Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Les femmes et le droit musulman en Occident

L'intégration des minorités musulmanes en Occident est un débat qui ne cesse d'être propulsé au cœur des préoccupations sociales, en Europe comme au Canada. Elle soulève des questions d'une importance fondamentale. Quelle place les pays occidentaux doivent-ils accorder aux normes et aux coutumes musulmanes? De quelle manière ces normes s'insèrent-elles dans les systèmes juridiques d'accueil? Quel impact cette «transplantation» peut-elle avoir sur les femmes?
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

L'intégration des minorités musulmanes en Occident est un débat qui ne cesse d'être propulsé au cœur des préoccupations sociales, en Europe comme au Canada. Elle soulève des questions d'une importance fondamentale. Quelle place les pays occidentaux doivent-ils accorder aux normes et aux coutumes musulmanes? De quelle manière ces normes s'insèrent-elles dans les systèmes juridiques d'accueil? Quel impact cette « transplantation » peut-elle avoir sur les femmes?

J'ai récemment publié aux Presses de Sciences Po à Paris un livre qui s'attarde à ces questions. L'ouvrage, intitulé Mariages musulmans, tribunaux d'Occident : les transplantations juridiques et le regard du droit, aborde la migration du droit musulman de la famille vers les tribunaux occidentaux à travers l'exemple du mahr, règle musulmane en vertu de laquelle l'homme doit verser à sa femme une somme d'argent en prévision du mariage et lors du divorce. J'analyse le traitement de cette institution par les tribunaux d'Allemagne, du Canada, des États-Unis et de France lorsqu'ils sont saisis d'une demande de divorce par un couple musulman.

En décrivant la réception du mahr musulman au sein des quatre pays, je me penche sur la protection accordée aux femmes musulmanes par l'intermédiaire de divers domaines du droit. En effet, une demande de divorce impliquant le mahr musulman peut faire intervenir le droit de la famille occidentale, le droit constitutionnel (en particulier les notions d'égalité, de liberté de religion et de séparation de l'Église et de l'État), le droit des contrats (les époux musulmans signent généralement lors du mariage un contrat prévoyant le paiement du mahr) et le droit international privé (par exemple ces règles du Code civil du Québec qui déterminent la place accordée aux lois et décisions judiciaires étrangères quant à des personnes se trouvant au Québec). Mon livre est donc un ouvrage spécialisé dont les propositions sont toutefois assez simples: l'équité et la justice sociale adaptées aux circonstances de chaque femme musulmane.

La transplantation du droit musulman: quel impact sur les femmes?

Une des conclusions de mon livre est qu'il est irréaliste de penser écarter complètement le droit religieux, car celui-ci s'insère toujours dans les systèmes occidentaux, même les plus laïques. Ainsi, les tribunaux appliqueront parfois directement le droit religieux étranger lorsqu'un couple musulman marié à l'étranger entame des procédures de divorce civil en Occident. Il en sera ainsi notamment en France et en Allemagne, où la tradition européenne veut que l'on applique le droit de la citoyenneté en matière familiale. Ces règles découlent de l'idée selon laquelle l'intégration de l'individu à une communauté nationale doit être préservée. Selon cette approche, lorsqu'un individu organise sa vie en fonction de son système juridique, le droit doit préserver cet état de fait en lui appliquant le même système juridique, à moins que cet individu ne s'intègre à une autre communauté nationale en obtenant la citoyenneté de ce pays. Pour les individus musulmans qui n'ont pas acquis la nationalité de leur pays de résidence (souvent parce que les lois restrictives du pays d'accueil rendent cela impossible), cette règle implique que le droit familial musulman de leur pays d'origine leur sera applicable et ce, peu importe le nombre d'années passées en Occident ou la volonté de s'intégrer à la société d'accueil.

Le Québec, s'il est surtout influencé par l'approche anglo-saxonne consistant à appliquer aux matières familiales le droit du pays de domicile plutôt que celui du pays de citoyenneté, subit quand même l'influence européenne à certains égards. Pensons à la séparation des biens comprise dans le régime matrimonial, qui en vertu du Code civil du Québec sera régie par la loi du domicile des époux au moment du mariage. Cette règle, qui tend à privilégier la loi étrangère au détriment du droit québécois, implique souvent pour les femmes musulmanes une renonciation forcée à la division équitable du régime matrimonial en vertu du Code civil au profit du régime coranique de la conservation des biens par leur propriétaire et ce, peu importe la contribution de la femme aux avoirs du mari par le biais de travail domestique non rémunéré.

