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Que le droit ait primauté sur la religion, point!

Le caractère laïque civil du mariage protège les deux partenaires, mais surtout les femmes. À chaque fois que la religion est invoquée, c'est la femme qui est lésée.
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Jusqu'à récemment, ceux qui choisissent de se marier au civil ou au religieux s'en sortaient avec les mêmes effets du point de vue légal, au Canada. Le mariage implique des droits et des obligations pour les deux parties s'unissant. Le caractère laïque civil protège les deux partenaires, mais protège surtout les femmes qui sont souvent les plus vulnérables du point de vue économique en cas de divorce, car elles ont tendance à investir du temps et des efforts dans la famille, ce qui est souvent déterminant de la réussite sociale des hommes. On lutte et continue de lutter pour rompre avec les taches traditionnelles sexistes, ce n'est pas encore gagné.

Dernièrement, l'harmonie sociale avec le mariage tout court, sans épithète, vient d'être perturbée : «[d]ans un jugement récent, la Cour supérieure a donné raison au ministère de la Justice et à la procureure générale Stéphanie Vallée, qui défendent une position singulière, selon laquelle un mariage religieux n'est pas nécessairement un mariage, mais une "union spirituelle" sans conséquence, sans les obligations juridiques prévues par le Code civil. La Cour d'appel est saisie de l'affaire depuis lundi.»

Dans cette cause, le demandeur, désirant être marié sans les droits et obligations prévus par la loi, voulait rendre inconstitutionnels les articles 118 et 366 du Code civil du Québec, comme l'a souligné monsieur Felipe Morales. De cette sorte, aucune déclaration de mariage ne sera faite au directeur de l'État civil.

Sans aucune surprise, j'ai constaté que la religion n'a presque jamais été invoquée par les femmes pour se protéger des injustices conjugales et sociales. Ce sont toujours les hommes qui invoquent la religion pour défendre leurs points. Pourquoi ? Parce que la religion n'est pas égalitaire ; elle est patriarcale.

Les principales victimes des jugements religieux sont les femmes. La religion n'est compatible à une société moderne que lorsqu'on lui aura enlevé tous les aspects inégalitaires et injustes qu'on lui connaît envers les femmes, c'est-à-dire lorsqu'elle sera réformée au nom de l'égalité en dignité et en droit des hommes et des femmes.

Sans vouloir être pessimiste, ce jour-là n'est pas prêt d'arriver.

Étant donné que l'État ne s'est pas donné comme ambition la réécriture des religions de manière juste et égalitaire, il ne doit en aucun cas laisser ces dernières s'immiscer dans les rapports sociaux femmes-hommes pour les régir.

À chaque fois que de pouvoirs juridiques religieux coexistent avec des pouvoirs laïques, des femmes ont été enfermées par la pression communautaire et ont vu leurs droits en tant que citoyennes à part entière bafoués par leur culture, leur religion, leur communauté, mais aussi par la complicité de l'État qui laisse développer un tel système parallèle foncièrement oppresseur.

Le demandeur, très inégalitaire et sournois, dit ne pas vouloir des effets juridiques du mariage. Pourquoi ? Parce qu'il veut les effets inégalitaires de son mariage en sa faveur, et au détriment de son épouse. Accepter une telle demande injuste revient à accepter plus tard la charia, que Mme Fatima Houda-Pepin, première musulmane députée, avait su nous protéger en 2005 en ouvrant les yeux de ses collègues, qui semblaient trouver charmante la diversité, tout en ignorant que ses conséquences peuvent être parfois désastreuses sur les femmes et les enfants, seuls les hommes y gagnant sans scrupules.

N'avons-nous pas vu les conséquences désastreuses des institutions religieuses islamiques en Grande-Bretagne, qui créent un grand déséquilibre en lésant certaines femmes musulmanes sous l'emprise de leur communauté et piégées par le laxisme de l'État britannique ?

