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Les opioïdes tuent des milliers de Canadiens: une crise d'échelle nationale

Cette situation d’urgence en santé publique serait notamment causée par des personnes se tournant vers les opioïdes pour traiter leurs traumatismes.
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Les traitements fondés sur l’abstinence étant inefficaces, nous devons investir massivement dans des stratégies de réduction des méfaits telles que les centres d’injection supervisés et le traitement de substitution des opioïdes.
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Les traitements fondés sur l’abstinence étant inefficaces, nous devons investir massivement dans des stratégies de réduction des méfaits telles que les centres d’injection supervisés et le traitement de substitution des opioïdes.

Ce texte a été coécrit par les sénatrices Jane Cordy et Raymonde Gagné.

«Je ne suis pas né toxicomane», nous a dit un membre courageux de l'auditoire lors de notre dernier caucus ouvert du Sénat sur la crise des opioïdes au Canada. Il nous a raconté avoir lutté pendant 20 ans contre la toxicomanie. Un silence a suivi ses derniers mots, alors que l'auditoire les absorbait: «Nous devons tendre la main.»

Il a raison. Et il nous faut faire vite.

Entre janvier 2016 et juin 2018, plus de 9000 Canadiens ont perdu la vie en raison des opioïdes, une classe de médicaments communément prescrite pour soulager la douleur, facilement accessible sur le marché noir et créant une très forte dépendance. Près de 70% des décès qui lui sont attribués touchent des adultes de 20 à 49 ans, en majorité des hommes, alors qu'ils sont dans la force de l'âge.

C'est une crise à l'échelle nationale, une situation d'urgence en santé publique.

Le docteur Jeffrey Turnbull, directeur médical au Projet de santé urbaine d'Ottawa, nous a informés qu'il est facile de se procurer des opioïdes, même à moins d'un kilomètre de la colline du Parlement. «Ces jours-ci, je vois 150 héroïnomanes et cinq surdoses par jour», a-t-il affirmé.

«La drogue est extrêmement toxique», a mis en garde le docteur Turnbull. Et il s'agit d'une cible mouvante, puisque ses composés changent chaque semaine. D'une semaine à l'autre, les prestataires de services de santé ne savent pas à quoi ils ont affaire.

Quelle est la cause de cette crise?

Selon le docteur Turnbull, ces personnes «se tournent vers les opioïdes pour traiter leurs traumatismes». «Il ne s'agit pas d'une crise des opioïdes ou d'une crise des méthamphétamines», a renchéri la docteure Sheri Fandrey, professeure adjointe d'enseignement clinique au College of Pharmacy de l'Université du Manitoba.

Nous sommes aux prises avec des problèmes de traumatismes et de stigmatisation, une crise du logement et une crise de la pauvreté.Dre Sheri Fandrey

En d'autres mots, ce sont des facteurs de risque bien établis par les études, comme les traumatismes subis durant l'enfance, un faible revenu, les handicaps, le chômage et les traumatismes historiques tels les pensionnats autochtones, qui alimentent la toxicomanie.

La responsable médicale de la population et du public pour l'Indigenous Strategic Care Network, la docteure Esther Tailfeathers, a grandi dans la réserve de Blood, dans le sud de l'Alberta, une communauté de près de 13 000 habitants. Elle nous a dit que de deux à trois décès liés aux opioïdes y survenaient chaque semaine. Elle y a même déjà vu 14 surdoses en une seule nuit. Elle a ajouté qu'aujourd'hui, à cause de l'usage des opioïdes, près de 40% des enfants de cette communauté naissent avec le syndrome d'abstinence néonatale.

C'est pourquoi les membres de cette communauté ont adopté une approche de réduction des méfaits. Ils ont mis en place un centre de consommation supervisée et un centre de désintoxication supervisé et formé des travailleurs de première ligne ainsi que des membres de leur communauté. Durant les trois premiers mois, ils ont utilisé la naloxone, un médicament qui renverse les effets des opioïdes en cas de surdose. Ils n'ont constaté aucun décès lié aux opioïdes.

Selon la docteure Caroline Hosatte-Ducassy, résidente en médecine d'urgence à l'Université McGill, les opioïdes ont toujours une utilité importante en médecine pour soulager les douleurs intenses. Elle affirme toutefois qu'afin de prévenir les prescriptions excessives, les médecins doivent recevoir une meilleure formation et avoir accès à un système de dossiers électroniques intégrés.

Les médecins doivent apprendre à prescrire «la bonne dose à la bonne personne», soit la plus faible dose efficace, lorsqu'il n'existe aucune autre solution et que le patient présente un faible risque de surdose et de dépendance.

Le docteur John Weekes est directeur de la recherche et des programmes d'études au Centre de soins de santé mentale Waypoint. Il a demandé aux auditeurs si certains d'entre eux avaient déjà tenté de modifier un aspect de leur comportement, par exemple changer leur alimentation ou faire de l'exercice régulièrement. Il leur a ensuite demandé si, après avoir réussi pendant quelque temps, ils avaient échoué.

«Comment pouvons-nous nous attendre à ce qu'une personne prenant de la drogue quotidiennement soit en mesure de changer son comportement? Il s'agit d'une maladie chronique récurrente», a-t-il affirmé, faisant écho aux propos du docteur Turnbull. «Ces personnes ont besoin de notre aide.»

Le docteur Weekes a indiqué que sur dix personnes ayant été incarcérées, sept ont des problèmes de consommation abusive. Il a aussi noté qu'un grand nombre d'entre elles tombent dans la criminalité pour subvenir à leur dépendance. «J'ai rencontré des milliers de toxicomanes, a-t-il ajouté, et aucun d'entre eux ne m'a dit que cette situation faisait partie de leurs projets de vie».

Existe-t-il des solutions?

En 2016, le gouvernement du Canada a instauré la Stratégie canadienne sur les drogues et autres substances, affectant plus de 100 millions de dollars sur cinq ans, des ressources ciblées en plus d'apporter des modifications réglementaires pour faire face à cette crise.

Le nouveau budget fédéral réserve des fonds supplémentaires de 30,5 millions de dollars sur cinq ans pour résoudre les lacunes observées dans la réduction des méfaits et les traitements.

Durant les témoignages des experts, une chose est devenue évidente: il faut redoubler nos efforts.

Comme l'a mentionné le docteur Turnbull, «la criminalisation n'est pas la solution». Notre système de santé publique doit adopter une approche intégrée et multisectorielle centrée sur la prévention primaire. Il nous faut créer une campagne d'éducation et rendre accessibles à tous des solutions non médicamenteuses pour traiter la douleur et les problèmes de santé mentale.

Les traitements fondés sur l'abstinence étant inefficaces, nous devons investir massivement dans des stratégies de réduction des méfaits telles que les centres d'injection supervisés et le traitement de substitution des opioïdes.

Plus important encore, il nous faut des établissements destinés aux traitements de longue durée où l'on s'attaquera aux causes profondes de la toxicomanie en tenant compte des traumatismes subis — le tout sans liste d'attente.

Comme l'a dit un membre de l'auditoire, il est temps que nous cessions «de voir la dépendance comme un échec moral» et que nous la traitions comme une maladie grave. Il est temps pour nous de tendre la main.

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