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Tous les 15 jours, une langue meurt

Les langues disparaissent tout aussi vite que les espèces. Selon les estimations les plus fiables, tous les 15 jours, quelque part dans le monde, le dernier locuteur, le dernier homme possédant la connaissance d'une langue meurt. Des 6000 langues qui constituent la « logosphère », il ne devrait plus subsister d'ici un siècle qu'entre 500 et 3000 d'entre elles.
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Aujourd'hui, pour le GIEC, "le réchauffement du système climatique et sans équivoque". "Alors que les résultats issus de recherches scientifiques sont de plus en plus clairs, le défi est de plus en plus difficile à relever, en même temps que les solutions se font jour. Ces opportunités doivent être saisies et renforcées par les gouvernements, les entreprises, la société civile et les individus", a déclaré le Secrétaire exécutif de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), Christiana Figueres.

Nous connaissons tous l'impact négatif que nous avons sur notre environnement et sur les espèces avec lesquels nous devrions « partager » notre planète. Nous ne partageons pas.

Fiers que nous sommes, de notre place en haut de l'échelle des prédateurs, même si nous avons ce statut de « singe nu » comme nous qualifiait Desmond Morris. Lancés que nous sommes, à toute allure, dans une (r)évolution que nous ne comprenons qu'à moitié, car, à chaque fois que nous nous arrêtons un tant soit peu, que nous nous regardons, nous sommes incrédules devant l'incidence de nos actes sur nos vies et nos comportements, et sur ceux des autres in fine. Facebook en est une expression.

Singe ou pas, notre planète traverse actuellement une crise de la biodiversité. Environ 16 000 espèces dont 12 d'oiseaux, 23 de mammifères et 32 % d'amphibiens sont en voie de disparition sur notre planète, nous rappelle David Suzuki. Une espèce animale ou de plante disparaît toutes les 20 minutes, soit 26 280 espèces disparues chaque année.

Près d'un quart des espèces animales et végétales pourrait disparaître d'ici le milieu du siècle en raison des activités humaines.

Voilà pour planter le décor. Pas très réjouissant.

Je ne disserterai pas sur ce que d'autres ont décrit de long en large, les mots se fondant les uns aux autres pour exprimer que tout part à vau-l'eau. Si j'ai décrit la situation de la biodiversité, c'est que nous y sommes fortement liés, pieds et poings, non pas seulement par le fait d'y évoluer et d'y vivre, mais aussi parce que nous y sommes attachés par nos mots, notre langage, nos langues, ces liens séculaires à la nature.

Face invisible de l'iceberg, les langues disparaissent tout aussi vite que les espèces. Selon les estimations les plus fiables, tous les quinze jours, quelque part dans le monde, le dernier locuteur, le dernier homme possédant la connaissance d'une langue meurt.

Des 6000 langues qui constituent ce que le linguiste Michael Krauss appelle la « logosphère » (comme la diversité biologique fait notre biosphère), il ne devrait plus subsister d'ici un siècle qu'entre 500 et 3000 d'entre elles. Suivant les prévisions. Il n'y pas que le GIEC qui s'alarme.

Les langues disparaissent, c'est un fait avéré par l'UNESCO qui s'en inquiétait déjà en 2003 dans un rapport et avec elles, tout notre savoir.

La diversité des langues humaines a de tout temps été perçue comme une malédiction autant par le simple quidam que par le monde politique ou les médias. Uniformiser pour mieux contrôler.

La mondialisation des langues. Le libre-échange.

La plus grande erreur de notre monde moderne est de s'imaginer que toute la sagesse du monde et toute l'information pertinente pourraient être exprimées par l'anglais principalement, le français accessoirement ou toute autre langue dominante.

Au fur à mesure de l'avancée de l'anglais, de l'espagnol, du français, de l'hindi, du mandarin, éliminant des milliers de langues minoritaires, c'est une grande partie de notre savoir qui disparaît. Perdre nos langues est dramatique, pour nous, les êtres humains.

Nicholas Evans - directeur du département linguistique du College of Asia and the Pacific à l'Australian National University (Canberra) nous alerte et cite David Harmon le premier linguiste à avoir mis en lumière en 1996, la corrélation entre la biodiversité et les diversités linguistiques. Des approches récentes se fondent désormais, non plus sur les frontières tracées arbitrairement, mais sur les grandes régions écologiques.

La langue comme l'inuktitut parlée par les Inuits ne se limite pas à décrire en 20 mots ou plus la blancheur de la neige. Les langues nous lient à notre environnement, bien plus que nous nous l'imaginons.

Est-ce la technologie, la volonté d'unifier le langage et la volonté d'aller au plus simple dénominateur commun, qui nous font perdre la commune mesure de l'importance de ce lien ?

C'est pourtant une langue impénétrable qui a mis à jour le bienfait d'une plante, la zostère dans le golfe de Californie, bien connue des Indiens Séris pour sa valeur nutritionnelle. C'est ce lien précis de langage entre le monde des Séris et la nature qui a permis de découvrir qu'elle pouvait être cultivée sans un besoin d'eau fraîche, de fertilisants artificiels ou de pesticides. Une grande découverte en agronomie.

Autre exemple ? La découverte de la prostarine, un médicament contre le VIH de type 1, remontant à une conversation entre le guérisseur tribal Samon Epensea Mauigo et l'ethnobotaniste Paul Allen Cox concernant les usages médicaux de l'arbre dont ils s'entretenaient (Homalanthus Nutans). Le fait que Cox parlait le samoan est un élément clef de cette découverte explique Nicholas Evans dans son livre Ces mots qui meurent.

Dans le silence général, les langues meurent. Et l'eau submerge les Vanuatu.

« Une langue est en danger quand elle est en voie d'extinction. Elle est mise en danger lorsque ses locuteurs cessent de la pratiquer, réservant son usage à des domaines de plus en plus restreints, et qu'elle ne se transmet plus de génération en génération. Autrement dit, il n'y a plus de nouveaux locuteurs, que ce soit chez les adultes ou les enfants.On estime que 97 % de la population mondiale parle 4 % des langues du monde et, inversement, 96 % des langues du monde sont parlées par 3 % de la population mondiale (Bernard 1996). Notre hétérogénéïté linguistique est donc pour l'essentiel sous l'intendance d'une petite minorité de la population mondiale », écrivait dans son rapport le groupe d'experts de l'UNESCO sur les langues en danger.

Et que dire de cette vérité ? « Un vieillard qui meurt, c'est une bibliothèque qui brûle » déclarait l'ethnologue et écrivain malien Hamadou Ampaté Ba, en 1960 à l'UNESCO. 50 ans plus tard, cette même institution nous prédit toujours qu'au cours du XXIe siècle plus de la moitié de notre patrimoine linguistique pourrait disparaître. Et tout notre savoir inestimable qui est attaché.

Dix-sept pays accueillent 60 % des langues de la planète, alors qu'ils ne représentent que 27 % de la population mondiale et 9% de la superficie du globe.

Nous avons beaucoup à perdre, pas seulement la richesse des assemblages de phonèmes, de diphtongues, de sons pour communiquer entre nous, mais surtout ce lien unique, celui que nos ancêtres ont eu avec la nature, et qu'ils nous ont transmis, sans même que nous nous en rendions compte, et ce à travers des mots.

De quoi tourner notre langue sept fois dans la bouche avant de parler. Et faire plus qu'y penser. Question de franc-parler.

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