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«L'orangeraie»: écrire la violence

est un spectacle émouvant, plein de compassion et de tendresse pour les survivants et qui nous met en face de la créature humaine et de son dialogue impossible avec la profondeur du mal.
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On ne pouvait souhaiter mieux que cette adaptation théâtrale du roman L'orangeraie par son auteur. La voix de Larry Tremblay, si sentie dans son écriture, est magnifiée par la mise en scène sensible de Claude Poissant et par le jeu des excellents comédiens qui donnent vie à cette troublante et terrible histoire présentée sur la scène du Théâtre Denise-Pelletier.

Ce texte qui se porte à la défense des faibles comme forme de révolte face à la cruauté du monde, nous démontre une fois de plus qu'il n'y a ni rime ni raison à cette escalade de violence et de vengeance, la marque de commerce de groupes extrémistes et fondamentalistes. Avec un discours faisant appel aux croyances ancestrales, à la volonté d'un Dieu qui semble faire bien peu de cas de la vie de ses fidèles et grâce à des porte-paroles charismatiques, des êtres innocents deviennent les instruments d'une haine fatale qui, personnellement, me laisse sans voix. Je n'ai jamais compris, ne peux comprendre et ne comprendrai jamais comment on peut souscrire à un tel discours et croire que se faire exploser dans un autobus bondé ou dans un marché public en tuant des innocents peut servir une cause, quelle qu'elle soit. Il n'y a pas plus grand mystère pour moi.

La pièce n'apporte pas de réponses à cela, je le savais déjà ayant lu le roman. Elle nous donne plutôt un rayon d'espoir avec la possibilité de la rédemption par l'art. Dans le décor minimaliste de Michel Gauthier représentant efficacement plusieurs lieux, dont cette orangeraie, symbole d'une petite victoire sur l'aridité du désert et où vivent dans une relative harmonie Zahed (Daniel Parent) et Tamara (Éva Daigle), parents des jumeaux Amed (Gabriel Cloutier-Tremblay) et Aziz (Sébastien Tessier), une violence chaotique surgit lorsqu'un obus détruit la maison voisine et tue les parents de Zahed. Ces gens paisibles qui ne s'occupent pas de politique sont peut-être des proies d'autant plus faciles pour Soulayed (Jean-Moïse Martin), convaincant messager qui les persuade de sacrifier un de leurs fils afin de venger ces morts absurdes et inutiles. En causant d'autres morts absurdes et inutiles.

Le drame sous le drame, c'est que l'un des jumeaux est atteint d'une maladie incurable et que si le père désire que ce soit le bien portant qui remplisse la mission, refusant de sacrifier ce qui est déjà sacrifié dira-t-il, la mère, elle, ne voit pas les choses du même œil. Évidemment que je me suis identifiée à cette mère (intense et digne Éva Daigle) qui, habitée par une tendresse agressive, fait face à un choix impossible mais qui préfère un petit pas vers la vie plutôt que de laisser toute la place à la mort.

Dans cette histoire sous-tendue par une violence inouïe, il y a aussi énormément d'amour. Celui des parents pour leurs fils, un amour exigeant certes, mais qui n'est pas exempt d'affection. Celui, sauvage et tendre, que les jumeaux éprouvent l'un pour l'autre, chacun étant miroir et dopelganger. Sachant plus de choses qu'ils ne le devraient à neuf ans. Des enfants cernés par tant de mal, instruments de la folie aveugle de leurs aînés, posant des gestes dont ils ne comprennent ni la genèse ni la portée.

Cet amour et ce lien indéfectible qui perdureront au-delà de l'exil, de la langue et des obstacles de toutes sortes ressortiront, magnifiés et purifiés, dans une mise en abyme théâtrale, aidés en cela par un jeune metteur en scène (Vincent-Guillaume Otis) qui se demande si l'on peut écrire sur la guerre sans l'avoir vécue.

Je ne crois pas que Larry Tremblay l'a vécue non plus, mais il est certainement capable, à l'image du metteur en scène fictif de L'orangeraie de transcender l'expérience et de nous la transmettre, se faisant ainsi l'aventurier des explorations immobiles.

L'orangeraie est un spectacle émouvant, plein de compassion et de tendresse pour les survivants et qui nous met en face de la créature humaine et de son dialogue impossible avec la profondeur du mal. Ça vous laisse tout chiffonné mais conscient aussi qu'un petit répit peut parfois être accordé à un cœur tourmenté.

L'orangeraie, au Théâtre Denise-Pelletier jusqu'au 16 avril 2016.

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