Allons au Sénégal - mon pays d'origine - où existent deux systèmes juridiques. L'un est laïque et est issu de la règle de droit. L'autre de la religion musulmane. Dans ce dernier, en cas d'héritage dans une famille musulmane, la femme a automatiquement la moitié de la part de l'homme, sans questionnement dans la communauté. Cette femme ne reçoit la part égale à l'homme que lorsqu'il y a un héritage litigieux amené en cour de justice. Toutes les femmes vivent l'injustice face à l'héritage, mais sont freinées par la gêne ou la peur d'affronter le regard de la communauté pour aller de leur propre gré en cour réclamer leur part d'héritage égale à celle de l'homme, comme leur permettrait en principe le système laïque.

Les exemples alarmants portant sur la question des décisions religieuses sur la famille, les femmes et les enfants sont infinis. Donc cette cause portée en appel doit être traitée avec une sérieuse attention, car les impacts de «l'union spirituelle» n'ont rien de spirituel. Ils sont plutôt catastrophiques, flous et insensés.

Le ministère de la Justice et par la Procureure générale du Québec, Mme Stéphanie Vallée, n'ont aucunement réfléchi aux impacts de leur propos sur les femmes, les enfants et la société. C'est fort décevant.

De plus, l'État n'a pas à satisfaire les besoins spirituels de certains de ses membres, cela relève du privé.

Si le demandeur tient à se marier comme le lui ordonne sa religion chrétienne, tout en voulant se débarrasser des effets du mariage qui lui semblent inconstitutionnels, car ils iraient à l'encontre de sa conviction religieuse, eh bien qu'il réforme sa religion pour y mettre de l'égalité entre les hommes et les femmes sur le patrimoine familial. Ce serait le meilleur conseil je pourrais lui donner en tant que croyante qui refuse, grâce à nos institutions laïques, d'être lésée par la religion.

J'en ai marre en tant que femme, comme beaucoup d'autres, d'entendre des hommes chrétiens - comme c'est le cas dans la cause ici -, juifs, musulmans ou autres, faire toujours appel à la primauté de leur religion sur les lois en vertu de la Constitution.

Imaginons le pire dans un Québec qui reçoit chaque année 50 000 immigrants d'origines et de croyances diverses. Notre pays comporte encore des injustices et des inégalités dont on doit se départir, alors nous n'avons pas besoin d'importer des croyances religieuses ou culturelles discriminatoires au sein des institutions étatiques laïques. Celles-ci existaient au Québec, et on s'en est départi grâce à des luttes féministes. Nous n'accepterons en aucun cas et pour rien au monde de reculer sur l'égalité femmes-hommes, et nous sommes conscients qu'elle n'est même pas gagnée encore au XXIe siècle.

J'ai appris dans une initiation sur l'histoire du Québec que la Constitution canadienne n'a jamais été signée et acceptée par le Québec. Pourtant, aujourd'hui, elle menace le droit de la famille québécoise... Cette Constitution comporte des lacunes, car elle semble ne pas tenir compte de l'impact de la diversité et ses conséquences sociales lorsque l'on donne la primauté aux religions. Cette «supériorité» religieuse doit être retirée. Seuls nos droits égalitaires, laïques et unificateurs devraient avoir primauté sur toutes les spécificités religieuses ou culturelles. C'est le vivre ensemble pour le meilleur.

En conclusion, retenons encore une fois qu'à chaque fois que la religion est invoquée dans des relations impliquant un homme et une femme, c'est la femme qui est lésée. Les citoyens et leurs rapports sociaux ne sont pas régis par les religions, mais plutôt par la règle de droit. Les lois modernes sont impartiales et non taillées à la volonté des hommes.

Si aujourd'hui un homme parvient à faire appel à sa religion chrétienne pour se débarrasser des effets du mariage, demain un autre homme musulman invoquera son droit religieux à la polygamie, le mormon en fera autant, etc. Que fera-t-on d'un homme âgé qui souhaite se marier avec une adolescente parce que sa religion le lui permet ? Personnellement, je n'attends pas de justice sociale dans la religion, je l'attends plutôt de la règle de droit, de notre système laïque, qu'il faut absolument protéger du parasitage religieux, qui a pour effet de créer des sous-groupes ou sous-cultures hors-la-loi, ayant comme victimes principales les femmes et les filles.

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