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Mon cerveau autiste commence à surchauffer

Cher cousin humain, tu as organisé la société de façon à pouvoir y fonctionner : on se lève même si on est encore fatigué; on va travailler même si ça ne nous tente pas; on doit gagner de l'argent pour acheter des choses dont on n'a pas toujours besoin; on court toujours même si on manque de temps...
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C'est la troisième fois que je t'écris, cher cousin humain, depuis que j'ai fait mon coming out d'adulte autiste Asperger ou Aspie.

J'admire cette capacité que tu as à traverser la vie d'une façon aussi «naturelle».

Je sais que ton quotidien n'est pas toujours facile, mais tu me fascines avec ta compétence à exécuter des centaines de tâches, sans devoir y réfléchir.

L'exemple le plus simple à comprendre est celui de la valeur de l'argent en papier. Dans mon cerveau aspie, ce n'est pas logique qu'un seul billet brun de 100$ possède la même valeur que 5 billets verts de 20$. Pourquoi le brun vaut-il plus que le vert?

Dans ton cerveau, c'est une donnée qui est programmée depuis longtemps. Tu n'as pas à y réfléchir. Dans le mien, même à 41 ans, je dois consciemment me rappeler que deux bouts de papier, qui ont la même forme et la même épaisseur, puissent représenter des valeurs différentes.

Avec les pièces de monnaie, c'est plus simple: leur grosseur change en fonction de leur valeur - sauf pour l'insignifiant 10 sous (que je snobe volontairement).

Remarque bien, cousin humain, que cela ne me demande pas un énorme effort. Mais quand j'accumule les mini-efforts dont j'ai besoin pour prioriser et catégoriser les 3 124 tâches d'une journée, ça commence à paraître.

Pendant la coupe de cheveux, je suis hyper-stimulé par le bruit des séchoirs mêlé à celui de la musique. À chaque seconde, je dois endurer la présence d'un autre humain à quelques centimètres de ma tête.

Je vais te donner l'exemple de ma routine matinale:

Lorsque vient le temps de me raser, de me brosser les dents, de me peigner, de mettre de la crème solaire ou de choisir les vêtements que je vais porter, j'angoisse! Trop de choix à faire: je préfère donc porter les mêmes vêtements et aller travailler non rasé (vive la mode des hipsters et des lumbersexuels)!

Planifier un rendez-vous chez le coiffeur me demande autant d'effort que d'aller m'entrainer pendant une heure. La veille de ma coupe de cheveux, je dois préparer des scénarios pour ne pas être pris de court: de quoi le coiffeur va-t-il me parler? Que dois-je répondre si...? Si je n'aime pas le résultat, comment le cacher avec mon visage?

Pendant la coupe de cheveux, je suis hyper-stimulé par le bruit des séchoirs mêlé à celui de la musique. À chaque seconde, je dois endurer la présence d'un autre humain à quelques centimètres de ma tête. L'abondance d'odeurs chimiques des produits de beauté et de manucure est assaillante, tout comme le clic-clic des ciseaux près de mes oreilles et le chatouillement des cheveux coupés mouillés sur ma nuque.

C'est la même chose quand vient le temps de gérer l'achat de pâte à dents, de savon et de papier de toilette. Rien n'est simple... Je suis incapable de faire des listes alors je repousse à la dernière minute et je me retrouve souvent à court d'inventaire... en fâcheuse position!

Sache, cousin humain, que ce n'est pas de la paresse de ma part, loin de là!

Mon médecin m'a expliqué que mon cerveau n'arrive pas à catégoriser les tâches selon leur importance. Chaque fois que je dois prendre une décision dans ma journée, je dois y réfléchir. Je lui accorde une valeur chiffrée de 1 à 10. Je la compare ensuite à celle de toutes les autres. J'arrive à comprendre que payer le loyer est plus important que raser mes poils du nez, que caresser mon chat est moins important que fermer les fenêtres quand il pleut, mais plus important que le poil du nez...

En fait, pour moi, rien n'est vraiment naturel dans ton monde matériel. Tu as organisé la société de façon à pouvoir y fonctionner : on se lève même si on est encore fatigué; on va travailler même si ça ne nous tente pas; on doit gagner de l'argent pour acheter des choses dont on n'a pas toujours besoin; on court toujours même si on manque de temps...

Dans mon monde d'autiste où je me réfugie en fermant les yeux, ces choses-là n'existent pas. Le temps n'est pas calculé, tout est libre et gratuit. Il n'y a pas de taux de chômage et de crise économique. C'est vaste, plein de couleurs et de lumière.

J'espère un jour pouvoir t'y emmener!

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