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Nicole Gladu: «J’aime trop la vie pour me contenter de ce qui est devenu une existence»

Celle qui s’est battue pour obtenir l’aide médicale à mourir livre un message d’espoir avant de mettre fin à ses souffrances.
Nicole Gladu
Courtoisie/Nicole Gladu
Nicole Gladu

Les propos de ce témoignage ont été recueillis par le HuffPost Québec et retranscrits à la première personne.

Quand j’étais petite, on disait que j’étais tannante, et c’est vrai. J’ai toujours été une boule d’énergie. Si le Ritalin avait existé, c’est certain qu’on m’en aurait donné! Rien ne me faisait peur, j’étais très intrépide. J’étais le genre à grimper par des escaliers qui m’étaient interdits pour cacher le bâton de baseball des jeunes frères de ma mère.

J’ai attrapé la polio en 1949, année où il y a eu une grosse épidémie. C’était l’époque avant les vaccins. Mes parents avaient appelé un médecin du village de Sainte-Sophie, où nous passions du temps sur la ferme d’une tante de ma mère. Il a dit que j’étais tannante et qu’il fallait simplement me reposer.

La fin de semaine suivante, un des beaux-frères de ma mère, qui était médecin, est arrivé pour passer sa quinzaine. Il m’a examinée et j’ai tout de suite été amenée à l’hôpital. Le virus avait eu une semaine pour incuber. On ne sait pas pourquoi je l’ai attrapé, l’eau ou le lait non pasteurisé? J’ai été le seul cas de la région.

Nicole Gladu à Sainte-Sophie, 1948
Courtoisie/Nicole Gladu
Nicole Gladu à Sainte-Sophie, 1948

À quatre ans, j’ai été plongée dans le coma pour trois mois. Mes parents ne pouvaient pas me voir parce que j’étais contagieuse.

Quand j’ai repris conscience, il paraît que j’étais comme une petite poupée de chiffon. J’avais été surtout paralysée du côté gauche. Ma mère a demandé au médecin si j’allais marcher un jour. Il a dit: «Madame, votre fille ne marchera jamais.» Elle était complètement effondrée.

Je suis aussi sortie du coma avec un seul poumon fonctionnel. Un autre médecin avait dit: «Avec un seul poumon, Nicole n’est pas censée vivre.»

J’ai finalement fait de la physiothérapie et j’ai recouvré l’usage de mes jambes.

À l’âge de 10 ans, j’ai eu trois greffes de la colonne vertébrale. J’ai passé un an à l’hôpital dans un plâtre avec des vis.

Dans ma vie, j’ai réalisé à peu près tout ce qu’on m’avait dit que je ne pourrais pas faire.

Nicole Gladu en 1969
Courtoisie/Nicole Gladu
Nicole Gladu en 1969

Ma plus grande réalisation, c’est d’avoir osé poursuivre mes rêves sans me laisser arrêter par toutes les prévisions. C’était mon tempérament. J’avais un appétit de vivre insatiable et je l’ai suivi. Je me suis jurée de ne jamais me dire: «J’aurais donc dû». Je n’ai laissé passer aucune chance de faire ou d’essayer des choses.

Aller dans le journalisme, ce n’était pas évident. Et une fois journaliste, j’avais un autre rêve: c’était de devenir correspondante parlementaire et je l’ai été à Québec.

J’ai ensuite eu une l’occasion d’aller à New York pour y travailler comme attachée d’information aux Nations unies. Je n’ai pas hésité à changer de pays, de langue, de milieu, de travail. Par la suite, je suis devenue directrice des communications à la Délégation générale du Québec à New York.

Éventuellement, mes parents adoptifs vieillissaient. J’étais fille unique et j’ai décidé de me faire rapatrier au Québec, où j’ai travaillé à la direction des communications du ministère des Relations internationales. J’ai ensuite complété une maîtrise en administration publique.

