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«Les Muses orphelines», au Théâtre Jean Duceppe: familles, je vous hais!

«Les Muses orphelines», au Théâtre Jean Duceppe: familles, je vous hais!
François Brunelle

On peut difficilement se tromper en programmant une valeur sûre comme Les Muses orphelines en parcours de saison théâtrale. Incontournable du répertoire de Michel Marc Bouchard la pièce, jouée 120 fois à travers le monde, est actuellement reprise au Théâtre Jean Duceppe. Portée par une distribution extraordinaire de sensibilité, de vérité et d’humour, elle est toujours d’actualité avec sa trame intemporelle, celle d’une famille déchirée par l’absence et les non-dits.

Dans le Québec de 1965, au fond d’un rang du petit village de Saint-Ludger-de-Milot et pendant le week-end pascal, le clan Tanguay revit les affres de son passé. Catherine (Macha Limonchik), Luc (Maxime Denommée) et Martine (Nathalie Mallette) se sont toujours fait un devoir de cacher à leur petite sœur un brin déficiente, Isabelle (Léane Labrèche-Dor), que leur mère avait levé les voiles 20 ans plus tôt, préférant soutenir devant leur cadette qu’elle était décédée. Incorrigible rêveuse, risée de tout un village, la maman avait abandonné sa progéniture pour soi-disant suivre son amant espagnol dans son pays d’origine.

Or, au hasard d’une rencontre, Isabelle apprendra la vérité. Blessée d’avoir été trahie par ses aînés, elle organisera alors un grand subterfuge pour se venger. Utilisant le prétexte du dimanche de Pâques – le «jour des résurrections», comme elle le dit si bien -, la gamine de 27 ans, naïve, mais pas sotte, réunira son frère et ses sœurs en alléguant que leur mère a annoncé son retour et s’apprête à débarquer. La perspective de renouer avec l’auteure de leurs jours, qui leur est à la fois étrangère et précieuse, effraiera les enfants Tanguay qui hurleront leurs tourments intérieurs avant la grande arrivée.

D’emblée dramatique, le propos est ici dilué dans un vernis comique toujours apprécié, qu’on doit surtout à la capacité des comédiens à insuffler une joyeuse légèreté à des répliques parfois lourdes. La musique, qui s’élève ici et là entre les tableaux, reflète bien l’angoisse qui anime les protagonistes et la tension qui règne dans cette maison pleine de secrets.

Remarquables têtes d’affiche

Il serait ardu de décerner une «première étoile» dans le quatuor d’acteurs qui donne corps à cette relecture des Muses orphelines. Dans la peau d’Isabelle, jeune adulte naïve par qui le scandale arrive, Léane Labrèche-Dor accomplit de bien jolies choses. Attachante à souhait en femme enfant qui aspire à s’émanciper, l’actrice, qui participe à sa deuxième production professionnelle sur les planches, prouve qu’elle a l’étoffe pour incarner tant le drame que la comédie. La délicate Nathalie Mallette personnifie ici une militaire lesbienne aux allures masculines, une écorchée vive qui dissimule mal ses blessures sous des dehors détachés. Maxime Denommée fait rire plus qu’il n’émeut sous les traits d’un homme en sérieuse carence d’affection maternelle, qui porte les robes de sa mère dans l’espoir de la faire revivre, mais le caractère grandiloquent de son personnage apporte un vent de fraîcheur à l’ensemble. Quant à Macha Limonchik, elle rend parfaitement toute la sévérité que commande son rôle de Catherine, avec les nuances nécessaires d’émotions ici et là.

Jamais étouffant, le huit clos érigé par la metteure en scène Martine Beaulne laisse toute la place au texte et au talent des interprètes. Seules les cloisons de la cuisine de campagne bougeront à quelques reprises afin de modifier le point de vue du spectateur. Efficace, le procédé prend tout son sens en fin de piste alors qu’un large couloir se dessine pour marquer en grand la sortie triomphante d’Isabelle. «Ce qui est beau dans une famille, c’est de savoir la quitter», claironnera l’oiseau en s’envolant du nid, probablement inspirée par une muse qui, elle, ne sera pas orpheline…

Les Muses orphelines est à l’affiche du Théâtre Jean Duceppe jusqu’au 30 mars prochain. Pour plus d’informations: www.duceppe.com.

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