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Les doux Noëls silencieux d'une petite autiste

Son bonheur suprême de petite fille autiste se concrétisait après l'installation du gros ornement vert, clignotant, énervant, mais oh combien fascinant!
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Des contes de Noël pleins de joie, d'amour, d'espoir, de peur, de colère, de fantasmes... C'est le calendrier de l'Avent du Huffington Post Québec. Retrouvez chaque jour un conte de Noël en attendant le passage du père Noël.

La petite Marie n'aimait pas les surprises et les années 70 n'étaient pas un univers rempli de mille mystères et de stress inutile comme c'est le cas aujourd'hui. Pour Marie, les rituels répétés à l'infini, sans variante, sans soubresauts, étaient les plus simples, car elle savait à l'avance le scénario et l'ensemble des séquences qui allaient se jouer. Elle aimait la mécanique coutume d'installation du sapin, toujours le même qui ressurgissait d'année en année, ressorti avec précaution de son entreposage provisoire. Elle était amusée de voir à chaque fois des épines vert forêt de matière synthétique tapisser le fond de la boite, lorsque son père l'extrayait de son cercueil de rangement cartonné.

Elle humait la familière odeur de plastique bas de gamme et le bruissement des branches qu'on déploie venait hardiment chatouiller son tympan. Elle ricanait en agitant ses mains dans les airs, comme un petit colibri fragile qui virevolte autour d'un abreuvoir à nectar. La mi-décembre amenait ce moment où l'on déménageait temporairement quelques fauteuils dont les pattes rigides laissaient des marques concaves sur l'épais tapis. On sortait le sapin et elle attendait avec une joyeuse impatience le moment de son illumination finale.

Ce rituel sacré impliquait quelques incontournables sacrifices qu'elle savait anticiper: une boule rouge et or ébréchée l'année précédente, emmurée par mégarde dans le moule plastifié de sa boite, trois crochets manquants pour les ornements défraichis encore valides, les grognements paternels lorsqu'il s'enrubannait accidentellement dans les nombreux fils électriques de l'éclairage festif, quand ce dernier refusait avec obstination de s'enrouler gracieusement autour du sapin. Et à cette époque, une seule ampoule défectueuse avait pour effet nocif de bloquer l'ensemble de l'éclairage rallié à un même filage. Ce qui amenait bougonnements du père et impatience de la gamine...

Son bonheur suprême de petite fille autiste se concrétisait après l'installation du gros ornement vert, clignotant, énervant, mais oh combien fascinant! Ses lumières bigarrées qui s'agitaient en alternance la captivaient durant des heures, où, immobile, elle regardait ce gros bonhomme tout aussi taciturne qu'elle, mais qui sans bouger était continuellement actif et agité. Le délice ultime était de s'assoir, les jambes croisées, tel un moine bouddhiste en pleine méditation, et de contempler religieusement le village illuminé à ses pieds.

Une petite église entourée d'une demi-douzaine de maisonnettes dorées, dont elle n'osait jamais effleurer les bâtiments minuscules du bout des doigts. Sa mère l'avait bien avisée de ne rien déplacer. Et comme pour elle ce qui était exprimé clairement avait le mérite d'être incontournable, elle n'y a jamais posé ni un index, ni un pouce curieux. Assise par terre, bien sagement toute la soirée et sans expirer le moindre son, elle imaginait ses habitants affairés et se racontait mentalement leur histoire en se tordant doucement les mains. D'autres fois, elle marmonnait un peu tout haut, quelques syllabes à peine audibles par une oreille extérieure.

Ses petits Noëls, elle les savourait dans le silence. Pas de père Noël de centre commercial, gloussant d'un faux gros rire forcé. Des genoux du père Noël, elle a toujours refusé sauvagement l'accueil. Ce gros monsieur étranger - elle n'était pas dupe - se présentait en de trop nombreux exemplaires pour qu'un seul puisse prétendre porter le titre de l'authentique Santa Claus. Pas de biscuit ou de verre de lait laissé en prévision d'une visite nocturne et d'apparition miraculeuse de cadeaux sortis d'un quelconque placard. Pas de visiteurs trop bruyants, car elle était la seule enfant de sa famille immédiate, ses frères et sœurs étant déjà rendus à l'âge adulte et lui faisant davantage office d'oncles et de tantes que de fratrie.

Ses ludiques cadeaux, elle les choisissait. Catalogues Sears et Distribution aux consommateurs fraîchement arrivés, à la demande maternelle, elle encerclait les articles qui lui plaisaient et qui servaient de liste parentale pour les achats à venir. C'était tout de même bien pratique et avait le mérite d'éviter à la petite Marie un jouet imprévu, un indésirable intrus, qui aurait gâché ses habitudes de vie et son confort douillet. Au moins, elle pouvait durant quelques semaines contempler les images des jouets sélectionnés, ces étrennes bientôt en route vers sa maison.

Ainsi, ils parvenaient déjà à lui devenir familiers avant de venir prendre une place permanente dans sa chambrette. Leur matérialisation se faisait alors sans heurt. Sa seule surprise demeurait d'ignorer quels choix proposés seraient les heureux gagnants et se retrouveraient enrubannés dans de très carrées ou rectangulaires boites aux couleurs criardes.

Mais même en ayant fait sa présélection, elle était anxieuse. Est-ce que la Barbie à la robe écarlate sera au rendez-vous? Et le jeu Merlin, arrière-arrière-grand-père spirituel du IPad, sera-t-il un heureux élu? Et le spirographe, que son manque de motricité fine ne lui permettra jamais d'utiliser adéquatement, sera-t-il vautré sous le sapin?

Son temps des fêtes se clôturait invariablement par le souper familial, où le menu était toujours traditionnellement identique. Elle retrouvait la texture granuleuse du pâté de viande où sa mère ajoutait un peu de cannelle, son ingrédient «secret», connu de tous. La dinde se présentait toujours un peu sèche sur le grand plat orné d'un poulet multicolore. La texture moelleuse des pommes de terre pilées la laissait toujours légèrement horrifiée. Car aux goûts et aux textures particulières, elle demeurait continuellement sensible et dédaigneuse.

La petite Marie aimait ses Noëls silencieux, mais elle était bienheureuse de retrouver ses après-Noëls plus tranquilles encore, où les fauteuils reprenaient leurs places assignées dans leurs empreintes gravées sur le tapis, où le gros sapin retournait dans son sarcophage pour une année entière et où les jouets devenaient de plus en plus familiers à force de faire partie de son paysage visuel. Pour la petite Marie autiste, le temps des fêtes, c'était beaucoup de bruits inutiles, pour presque rien...

Marie Josée Cordeau est l'auteure du livre Derrière le mur de verre aux Éditions Cornac. Pour suivre les activités et conférences de Marie Josée Cordeau, vous pouvez consulter son site internet.

LES CONTES DE NOËL DU HUFFINGTON POST QUÉBEC

- 1er décembre - Un joli compte de Noël - Réjean Bergeron

- 2 décembre - Le père Noël n'existe pas - Bianca Longpré

- 3 décembre: Le dernier cadeau - Yannick Marcoux

- 4 décembre: Pour Noël, j'aimerais manger trois fois par jour... - Virginie Chaloux Gendron

- 6 décembre: Pour toi chère Clotilde - Patrick Laperrière

- 8 décembre: Un Noël de plus en célibataire - Isabelle Tessier

- 9 décembre: Un Noël dans le Bronx - Steve E. Fortin

- 10 décembre: L'étrange histoire de Monsieur Perdu - Karim Akouche

- 11 décembre: Le conte «trash» de la cloche - Josée Durocher

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