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Le travail social et l'héritage d'une société en pénurie de valeurs morales

On ne choisit pas le travail social par besoin de reconnaissance publique et d'atteinte d'un certain rang dans la société. On devient travailleur social par vision, par empathie, par croyance que l'humain a du bon.
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Selon plusieurs, l'avenir du marché de l'emploi s'inscrit dans la programmation numérique, le domaine de l'économie et le monde des affaires. Poursuivre des études en sciences sociales semble loin de faire le bonheur de certains parents, qui souhaitent que leurs enfants accèdent à un avenir prometteur.

J'ai moi-même goûté à cette médecine en m'inscrivant à la maîtrise en Service social à l'Université de Sherbrooke. Mon entourage a tout fait pour m'en dissuader. À l'époque, le travail social demeurait une profession émergente. Sans bien comprendre le rôle et les fonctions du travailleur social, on me demandait constamment quels étaient mes objectifs de carrière : « Tu veux travailler dans la rue avec des gens en situation d'itinérance ? » « Tu veux passer ta vie à régler des problèmes ? ». « Tu ne souhaites pas un salaire et des conditions de travail décents ? ». Bien fait, j'ai ignoré ces opinions !

Persuadée que le travail social me permettrait d'exercer ma profession avec mes convictions, j'ai foncé.

Malgré ce qu'on en pense et ce qu'on en dit, on devient travailleur social par passion. C'est la profession qui nous choisit et non l'inverse. Dans mon plus jeune âge, ne saisissant pas bien les fondements et subtilités de ce qu'était la vocation, j'ai craint que la religion me choisisse ! Aujourd'hui, cette idée me fait sourire. Je comprends néanmoins avoir été habitée par une forte volonté d'engagement social et de dévotion qui s'est plus tard traduite dans le choix de ma profession.

Lors d'un voyage dans le Sud avec ma mère il y a une dizaine d'années, un homme voyageant seul s'est assis à mes côtés. En sirotant son mojito à la menthe, il m'a raconté avoir récemment quitté son métier de scaphandrier après s'être fait mordre la jambe par un requin. Voyant ma tête stupéfaite, il m'a montré ses cicatrices sur la cuisse gauche. Effectivement, il ne mentait pas. Cette conversation informelle a rapidement glissé vers des échanges plus intimes. Du coup, j'écoutais notre scaphandrier, en larmes, me confier qu'il traverse un divorce difficile et que la consommation quotidienne lui permet de s'évader. Ma mère avait quitté la conversation.

Ce genre de situations atypiques pour plusieurs traversent ma vie de tous les jours. Les gens m'abordent régulièrement sur une base informelle et me dévoilent les moments les plus intimes de leur vie. En une seule rencontre impromptue au parc, j'en découvre souvent plus sur la réalité des gens que leur propre famille, leur collègue ou leur coiffeuse.

La profession du travailleur social est indissociable du visage accueillant du citoyen qui, sans jugement, prend le temps de sonder attentivement le pouls des gens qui gravitent dans un monde où les minutes représentent le « cash down » sur une hypothèque. Si tous les travailleurs sociaux de ce monde étaient rémunérés chaque fois qu'ils exercent leur profession dans des situations de vie quotidienne, tels les honoraires des conseillers juridiques, ils se rangeraient indéniablement parmi les plus aisés de cette planète. Mais là n'est pas la question. Tout compte fait, je considère les travailleurs sociaux parmi les plus riches de ce monde, du moins, c'est mon cas. Bien que la profession soit peu reconnue socialement, que les conditions de travail des praticiens demeurent inéquitables et que des moyens doivent être mis à leur disposition pour assurer une pratique conforme à leur code déontologique à l'ère technocratique, force est de constater que le monde se porte mieux en leur présence.

Les travailleurs sociaux ont fait le choix d'une profession qui leur permettrait de devenir des agents de changements dans une société capitaliste où l'économie l'emporte sur les valeurs fondamentales de l'humanité. Pas toujours facile, mais certes un beau défi !

Pensez-y-bien, quand vous en serez à votre dernier souffle, devant la fatalité d'une fin de vie, quels souvenirs feront surface ?

Pensez-y-bien, quand vous en serez à votre dernier souffle, devant la fatalité d'une fin de vie, quels souvenirs feront surface ? Votre notoriété et les chiffres de votre compte en banque ? Votre superbe condo au Costa Rica ? Les relations familiales négligées au profit d'un employeur ? Ou le fait d'avoir vécu en harmonie avec vos valeurs et convictions, sachant fort bien que le prestige ne figurerait pas à votre curriculum vitae ?

Posséder des biens et un statut social peut évidemment servir, mais s'avère souvent superficiel, trompeur et éphémère. Viser l'intégrité, à être inspiré et inspirant, s'avère sans aucun doute authentique et permanent. On ne choisit pas le travail social par besoin de reconnaissance publique et d'atteinte d'un certain rang dans la société. On devient travailleur social par vision, par empathie, par croyance que l'humain a du bon. Je suis souvent déçue, je l'avoue, mais je garde espoir. Cet espoir, je tente de le transmettre à mes fils qui, fort à parier, auront à porter un lourd héritage de détresses psychologiques, de désordres environnementaux et d'iniquités socioéconomiques.

Quoi qu'il en soit, si votre progéniture s'intéresse au travail social, soutenez-le. Il aura sans doute beaucoup à contribuer à notre société en pénurie d'intégrité et de valeurs morales. Être travailleur social c'est croire en l'humanité, c'est être un fier défenseur de la justice sociale, c'est vouloir assurer l'équité et mettre de l'avant des principes de dignité et de respect des droits humains. Des gens sensibles à la planète et à l'humanité il n'y en aura jamais assez dans l'effervescence occidentale actuelle axée sur l'individualisme et le « selfy - narcissisme ! ».

À bien y penser, si vous deviez recommencer, quelle profession choisiriez-vous ? Programmeur numérique, scaphandrier ou travailleur social ?

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