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Ça fait 15 longues années que tu es entrée dans ma vie ou, devrais-je plutôt dire, que tu es entrée dans mon corps.
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Le mois de mai est le mois de la sensibilisation à la sclérose en plaques. Plus de 20 000 personnes en sont atteintes au Québec et plus de 200 000 au Canada. Souvent, une personne atteinte se retrouve démunie face à ce diagnostic. Il est donc important pour moi de témoigner de la possible marche vers le bonheur à ses côtés.

Voici ma lettre à la maladie :

Ça fait 15 longues années que tu es entrée dans ma vie ou, devrais-je plutôt dire, que tu es entrée dans mon corps. Avant cette lettre, je t'ai déjà écrit plusieurs poèmes mais force m'est de l'admettre, j'étais loin de l'état d'esprit qui m'habite présentement. Mes mots étaient alors teintés du nuage noir qui rôdait au fond de ma tête.

Bon Dieu que tu m'en as fait baver! À notre première rencontre, tu t'es jetée sur moi comme la misère sur le pauvre monde sans pitié, tu as complètement chamboulé mon univers. Pour arriver où j'en suis aujourd'hui, ce ne fut pas de tout repos. Je t'ai tellement haïe, tellement trouvé pesante! Quelquefois encore j'ai peine à te supporter. C'est que, tu es assez envahissante, tu sais?

Il ne se passe pas une seule seconde de mon quotidien où ta présence ne se fasse sentir. Partout, tout le temps, même dans les moindres petits coins de mon intimité, tu dois te montrer le bout du nez. Tu es incapable de me laisser seul pour reprendre mon souffle. Sois cependant sans crainte, car je ne t'en veux pas. Non. En fait, si je t'écris ce soir, c'est pour te remercier, te remercier pour tout ce que tu m'as appris. Même si parfois, souvent, mes paroles t'ont adressé tous les blasphèmes du monde, avec le recul, en aucun moment, je ne souhaiterais t'avoir jamais rencontrée. Je le sais maintenant, les épreuves héritées de toi, m'ont indéniablement fait avancer vers le bonheur, vers la connaissance intrinsèque de qui je suis.

Bien sûr, j'ai perdu beaucoup de plumes avant de me rendre compte de ce que tu avais réellement fait de moi. Les chutes ont été nombreuses au cours des années et je ne parle pas ici que de façon métaphorique. J'ai très souvent senti, par ta faute, les caresses du ciment, de l'asphalte, du bois-franc, ou du tapis sur ma peau. Tu as su me mettre en déséquilibre plus d'une fois, mais toujours, je me suis relevé, toujours.

C'est d'ailleurs une des choses dont je suis le plus fier, la résilience qui, maintenant, tout comme toi, fait partie intégrante de mon être. Et c'est une alliée de taille à avoir de son côté, puisque tu as plus d'un tour dans ton sac. Loin de te contenter de ces multiples chutes, tu m'as aussi emmené dans le profond ventre du dragon des deuils. Inlassablement, je t'ai vue arracher, peu à peu, des morceaux de mes acquis, et ce, encore une fois, sans pitié. Ça a commencé avec mon pied droit, ensuite tu es montée jusqu'à la jambe, puis, ce fut le même manège du côté gauche, et tu as continué à me mordre l'intérieur de la chair. Presque toutes les parties de mon corps y sont passées. Il faut dire qu'en 60 saisons, tu as eu amplement le temps de te glisser sournoisement un peu partout en moi.

Depuis le début de cette missive, de ce déferlement salvateur, je ne te parle que des sévices corporels m'ayant été infligés de ta main. Il y a bien plus cependant, beaucoup, beaucoup plus.

Les pertes dues à ma rencontre avec toi sont innommables. Je ne peux toutes te les nommer. Je ne crois pas avoir assez d'encre ou de mots dans mon stylo, pour te les énumérer dans une liste. D'ailleurs, ce n'est pas le but de ces lignes t'étant adressées aujourd'hui. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, aussi chiante puis-je t'avoir trouvée, je dois te l'avouer. Sans savoir comment tu as pu réussir ce gigantesque tour de force, tu as su tranquillement me mener vers un meilleur ailleurs. Un monde qui auparavant ne m'effleurait pas même l'épiderme de l'esprit.

Je ne peux plus mettre un pied devant l'autre ou me tenir debout. Je suis devenu un marcheur immobile. Les forces de mon corps m'ont peu à peu quitté mais, à mon grand étonnement, les forces de mon esprit ont, avec une vigueur exponentielle, pris la relève. C'est Nietzsche je crois qui disait «ce qui ne nous tue pas, rend plus fort». Tu ne m'as pas tué! Tes symptômes maladifs m'ont fait craindre le pire. Ils m'ont fait souhaiter la mort. Ils ont fait saigner mes larmes. Ils m'ont séparé de mes enfants. Ils ont saccagé ma dignité et mon intimité. Ils ont fabriqué ce que je suis aujourd'hui.

Un homme heureux, qui observe les illusions d'un autre œil.

Quiconque me regarde aura comme premier réflexe, vu les déficiences de mon physique, d'associer mon état à la présence de la maladie. Le fauteuil roulant motorisé sur lequel je m'assoie à tous les jours, passe lui aussi très rarement inaperçu. C'est difficile de te cacher Madame la sclérose, car même sans rien dire, tes attributs parlent haut et fort! Si cependant, de ce quiconque me regarde, une personne s'attarde à me voir plus loin que les apparences, il verra. Il verra tout le chemin parcouru main dans la main à tes côtés. En voyant cela il saura, pareil à moi, ne plus avoir le choix. Il te prendra avec tous tes défauts. Tous. Parce qu'une vie sans histoire est un long fleuve tranquille, dans lequel les poissons se meurent dans la complaisance et l'ignorance. Et c'est pourquoi je t'aime. Tu fais complètement partie de moi, de mon histoire, de mes revers, de mes victoires. De mon appétit pour les richesses du monde : une parole, un regard, un sourire, un geste, mes enfants, ma femme, mes amis, la lune, la douche, mon présent, ma conscience et mon bonheur.

Parce que je sais, je sais que tout est fragile. Rien ne m'est dû. Et moi, je te dois l'urgence de vivre.

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