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«Les Événements»: des questions sans réponse

Cette pièce relate les suites d'une tuerie à caractère raciste. Est-il possible de trouver des explications à ces actes?
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Les morts n'ont plus rien à voir avec les vivants, du moins c'est ce que l'on croit. Mais pour Claire, la femme ministre et directrice d'une chorale dont les membres ont été victimes d'un tueur de masse, cet énoncé n'a aucun sens. Peut-être parce qu'elle se retrouve dans une espèce d'entre-deux où, un peu comme Joan Didion dans The year of magical thinking, elle veut désespérément trouver un sens et des réponses à une question qui n'en a probablement pas, de réponses: Pourquoi?

De l'auteur écossais David Greig, j'ai vu Yellow Moon et le délicieux Midsummer. Cette pièce, Les Événements, présentée à La Licorne, impeccablement traduite comme toujours par Maryse Warda, relate les suites d'une tuerie à caractère raciste. Mais on peut aussi penser à Polytechnique, à Sandy Hook, au marathon de Boston, à Anders Breivik, aux attentats contre Charlie Hebdo et à ceux survenus à Paris l'automne dernier: des événements dont la motivation principale est la haine face à un groupe particulier. Est-il possible de trouver des explications à ces actes? Claire semble le penser.

Joanna Nutter incarne avec force et conviction cette Claire face à un Emmanuel Schwartz terriblement charismatique. La mise en scène et la direction de comédiens de Denis Bernard est superbe à ce niveau: la bonté, le cœur, le désarroi de Claire ne sont jamais écrasés par cette très forte incarnation du mal qu'elle retrouve en face d'elle; les deux se livrent à un duel à armes égales opposant l'humanité au nihilisme. Et la tentation qu'éprouvera Claire de basculer du côté sombre est totalement crédible et suscite même notre sympathie. Tout cela se joue avec comme toile de fond les répétitions de la chorale. C'est Yves Morin qui est à la composition et à la direction musicale et qui donne aux chants une énergie survoltée, parfois tendre, parfois violente, toujours fascinante.

Emmanuel Schwartz joue plusieurs rôles: la blonde de Claire, le père du tueur, un psy, un dirigeant d'un groupuscule d'extrême-droite...Dans tout, il est parfait, singulièrement agile dans toutes ces incarnations. Mais en tueur, il glace le sang. Alors que Claire voudrait qu'il soit fou, ceci expliquant cela, il ne l'est pas. Il souffrirait d'un déficit d'empathie, selon les spécialistes, et l'argument qu'il invoque pour justifier son acte est de tuer pour protéger sa tribu. Claire et sa chorale multiethnique constituent donc une cible de choix.

Il n'y a plus de réconfort dans la foi et la religion pour Claire. Son âme, dit-elle, s'est détachée de son corps et n'est jamais revenue. La femme au cœur pur se retrouve soudain habitée par une haine incontrôlable, par des sentiments dont elle ignorait l'existence. La haine engendre la haine, le mal engendre le mal semble nous dire David Greig mais, en fait, c'est plus compliqué que ça. J'ai aussi pensé à L'adversaire où Emmanuel Carrère tente de trouver les raisons qui ont amené Jean-Claude Romand à commettre des actes inqualifiables. Je crois qu'il cherche encore, lui aussi.

Les spectateurs de La Licorne étaient silencieux, rivés à leur siège devant deux volontés qui s'opposent, devant cette confrontation entre Claire et le tueur à la fin de la pièce qui m'a laissée sans voix. C'est un moment de théâtre incroyablement puissant dans lequel on dépayse le regard et l'âme de l'observateur.

Ce texte fort est superbement desservi par des comédiens complètement investis et par une mise en scène qui négocie les nuances de la tragédie dissimulées dans la vie des personnages. C'est ainsi que l'on touche d'un peu plus près à la vérité, même si Claire ne trouvera jamais de réponses à ses terribles interrogations, même si elle ne saura jamais pourquoi.

Les Événements, une production du Théâtre de la Manufacture, à La Licorne jusqu'au 20 février 2013.

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