Durant cette période, au début des années 90, j’ai eu un diagnostic de syndrome post-polio, une maladie dégénérative qui affecte des années plus tard certaines personnes qui ont vaincu la polio. Ce sont les muscles qui n’ont pas été paralysés lors de la polio, ou qui l’ont moins été, qui cessent de se régénérer. C’est comme un vieillissement prématuré.

Je sentais la fatigue et l’épuisement. Tout ça s’est enchaîné. La maladie est arrivée au devant de la scène.

“La maladie dégénérative, c’est un escalier qu’on ne descend pas marche par marche, mais qu’on déboule par palier. Moi, je suis pas mal rendue au deuxième sous-sol.”

Ma maladie est rendue très, très accaparante. Au fur et à mesure que mon état s’est aggravé, la scoliose de mon enfance est réapparue, au point de perdre mon équilibre et mon centre de gravité. Je souffre aussi d’une grave ostéoporose qui a été diagnostiquée tardivement. Mon corps est rendu très déformé. Seul mon bras droit me permet de faire tout ce que j’ai à faire, car le gauche me sert à me cramponner pour ne pas tomber. Il y a beaucoup de choses qui me sont rendues pénibles à cause de ça.

La maladie dégénérative, c’est un escalier qu’on ne descend pas marche par marche, mais qu’on déboule par palier. Moi, je suis pas mal rendue au deuxième sous-sol. Il n’y a pas de remède pour ça. Certains médicaments peuvent alléger les souffrances, mais c’est de moins en moins efficace.

En décembre 2016, j’ai demandé à mon médecin de famille si elle accepterait de m’administrer l’aide médicale à mourir. Elle m’avait dit oui, pour finalement me revenir plus tard en me disant qu’elle ne voulait pas perdre son droit de pratique. Elle avait consulté le Collège des médecins, qui, à ce moment-là, était violemment opposé à ça.

Nicole Gladu et Me Jean-Pierre Ménard, janvier 2019
La Presse canadienne/Paul Chiasson
Nicole Gladu et Me Jean-Pierre Ménard, janvier 2019

En 2017, sur le conseil de la députée Véronique Hivon, l’instigatrice de la démarche «Mourir dans la dignité», je me suis retrouvée au cabinet de Me Jean-Pierre Ménard pour déposer une requête afin que les lois provinciale et fédérale sur l’accès à l’aide médicale à mourir soient modifiées, pour en enlever les critères de «fin de vie» et de «mort naturelle raisonnablement prévisible». La bataille judiciaire d’experts aura finalement duré plus de deux ans et le jugement en notre faveur a été rendu en septembre dernier.

Je suis plutôt fière. Je pense que j’ai réussi à faire quelque chose d’utile, qui dépasse ma personne. La population du Québec est vieillissante et on parle de plus en plus d’aide médicale à mourir. Ce n’est plus tabou. C’est beaucoup plus accepté dans la mentalité publique. De parfaits inconnus m’arrêtent pour me remercier et me féliciter.

Je pourrai mettre un terme à mes souffrances au cours des prochains mois. Je veux mourir chez moi avec mes proches amis, ma vue sur le fleuve et une flûte de champagne rosé dans une main, un canapé de foie gras dans l’autre.

Parfois, j’ai une petite pointe de nostalgie, parce que j’aimerais pouvoir encore faire ce que j’ai déjà fait. Mais je n’ai pas d’amertume parce que justement, je l’ai fait. Ça m’a laissé de très beaux souvenirs.

Je fais une grande différence entre vivre et exister. Vivre, c’est une énergie, une tension. Exister, c’est passif. Un arbre existe, il a une croissance, mais la notion de volonté n’est pas là. Alors que vivre, c’est tout le contraire. J’aime trop la vie pour me contenter de ce qui est devenu une existence.

Pour moi, c’est le temps de quitter la scène.

La section Perspectives propose des textes personnels qui reflètent l’opinion de leurs auteurs et pas nécessairement celle du HuffPost Québec.

Propos recueillis par Florence Breton.

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