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«Oxygène» : chaos organisé

Ivan Viripaev est selon moi un auteur pas ordinaire qui triture les idées reçues et démonte les clichés pour mieux nous en faire sentir l'absurdité.
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J'ai vu la saison dernière au Prospero la pièce Illusions d'Ivan Viripaev, un auteur russe contemporain qui nous change définitivement de Tchékhov. Illusions m'avait beaucoup plu avec ce jeu entre la vérité et l'invention, entre le réel et la fiction, entre ce que l'on perçoit et comment on l'interprète. J'étais curieuse de cette reprise d'Oxygène que je n'avais pas eu l'occasion de voir. Ivan Viripaev est selon moi un auteur pas ordinaire qui triture les idées reçues et démonte les clichés pour mieux nous en faire sentir l'absurdité. Oxygène, dans une forme différente, c'est tout à fait ça.

C'est sous un chapiteau érigé dans la salle principale du Prospero que le public se retrouve. Des tables, des chaises, on peut même prendre un verre et manger des chips pendant la représentation. L'ambiance en est une de cabaret, mais un cabaret moitié amusant, moitié grinçant où une espèce de narration en dix épisodes, qui font plus ou moins allusion aux dix Commandements, raconte l'histoire tordue de deux femmes, qui s'appellent toutes les deux Sacha.

Cabaret ou music-hall, c'est selon. Les deux comédiens, Ève Pressault et Eric Robidoux, vont donner une prestation pleine d'une énergie maniaque où une gestuelle complexe accompagne leur propos. Ajoutez à cela des éclairages sophistiqués, un étonnant changement de costume et un discours qui va à l'encontre de ce qu'on pourrait attendre dans un tel contexte, et vous avez comme résultat quelque chose à nul autre pareil. Et où le thème du besoin d'oxygène revient à point nommé.

Le texte est très dense. S'y enchevêtrent la notion d'un Dieu biblique vengeur, le meurtre d'une femme par son mari à coup de pelle (mais plus tard on parlera d'un meurtre à coup de hache et j'ai cru détecter des échos de Dostoïevski là-dedans), justifié par le manque d'oxygène dans la relation qui les unit. On aborde le monde arabe, le rhum moscovite, les perles aux pourceaux, l'impuissance masculine, l'amnésie, l'opéra et ce qui est, croit-on, fondamental. Du moins c'est ce que j'ai cru saisir car ça va très vite et les liens sont parfois ténus entre les différents arguments. Tout cela est assorti de jeux sur le langage et sur le sens des mots et des expressions. Disons que ça ne laisse aucun répit intellectuel et que ce n'est pas le genre de spectacle feelgood qu'on va voir pour se détendre.

Pour les comédiens, d'ailleurs, il s'agit d'une performance d'une extrême exigence. Non seulement le texte est complexe mais ils doivent également s'investir physiquement dans cette pièce qui comporte une mise en scène de Christian Lapointe qui ne leur laisse aucun répit. Ils bougent constamment, souvent de façon synchronisée, tout en faisant le tour de la civilisation et des sentiments humains. Ève Pressault et Eric Robidoux sont formidables d'énergie et de présence, et je suis sûre qu'après la représentation ils s'écroulent de fatigue.

Mais je crois que ce que Viripaev désire avec ce texte, c'est poser les questions vieilles comme le monde de façon différente. Il revisite l'existentialisme, la notion d'amour, les contraintes de la vie en société, la nécessité de la vengeance (je résume) parfois de façon crue et vulgaire mais toujours en coup de poing. Et la traduction d'Élisa Gravelot, Tania Moguilevskaia et Gilles Morel fait état du contexte russe, mais dans une langue québécoise texturée et remplie d'une vitalité sauvage qui contribue à l'effet ressenti. On ne sort pas indemne de ce chaos intelligemment orchestré. Ce n'est certes pas reposant, mais qui prétend que le théâtre devrait toujours l'être?

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