce dans l'intertextualité s'y retrouve un manque d'empathie envers les victimes de viol? Aucunement.

Du débordement

Matthieu Dugal a raison: le gestionnaire de communauté a manqué de jugement (ou d'expertise) pour ultimement en arriver à un débordement rhétorique. Ce débordement rhétorique, je l'identifie dans les accusations de prolifération de la culture du viol envers le Nacho Libre.

Il n'y a pas dans l'intertextualité de la (mauvaise) blague du Nacho Libre un désir sous-entendu, bien caché, d'encourager ou de banaliser une attitude comme le viol. L'article de Dugal semble pour sa part avoir recours à des accusations lourdes, au sein d'une analyse techno-sociale bien ficelée, afin de condamner un humour qui aurait possiblement mérité qu'on l'ignore.

Or, la culture du viol est un sujet sérieux qui mérite une attention médiatique rigoureuse et soutenue. À tout prendre, on y perd cependant l'essentiel et cette situation est possiblement plus dangereuse médiatiquement à long terme qu'une ardoise devant un bar de quartier partagée sur Facebook à court terme.

Extrapole-t-on un consommateur de drogue (appelons-le Philip Seymour Hoffman) comme étant un individu qui encourage les cartels et du même coup le trafic de personnes? Devrait-on rejeter l'importance de la représentation syndicale dans son ensemble à cause d'un certain nombre très restreint d'individus qui trempent dans de salles affaires aux yeux du Québec devant une commission d'enquête? Doit-on nécessairement jeter le bébé avec l'eau du bain?

Devait-on absolument avoir recours à la culture du viol afin d'expliquer comment un contenu osé doit nécessairement être appuyé par une gestion de contenu experte pour ne pas perdre le contrôle sur la perception de sa marque sur les réseaux sociaux?

Il en va certainement de la responsabilité d'un individu de gérer sa communauté avec un contenu de qualité qui répond aux attentes de son public jusqu'à la limite du bon goût. Mais il en va de notre responsabilité à tous et à toutes de monter en épingle une histoire locale pour en faire un sujet d'intérêt public à sa juste valeur.

Dans ce cas-ci, je crois que l'enjeu de la culture du viol méritait mieux qu'une (mauvaise) blague jugée hors contexte, condamnée à l'extérieur de l'arrogance de son intertextualité.

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