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Nous nous opposons au nouveau centre de détention pour immigrants à Laval

L’expansion du système de détention, dont la construction du nouveau CSI de Laval, ne représente pas une solution humaniste, mais s’inscrit plutôt dans la lignée tracée par le président Donald Trump.
Eloy Rivas détient un doctorat en sociologie et est membre de l'organisation Solidarité sans frontières.
Courtoisie
Eloy Rivas détient un doctorat en sociologie et est membre de l'organisation Solidarité sans frontières.

En réponse aux grèves de la faim d’immigrants détenus, aux manifestations publiques réclamant la fin de la détention indéfinie d’immigrants (y compris des enfants) et à la suite de décès d’immigrants détenus, le gouvernement fédéral annonce, à l’été 2016, qu’il investira 138 millions de dollars pour créer, selon le ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale, un «meilleur et plus juste système de détention d’immigration».

Ce plan comprend la création d’un nouveau centre de détention, qui ouvrira en 2020, afin de remplacer l’actuel centre de surveillance de l’immigration (CSI) à Laval.

Le gouvernement justifie ce projet par des arguments qui semblent a priori humanistes: l’amélioration des conditions des centres de détention par de meilleures infrastructures (meilleur système de ventilation, aire de jeux pour les enfants détenus, accès à une salle de télévision, meilleure literie, etc.) et la séparation entre les immigrants détenus et les prisonniers du système carcéral.

Le gouvernement prétend que ces mesures éviteront la criminalisation et garantiront le respect des droits des immigrants détenus. Or, ces arguments ignorent le problème de fond décrié par les organisations en faveur de la justice pour les immigrants.

Effets destructifs

Le travail auprès des communautés affectées révèlent que les effets destructifs répertoriés chez les immigrants ayant été détenus et chez leurs familles – dont des enfants – ne se limitent pas aux conditions de détention ou à leur cohabitation avec des détenus reconnus coupables d’actes criminels, mais plutôt par le fait même d’être détenu, privé de liberté et d’être éventuellement séparé de leurs proches et de leur communauté.

“Les conséquences de la détention sur l’intégrité physique et mentale des migrants sont graves.”

Elles ne peuvent être ignorées si l’on veut comprendre pourquoi les avocats, militants, activistes et défenseurs des droits de la personne s’opposent à la détention des immigrants et, particulièrement, à la construction du nouveau CSI de Laval.

Dans une recherche que j’ai menée en 2015-2016, à Montréal et ses environs, sur la santé mentale et physique des immigrants sans statut, dont certains ayant été détenus ou déportés; j’ai constaté que la plupart des anciens détenus des centres de détention signalent de graves troubles mentaux: cauchemars répétitifs, dépression, pensées suicidaires chroniques, troubles permanents du sommeil, crises d’anxiété, ainsi que d’autres symptômes que les spécialistes de la santé mentale associent au stress post-traumatique.

Manifestation contre le centre de détention actuel en 2019.
Hooman Kazemian
Manifestation contre le centre de détention actuel en 2019.

Cette situation est plus prononcée chez les mineurs et les femmes qui ont été détenus et séparés de leurs proches.

Témoignages

Carmelo Monge, aujourd’hui père travaillant, voisin apprécié et activiste communautaire infatigable, jadis sans papiers et détenu dans le Centre de surveillance de l’immigration de Laval, raconte dans un entretien mené par Solidarité sans frontières.

«Le gouvernement prétend que la construction de «meilleures» prisons pour les immigrants «suspects» représente la solution, mais le vrai problème est que nous sommes traités comme des criminels; d’abord par le fait même d’être arrêté. C’est réellement ce qui nous affecte. Pourquoi nous arrêtent-ils? Pourquoi sommes-nous suspects aux yeux de l’État? C’est presque toujours notre couleur de peau, notre pauvreté apparente et notre accent qui nous trahissent. C’est presque toujours sur la base de notre image que nous sommes arrêtés dans la rue. Être sans papiers n’est pas une partie de plaisir. C’est dur. Il faut du soutien, ne pas être arrêté ou emprisonné. Bien que la cage soit dorée, elle demeure une prison.»

Marina, une adolescente séparée de son frère, qui fut détenu et déporté lorsqu’il était mineur, vit maintenant avec les effets de la détention et de la séparation d’avec son frère.

Elle souffre d’insomnie, a des sueurs nocturnes, fait des cauchemars, son corps se met à trembler lorsqu’elle entend soudainement une sirène de police ou d’ambulance, mais elle a surtout perdue l’intérêt de vivre. Ceci ne devrait-il pas être suffisant pour s’opposer à la détention d’immigrants et à l’existence de centres de détention?

Les recherches en sciences sociales ont montré comment le système carcéral, dont l’expansion du système de détention et de déportation, agit comme instrument de reproduction d’un apartheid mondial par lequel les immigrants racialisés, les plus pauvres, les plus marginalisés et les plus vulnérables (les nouveaux parias du XXIème siècle) sont surveillés, disciplinés, punis, «mis à leur place» et empêchés d’exercer leur droit fondamental d’échapper à la misère et à la souffrance, afin de vivre dignement.

Les lourdeurs bureaucratiques

Nombres de politiciens et de médias sous-entendent que les immigrants sans-papiers «profitent du système» ou court-circuitent les règles du pays en matière d’asile.

Cependant, les études menées auprès des demandeurs d’asile réfugiés au Canada, qui ont perdu leur statut légal, nous montrent que les lourdeurs bureaucratiques du système de demande d’asile, l’ignorance des immigrants concernant leurs droits, leur capacité limitée à comprendre les règles du système, et les conditions d’emploi difficiles auxquelles font face les immigrants, diminuent leur capacité et leur énergie à suivre adéquatement les procédures légales.

Carmelo Monge, lors d'une manifestation contre le centre de détention actuel
Hooman Kazemian
Carmelo Monge, lors d'une manifestation contre le centre de détention actuel

Dans de telles circonstances, c’est souvent la bureaucratie qui génère l’illégalité de l’immigrant.

Par conséquent, l’expansion du système de détention, dont la construction du nouveau CSI de Laval, ne représente donc pas une solution humaniste, mais s’inscrit plutôt dans la lignée tracée par le président Donald Trump.

Par contre, la suspension indéfinie des pratiques de détention des immigrants; la fin des centres de détention, en faveur de centres de soutien aux immigrants vulnérables gérés par la société civile; le plein respect des droits des demandeurs d’asile et des immigrants sans statut; ainsi que le respect de la liberté de circulation des individus – souvent réservé aux citoyens des pays dits «développés»– nous apparaissent comme les seules alternatives humanistes aux problèmes de détention des immigrants.

Cette approche garantirait la protection de la vie et de la dignité des plus vulnérables et véhiculerait un message de paix dans un monde où la violence à l’encontre des immigrants est malheureusement devenue la règle et non l’exception.

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