TOUSSAINT - Se rendre à la morgue, aller dans un cimetière, que ce soit pour la Toussaint ce vendredi 1er novembre ou à un autre moment, n’est jamais une partie de plaisir.
Pourtant, il fut un temps où les Français appréciaient de passer du temps devant les dépouilles. Au XIXe siècle, les morgues se visitaient en effet comme des attractions touristiques. C’est ce que l’on peut constater à travers ces différents articles de presse, en partenariat avec RetroNews, le site de presse de la BnF.
Illustration de dizaines de personnes “curieuses” devant la Morgue de Paris.
Le journal Le cri du peuple du 10 août 1886 attire par exemple notre attention sur “la curiosité publique et la Morgue”, plus particulièrement sur sa “salle d’exposition” . Celle-ci, “séparée en deux parties par d’immenses glaces derrière lesquelles sont les cadavres, étendus sur douze dalles mobiles”, fut démolie en 1864 mais avant cela, elle était quasiment au rang d’attraction touristique.
“La mystérieuse trouvaille du petit cadavre de la rue d’à Vertbois, et celle, non moins mystérieuse, des débris humains de Montrouge, ont appelé l’attention publique sur le lugubre réceptacle des épaves du crime et du suicide qu’un hasard quelconque fait surnager au-dessus du tourbillon humain qui s’agite dans la grande cité parisienne”, peut-on lire dans ce journal, qui explique que certaines personnes viennent bien chercher un ”être aimé disparu” mais que pour la plupart, il s’agit avant tout de venir pour le “frisson”.
En bas de cette image, un dessin de la foule devant la Morgue de Paris.
En décembre 1889, Le Petit Parisien rapporte le même phénomène. Il décrit les raisons pour lesquelles les visiteurs affluaient en masse à la morgue. “La fameuse malle de Gouffé, ‘la malle tombeau’ déposée à la Morgue, où elle a attiré depuis quelque temps une foule inusitée de visiteurs, a rappelé l’attention sur le funèbre monument où sont exposés publiquement non seulement tous les inconnus qu’une mort accidentelle ou criminelle a frappés soit sur la voie publique soit dans la Seine, mais encore tous les objets quelconques qui peuvent mettre sur la trace de l’identité d’un cadavre ou de la découverte d’un crime.”
Le Radical du 31 août 1902 va encore plus loin et raconte comment, pour les touristes (les “cousins de province”, écrivent-ils), la visite de la Morgue de Paris est un incontournable. Un peu comme s’il s’agissait d’un musée. La fameuse recherche du “frisson” est toujours d’actualité.
“Nous voilà en pleines vacances! Et l’on peut voir, depuis quelques jours, à Paris, de nombreux ‘cousins de province’ arpenter l’asphalte de la capitale (...) On vient voir Paris, et, lorsqu’on y est, la première question qu’on se pose est celle-ci. - Qu’allons-nous visiter aujourd’hui?”, peut-on lire. ”Neuf fois sur dix, notre hôte se décide, pour sa première promenade, à aller visiter la Morgue. La ‘Morgue’ de Paris est pour lui un lieu mystérieux, où l’on voit des cadavres d’assassinés, des noyés, des suicidés, et, pour peu réjouissant qu’est le spectacle, l’étranger ou le provincial tient néanmoins à y être allé de son petit frisson.”
Cette attraction fut de courte de durée. La salle d’exposition avait déjà fermé à la fin du XIXe siècle. Au début du XXe, certaines voix s’élèvent pour demander la fermeture totale de la Morgue de Paris.
“Notre cité est menacée à nouveau par les enragés démolisseurs. On croyait leur furie apaisée, elle se réveille aujourd’hui et convoite le petit morceau de maisons qui encadre la place Dauphine (...) Au lieu de toucher à ces maisonnettes jolies, c’est une baraque de cadavres qu’on devrait plutôt faire disparaître, transporter sur quelque autre berge, ou ailleurs! Qu’elle se cache et qu’on ne la voit plus! Je n’y suis entré qu’une fois, non pour voir des cadavres, mais pour voir pire, pour voir les vivants qui les regardaient”, relate L’Écho de Paris du 3 mai 1905, donnant la parole à des dessinateurs poussant un “cri d’alarme”.
Deux ans plus tard, le 21 mars 1907, Le Petit Journal annonce la fermeture de la Morgue telle que les Parisiens la connaissaient alors. “Le préfet de police vient de prendre un arrêté par lequel la Morgue de Paris sera ouverte exclusivement aux personnes qui s’y présenteront en justifiant qu’elles peuvent aider réellement à l’identification d’un corps exposé ou qu’elles ont intérêt à vérifier si le corps d’une personne disparue est exposé dans cet établissement”, est-il annoncé.
Il en est donc terminé de cette lugubre attraction touristique. ”À partir de demain, sachant la Morgue fermée à la malsaine curiosité, le public ne cherchera plus à se distraire par la vue d’un spectacle macabre et nous ne recevrons plus, ici, que les personnes qui seront à la recherche d’un disparu.”
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