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Mort au Tsar: pour qui sonne le glas

Conclusion d'un fabuleux diptyque ceest à la hauteur des attentes suscitées par le tome précédent.
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Dans un an et quelques mois, la Russie célébrera le centième anniversaire de sa révolution qui la propulsa, elle et le reste du monde, dans le siècle des illusions et des déceptions idéologiques. Si l'événement est énorme, marquant, la période précédente l'est tout autant, un fabuleux décor pour raconter une histoire d'effritement, de chaos, de passion aveugle et de dérapages démesurés. Fabien Nury et Thierry Robin l'ont très bien compris.

Une mort, deux visions

Moscou, 17 février 1905, le gouverneur et Grand-duc Sergueï Alexandrovitch de Russie meurt à la suite d'un attentat commandité par le parti socialiste révolutionnaire de Russie et organisé par l'Organisation de combat des SR, la «brigade terroriste» du parti comme aimait la surnommer son dirigeant Victor Savinkov.

Conclusion d'un fabuleux diptyque ce Terroriste est à la hauteur des attentes suscitées par le tome précédent Le Gouverneur. À la façon du Rashōmon de Kurosawa, Nury aborde Mort au Tsar sous deux perspectives différentes. Si dans le premier tome, il se consacrait au point de vue d'un gouverneur de Moscou impuissant, aux prises avec une situation, qui jour après jour, lui échappait, se dégradait et laissait la place au chaos et à l'anarchie, dans ce nouvel opus, il adopte celui du terroriste chargé d'organiser la mise à mort du dirigeant et peut-être même du régime.

Autant le premier tome présentait un gouverneur anxieux, mal assuré en proie aux doutes existentiels, autant cette conclusion met en scène un terroriste froid, calculateur, sûr de lui, en parfait contrôle des émotions et de la situation, prêt à tout pour arriver à ses fins et accomplir sa mission. Un terroriste et un gouverneur à des années-lumière l'un de l'autre, pourtant unis par la même méfiance paranoïaque et le même sentiment de n'être qu'un jouet dans les plans insondables de l'Histoire.

Avec la précision d'un horloger Nury décrit l'organisation d'une cellule révolutionnaire et le manuel du parfait conspirationniste. Toutes les étapes du complot sont décrites avec efficacité et lui permettent de mettre en place son implacable atmosphère paranoïaque composée de silences révélateurs, de non-dits lourds de sens et de regards effrayés devant les conséquences du geste à venir. Appuyé par le dessin de Robin, qui avec son trait transforme ses protagonistes en personnages plus grands que nature, presque mythiques, Mort au Tsar devient un opéra tragique qui page après page hypnotise le lecteur.

Le tandem si impressionnant dans La Mort de Staline, vient encore de réaliser une œuvre de grande qualité.

La mort du résistant

Au matin du 1er septembre 1939, les armées hitlériennes envahissent la Pologne. Le début d'une des plus grandes tragédies de l'Histoire. Paul, élève officier français, Émile, jeune résistant, Hans, SS issu des jeunesses hitlériennes, Bastian, officier SS d'expérience et Michael, scientifique allemand travaillant sur les V1 et les V2, voient leurs destins s'entrecroiser au camp de concentration Dora, situé à proximité de Buchenwald et spécialisé dans la fabrication des V1 et V2.

Publié initialement en deux volumes en 2011 et 2012 le KZ Dora connaît une nouvelle vie grâce aux éditions Des ronds dans l'O qui viennent de rééditer en un seul volume la bande dessinée de Robin Walter adaptée des souvenirs de son grand-père Pierre Walter, résistant et déporté au camp de concentration de Dora de 1943 à 1945. La nouvelle édition est suivie du journal que Walter tenait durant son séjour dans ce camp qui accueillit autour de 60 000 prisonniers provenant de 21 pays et qui fut le dernier repos de près de 20 000 d'entre eux.

En partant du récit de son grand-père le bédéiste met en superposition celui de 4 autres personnages, donnant la parole autant aux prisonniers, qu'aux gardiens du camp et qu'aux scientifiques qui élaborèrent les bombes volantes qui ravagèrent l'Angleterre.

Si le matériau est exceptionnel et les intentions sont louables, le résultat n'est malheureusement pas à la hauteur des espoirs. Peut-être parce que le défi est trop difficile à relever, scénaristiquement du moins. Créer une bédé chorale demande d'immenses capacités scénaristiques, mener de front plusieurs destins qui se rencontrent sans sacrifier à la linéarité et l'efficacité de l'histoire n'est pas un exercice facile et plusieurs scénaristes expérimentés s'y sont cassé les dents. Si des bédéistes de renom se sont plantés, imaginez un jeune bédéiste dont c'est la première œuvre... Et c'est exactement le piège dans lequel ce KZ Dora, dont la lecture est quelques fois ardue et les transitions entre les différentes histoires pas toujours évidentes, est tombé. Avec une meilleure sélection des moments racontés, avec moins de personnages, le récit aurait gagné en efficacité.

À moins que ce ne soit la maturité graphique du bédéiste qui pose problème. Avec quelques albums derrière la cravate, un trait plus assuré, moins statique, plus émotif, il aurait réalisé une œuvre de grande qualité. Mais manifestement il n'est pas en contrôle de son art, il est hésitant et fait encore face à des défis graphiques dont il n'a pas les réponses.

Avec le résultat que ce témoignage essentiel perd de sa force évocatrice. Imaginez ce que cette chronique des temps de guerre aurait pu donner entre les mains d'un artiste accompli comme Tardi. Peut-être que dans une dizaine d'années il pourra de nouveau s'atteler aux mémoires de son grand-père et leur rendre enfin justice.

Mais ne serait-ce que pour le journal de son grand-père ce KZ Dora mérite d'être lu.

Plus besoin des salons du livre et des comicons pour voir nos auteurs de bédés favoris, la bande dessinée est dans presque toutes les manifestations québécoises maintenant, même dans celles moins associées au 9e art. C'est du moins le cas du Salon de l'amour et de la séduction du 15 au 17 janvier qui recevra Thierry Labrosse et Stéphanie Leduc qui viendront y présenter leurs productions. C'est un rendez-vous.

Fabien Nury, Thierry Robin, Mort au Tsar tome 2, le terroriste, Dargaud.

Robin Walter, KZ Dora, Des ronds dans l'O.

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