Par ailleurs, le problème de la place à accorder aux règles musulmanes se pose également lorsqu'on applique uniquement le droit d'un pays occidental. En effet, le mahr correspond à la définition de plusieurs concepts juridiques reconnus par les droits occidentaux, dont celui du contrat. Le mahr a d'ailleurs été considéré comme un simple contrat - de donation ou de mariage - dans toutes les juridictions abordées dans mon livre, y compris le Québec. Étant donné que les tribunaux occidentaux prétendent respecter la liberté contractuelle, ils sont tenus, en l'absence de vice de consentement, de donner effet à un document signé par les parties prévoyant le paiement d'une somme d'argent. Or, le contrat de mariage musulman n'est rien de moins que cela. C'est ce qui a mené des tribunaux québécois, canadiens, américains, allemands et français à forcer l'exécution du mahr et à reconnaître cette institution du droit musulman de la famille.

Cette reconnaissance du mahr a souvent donné lieu à une imprévisibilité juridique, en raison du fait que le mahr peut être qualifié différemment selon la teneur du système juridique du pays d'accueil. Ainsi, pour ne mentionner qu'un exemple, le mahr peut être considéré comme un contrat de donation qui s'additionne aux bénéfices résultant du droit de la famille occidental ou au contraire comme un contrat de mariage qui remplace ces bénéfices. Nul besoin de dire que ces deux interprétations mènent à des résultats radicalement différents pour la femme impliquée, qui peut se voir privée de pension alimentaire et de sa part des biens matrimoniaux.

Une fois cette question juridique complexe décidée, les époux pourront emprunter de nouvelles avenues pour obtenir ou contrer l'exécution forcée du mahr, selon leurs intérêts. Ainsi, on pourra plaider que l'exécution du mahr viole le principe de séparation de l'Église et de l'État, est contraire à l'ordre public du pays d'accueil, etc. Dans certains cas, la femme s'oppose à la reconnaissance du droit musulman et, dans d'autres, elle la réclame, dépendamment du résultat de l'interaction entre droit religieux et droit occidental de la famille. De nombreuses avenues juridiques s'ouvrent alors, avec des conséquences tout à fait imprévisibles pour les femmes.

Conclusion: une analyse juridique nécessaire

Ce ne sont là que quelques exemples des complexités juridiques explorées dans mon ouvrage. Une des raisons qui m'ont poussée à m'attarder à ce phénomène est la simplification trompeuse qui est présentée au grand public, comme s'il suffisait d'être « pour » ou « contre » le droit musulman sans s'attarder à la manière dont la rencontre a déjà eu lieu et comment cette rencontre se déploie dans les coulisses du droit. En effet, le débat sur la présence musulmane en Occident demeure fixé sur des enjeux comme le port du foulard et les rituels religieux, dont l'influence sur la condition des femmes est souvent négligeable. La conséquence tragique en est qu'on ne discute pas des questions les plus importantes du point de vue des femmes musulmanes, comme l'impact financier d'une interprétation donnée du Code civil ou encore cette règle québécoise qui veut que des femmes musulmanes immigrantes se voient appliquer le régime matrimonial coranique peu importe leur niveau d'«intégration» à la société d'accueil.

On ne pourrait blâmer certaines femmes musulmanes d'y voir là une forme d'hypocrisie de la part d'une société qui se targue de leur offrir un meilleur sort que leur groupe minoritaire, mais qui ne se soucie pas des enjeux autour desquels se joue leur émancipation économique et sociale. La modeste contribution de Mariages musulmans, tribunaux d'Occident sera, je l'espère, de mettre à l'ordre du jour ces questions trop souvent escamotées.

> Cliquez ici pour voir des photos du lancement du livre Mariages musulmans, tribunaux d'Occident ayant eu lieu le 20 novembre 2013 à la Grande Bibliothèque de Montréal.

> Cliquez ici pour commander un exemplaire de Mariages musulmans, tribunaux d'Occident.

À VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

1. Islande

Les meilleurs et les pires pays pour les femmes selon le Forum économique Mondial

Retrouvez les articles du HuffPost sur notre page Facebook.
Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.