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Montréal: les policiers toujours aux trousses des immigrants sans statut

Plus de deux ans après l'adoption du statut de «Ville sanctuaire», le SPVM demeure le champion canadien des vérifications de statut d'immigration.
AP Photo/David J. Phillip

Les policiers de Montréal continuent de vérifier plus que quiconque le statut d’immigration des personnes interpellées, pour des gestes aussi simples que d’avoir traversé illégalement la rue. Et ils le font plus que tout autre corps policier canadien, s’attirant l’accusation de profilage racial.

L’adoption du statut de Ville sanctuaire en 2017 n’a rien changé dans les pratiques du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Cette année-là, Montréal a même déclassé Toronto comme champion des vérifications auprès de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC).

La situation est exactement la même en 2018, selon des chiffres obtenus par le HuffPost Québec par la loi fédérale sur l’accès à l’information. Avec 3010 vérifications de statut, le SPVM demeure en tête de classement.

Et ce, même si le corps policier s’est dit surpris de son classement l’an dernier.

Toronto, avec presque deux fois la population de Montréal, a effectué seulement 2731 vérifications. Aucun autre corps policier, même ceux de grandes villes avec d’importantes populations immigrantes, ne s’approche de ce niveau. Les policiers de Vancouver, par exemple, ont vérifié le statut d’immigration de seulement 398 personnes. Ceux d’Ottawa, 75.

Données fournies par l'Agence des services frontaliers du Canada
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Données fournies par l'Agence des services frontaliers du Canada

Cette situation choque Rosalind Wong, porte-parole du groupe Solidarité sans frontières. Le groupe milite pour les droits des immigrants.

«C’est un choc d’apprendre ça. Pour nous, c’est une impatience pour que les choses changent», dit-elle en entrevue au HuffPost Québec.

Une technique de profilage racial

Mme Wong souligne que ce sont généralement les personnes racisées qui font l’objet de telles vérifications. Elle affirme que les vérifications de statut relèvent du profilage racial.

«Le lien avec le profilage racial est très clair. On a des histoires où un conducteur est arrêté dans sa voiture et les policiers vont demander le statut de tous les passagers dans la voiture. [...] Ces demandes ne sont pas légales et elles mettent les gens dans des situations très dangereuses», affirme-t-elle.

«Si la police est soucieuse de contrer le profilage racial, ils doivent minimiser le recours à la vérification de statut pour n’importe quelle raison», ajoute-t-elle.

Il y aurait environ 50 000 immigrants sans statut à Montréal. Certains ont traversé la frontière illégalement, d’autres sont restés après l’expiration d’un visa ou après le refus d’une demande de réfugié.

Au SPVM, on indique que les policiers peuvent vérifier le statut d’une personne dans seulement trois cas, soit lors d’une enquête, pour vérifier une adresse ou pour exécuter un mandat d’arrêt.

Mais la définition d’une enquête est très large.

«Disons que je vous interpelle pour avoir traversé à un feu rouge et je demande votre nom. Des fois, les gens ont plusieurs noms, et vous n’avez pas de papier pour le confirmer. Le Code de procédure pénale est clair: tant que vous n’êtes pas identifié positivement, l’enquête se poursuit», indique l’inspecteur André Durocher, chef de la division des communications.

M. Durocher ajoute qu’il y a place à l’amélioration en ce qui concerne les vérifications de statut.

Plusieurs études et enquêtes ont fait état de pratiques relevant du profilage racial au SPVM. Le plus récent, qui portait spécifiquement sur le quartier Saint-Michel, a été publié en décembre dernier.

La Ligue des Noirs a d’ailleurs déposé un recours collectif de 4 M$ contre le SPVM.

Les actions récentes du corps policier n’ont pas convaincu les différentes communautés culturelles de Montréal. Un plan d’action a été déposé en décembre, mais il a été largement dénoncé comme insuffisant. Fraîchement assermenté, le nouveau chef de police Sylvain Caron a admis du bout des lèvres qu’il y avait «peut-être» du profilage racial au SPVM.

«Accès sans peur» aux services municipaux

L’an dernier, la mairesse Valérie Plante dénonçait l’absence d’actions de la part de l’ancien maire Denis Coderre pour aider les personnes sans statut. Ce dernier était à l’origine de la déclaration de Ville sanctuaire.

En décembre, l’administration Plante a adopté une stratégie d’inclusion des immigrants nommée Montréal inclusive. La nouvelle mairesse a abandonné le terme «Ville sanctuaire», même si la déclaration de 2017 n’a pas été retirée par le conseil municipal.

Valérie Plante (centre) et Magda Popeanu (droite) lors de la présentation du plan Montréal Inclusive.
Olivier Robichaud
Valérie Plante (centre) et Magda Popeanu (droite) lors de la présentation du plan Montréal Inclusive.

La nouvelle stratégie comprend aussi la mise en place prochaine d’une politique «d’accès sans peur» aux services municipaux.

Ce genre de politique prévoit généralement des mesures pour que les fonctionnaires, policiers et autres employés municipaux n’aient pas à demander des informations qui révéleraient l’absence de statut d’immigration. On utilise souvent l’expression anglaise «don’t ask, don’t tell» («ne demande pas, ne révèle pas») pour le décrire.

L’an dernier, la responsable du dossier au sein de l’administration Plante, Magda Popeanu, a indiqué qu’elle souhaite que le «don’t ask, don’t tell» s’applique au SPVM. Contacté récemment par le HuffPost Québec, le cabinet de la mairesse Valérie Plante rejette désormais ce vocable, préférant simplement parler «d’accès sans peur».

Dans tous les cas, cette politique sera présentée en cours d’année. En décembre, la mairesse a formulé le souhait qu’elle mène à une diminution du nombre d’appels du SPVM aux services frontaliers.

“«On veut réduire les questions sur le statut. [...] Quand on interpelle quelqu’un qui traverse la rue, ou quand une personne appelle parce qu’elle ne se sent pas en sécurité, l’idée c’est vraiment de faire en sorte qu’un policier ne sente pas le besoin d’approfondir les recherches. C’est vraiment ce qu’on souhaite»,”

- Valérie Plante, en décembre

Son cabinet indique que le Bureau d’intégration des nouveaux arrivants à Montréal (BINAM) travaille avec le SPVM pour trouver des solutions.

Pour Mme Wong, toutefois, c’est trop peu.

«L’annonce de Mme Plante est un recul par rapport à cet engagement [de l’ancienne administration] à bâtir autant que possible une Ville sanctuaire. [...] On insiste pour qu’elle donne le mandat à la police pour qu’ils cessent les vérifications de statut», dit-elle.

D’un autre côté, Mme Wong voit d’un bon oeil la politique d’accès au logement compris dans le plan Montréal Inclusive.

L’été dernier, le HuffPost Québec dévoilait que la Ville de Montréal craint une pression accrue sur le logement social si l’accès à ces unités est offert aux immigrants sans statut.

Dans tous les cas, la «Ville sanctuaire» montréalaise ne pourra aller aussi loin que les villes américaines. Au sud de la frontière, les municipalités peuvent refuser d’exécuter un mandat d’arrêt des services frontaliers. Ce n’est pas le cas au Canada.

La vérification des mandats d’arrêt constitue moins de 5% des communications entre les policiers montréalais et l’ASFC, soit 163 vérifications en 2018.

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