La semaine dernière, un autre scandale de financement politique a éclaté : deux députés de la Coalition avenir Québec sont visés par une enquête suite à des allégations d’embauche d’attachés politique « fantômes » qui, à même les fonds de l’Assemblée nationale, travaillent comme organisateurs pour le parti. L’odeur de scandale masque l’odeur d’un autre scandale dont on parle bien trop peu : comment les lois sur le financement politique protègent les partis établis contre des concurrents.
Voyez-vous, au cours des années récentes, il y a eu un resserrement des règles de financement pour les partis politiques. Sous le couvert d’un discours encensant la nécessité de protéger la démocratie québécoise, les partis politiques ont limité les dons qui peuvent être effectués afin d’éviter que certaines personnes « achètent » un parti politique. Ces limites s’ajoutent à celles qui empêchent des individus de dépenser personnellement afin d’appuyer un candidat.
Le problème, c’est qu’il existe toute une littérature en sciences politiques et économiques sur les effets de ces limites dépenses. Généralement, elles ont tendance à protéger les députés sortants puisqu’elles réduisent la compétition électorale.
Déjà bien établis, les députés sortants ont une réputation contre les candidats qui s’opposent à eux. De la même manière, un parti qui est au pouvoir (ou un parti avec des racines profondes comme le Parti libéral du Québec) possède un avantage bien important sur des concurrents potentiels. Pour surmonter cet avantage en faveur des députés et partis sortants, un parti « insurgent » doit trouver un candidat-vedette ou ramasser énormément de fonds afin de se faire entendre.
Il faut comprendre que les dépenses électorales ont un effet important pour ceux qui contestent un député sortant alors que le niveau de dépenses d’un député sortant ne semble pas affecter ses chances de réélection. En limitant les dons que les partis d’opposition peuvent ramasser, les partis sortants se prémunissent contre la concurrence potentielle. Par exemple, l’économiste John R. Lott a remarqué que les limites de financement ont permis aux députés sortants d’augmenter leur marge de victoire au minimum de 4 points de pourcentage. Au maximum, la marge de victoire est augmentée de 23 points de pourcentage. Les économistes Filip et Kristian Palda ont trouvé le même résultat dans le cas des élections législatives en France en 1993.
D’autres chercheurs, sceptiques de ce résultat, soulignent que ces limites ont tendance à cristalliser les partis établis en bloquant la croissance des tiers partis. Ainsi, les limites protègent ceux qui sont présents lors de l’adoption. En fin de compte, la concurrence électorale est réduite.
Soyons clairs, je n’affirme pas qu’il faut abolir toutes les limites de financement et de dépenses (l’argument de Lott mentionné plus haut, même si il est généralement partagé, n’est pas universellement partagé). Cependant, il faut pondérer tous ces effets négatifs contre les études qui démontrent que les effets positifs sont limités, voire inexistants. Étant donné le bas niveau des contributions maximales au Québec (100 $ en raison des efforts de Bernard Drainville), il est difficile de voir comment la démocratie québécoise est avantagée.
Après tout, l’exemple des députés caquistes (s’ils sont coupables) est criant. Afin de contourner les contraintes établies par les limites de financement, ces derniers ont développé un stratagème qui permet au parti d’utiliser les fonds destinés aux services à la population afin d’effectuer ce qu’un employé du parti (payé par les dons collectés) devrait faire (le Parti québécois a eu recours à ce stratagème lui aussi). Simultanément, il faut souligner que le Parti libéral et le Parti québécois, établis depuis longtemps, ont des bases de données considérables leur permettant de puiser dans une base large et identifiable de supporters. Cependant, des tiers partis comme Québec solidaire, la Coalition avenir Québec, le Parti vert, Option nationale et le Parti conservateur du Québec n’ont pas ce luxe. Avec des troupes moins nombreuses, ils ne peuvent pas rivaliser avec les armées des deux grands partis. Le potentiel de croissance de ces partis est donc limité.
Il est peut-être temps de considérer l’option de rehausser les limites de contribution afin de permettre davantage de concurrence électorale. Pour l’instant, les limites en place offrent probablement un cadeau aux partis bien établis, mais il s’agit là d’un cadeau empoisonné.
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