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Ma lettre ouverte à Jean-François Lisée

43 % des immigrants se retrouvent en situation de surqualification. Il ne s'agit donc pas de qualité d'immigrants, mais de qualité des emplois et de dynamisme économique.
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Monsieur Lisée, dans votre course comme candidat à la direction du Parti québécois (PQ), vous avez récemment créé quelques controverses comme celle autour du burkini, celle à propos d'éventuelles mitraillettes cachées sous les burqas ou encore celle sur des supposés liens entre Alexandre Cloutier et l'imam Adil Charkaoui. Autant de références à ce qui vient d'ailleurs. J'ose faire un lien déplacé avec le PQ dans sa signification première en France (papier toilette), c'est nul à chier...

Peut-être me direz-vous que vos propos ont été tirés hors de leur contexte, mais voyez-vous, je considère que vos affirmations en quelques mots seulement sont dangereuses considérant leur angle de communication limité et leur portée collective. Je ne doute pas que vous êtes un homme intelligent, monsieur Lisée. J'imagine que vous savez sans aucun doute jauger le poids des mots. Et j'ose espérer que vous savez que votre droit de parole sur toutes les tribunes est indissociable d'un devoir de réserve qui incombe d'ailleurs à toutes les personnalités politiques, qu'elles soient du PQ, du PLQ, de la CAQ, ou autre.

Hélas, la politique est devenue un désolant spectacle - ou un cirque - comme partout ailleurs. Pourquoi, en tant qu'homme intelligent, vous prêtez-vous à ce jeu, monsieur Lisée? À quoi cela vous sert-il de prendre les traits d'un camelot qui vend son journal l'Itinéraire ou de lancer des petits cailloux dans la mare médiatique en regardant les vagues qu'ils provoquent?

43 % des immigrants se retrouvent en situation de surqualification. Il ne s'agit donc pas de qualité d'immigrants, mais de qualité des emplois et de dynamisme économique.

L'immigration «parfaite»?

Votre dernière sortie quant au fait que l'immigration n'a qu'un effet marginal sur l'économie est un autre exemple de votre jeu politique. Encore une fois, vous pointez ce qui vient d'ailleurs. Vous affirmez que des études démontrent qu'elle a un impact très mineur sur la croissance économique (...). Et vous savez quoi, monsieur Lisée? Sur ce point, je suis d'accord avec vous! Mais oui, mais oui!

Mais pas avec une autre de vos affirmations qui suppose que la «meilleure immigration possible» («l'immigration parfaite»), ce sont les travailleurs comme ceux que les employeurs de Québec recrutent à «Paris, Bruxelles et Barcelone», qui correspondent «exactement à la demande d'emploi», qui sont immédiatement embauchés et «immédiatement intégrés». Mais ces travailleurs immigrés qualifiés, ils sont déjà sur le territoire! Dans une récente note, l'Institut de recherche et d'informations socioéconomiques (IRIS) souligne cependant que les nouveaux arrivants font l'objet de discrimination sur le marché du travail, et cette situation est pire au Québec qu'ailleurs au Canada.

Ainsi, 43 % des immigrants se retrouvent en situation de surqualification. Il ne s'agit donc pas de qualité d'immigrants, mais de qualité des emplois et de dynamisme économique.

Je suis moi-même une immigrante française depuis plus de 20 ans. Je fais partie de la cohorte de ceux acceptés en 1995 avec, en poche, un certificat d'immigrant permanent. Croyez bien que, jamais, je n'oserai me comparer à toutes ces personnes de partout ailleurs qui, bardées de diplômes et qui parlent mieux français que vous et moi, se retrouvent à exercer des métiers certes tout à fait honorables, mais absolument pas à la mesure de leurs compétences. J'éprouve ainsi toujours de la tristesse quand j'entends l'histoire de ce chauffeur de taxi (un parmi tant d'autres) tiraillé entre la déception de ne pas faire vivre dignement sa famille ici et la honte qu'il ressent face à sa famille dans son pays d'origine.

Débarquée à Montréal, j'ai commencé à répondre à des annonces, sans succès. J'ai passé les examens d'aptitude de nombreuses agences de placement, sans succès. Non pas que mes examens étaient ratés (bon, c'est vrai que mon accent anglais portait à sourire), mais on me répondait généralement que je n'avais pas d'expérience sur le marché québécois. Sans oublier le fait que «les Français repartent de toute façon généralement au bout de deux ans», comme on me l'a dit à deux ou trois reprises. Une porte s'est finalement ouverte sur un premier emploi bien en-deçà de mon expérience et j'ai poursuivi ma route qui n'a pas toujours été un long fleuve tranquille.

Le Québec est en panne: morosité, cynisme et découragement sont des valeurs communes qui se sont développées au fil des ans. Montréal s'est enlaidie et elle est trouée de partout.

Montréal, une ville de passage?

Tout laisser derrière soi pour immigrer est extrêmement difficile. Je ne suis même pas certaine que je le referai. Des emplois, ça se trouve et ça se perd comme partout ailleurs. Aussi, vous le savez très bien, dans de nombreux domaines d'activités à Montréal (où s'installe la majorité des nouveaux arrivants), le marché du travail est complètement saturé.

En faisant de l'immigration un enjeu uniquement économique, vous faites fausse route, monsieur Lisée. La promesse d'un emploi n'est absolument pas le gage d'une intégration réussie. Et surtout pas de longue durée pour construire une société québécoise solide et multiple. Comme je le constate déjà autour de moi, de plus en plus de personnes (natifs du Québec et immigrants) envisagent de quitter Montréal ou de n'y rester que quelques années, faute d'opportunités de développement professionnel à long terme.

Au-delà de la promesse d'un emploi stable à la mesure des compétences (entre vous et moi, le mot «stable» n'est plus dans le vocabulaire), c'est plutôt une vision de société qu'il faut vanter. Et à ce titre, le Québec est en panne: morosité, cynisme et découragement sont des valeurs communes qui se sont développées au fil des ans. Montréal s'est enlaidie et elle est trouée de partout. La peur de l'autre ou de ce qui est étranger pointe à l'horizon. Alors, monsieur Lisée, parlez-nous plutôt d'ouverture, de vision d'avenir, d'environnement, de développement collectif. Sinon, on décroche, jeune ou moins jeune...»

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