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La pandémie de coronavirus vue de l'urgence

«Cette semaine, un patient que je devais intuber m’a regardée et m’a dit: “Docteure, est-ce que je vais me réveiller?”»
Dre Marie-Renée Lajoie, urgentologue
Courtoisie/Marie-Renée Lajoie
Dre Marie-Renée Lajoie, urgentologue

L’Hôpital général juif de Montréal traitait ses premiers patients atteints du coronavirus il y a environ un mois déjà; c’était le premier centre désigné de la métropole pour soigner les personnes atteintes. Marie-Renée Lajoie est urgentologue à cet hôpital, où tous les jours maintenant, elle voit passer des patients présentant des symptômes.

«Au début, on voyait juste plein de monde qui venait avec des symptômes grippaux ou qui disait “Ah j’ai peur d’avoir le corona!”, alors que maintenant, on voit vraiment plus des patients qui ont testé positif et pour qui la situation empire», résume la médecin, rassurée de voir que la population a compris qu’il ne faut pas se précipiter aux urgences dès que certains signes du virus se manifestent.

Malgré tout, un nombre important de malades doivent être hospitalisés ou emmenés aux soins intensifs. D’ailleurs, les autres hôpitaux désignés de la ville ont rapidement été encouragés à prendre leur lot de patients pour éviter une surcharge à l’Hôpital juif.

En ce temps de pandémie, le personnel médical est actuellement confronté à plus de stress et d’incertitude qu’à l’habitude et surtout, Dre Lajoie raconte que désormais, un certain état d’hypervigilance fait partie de son quotidien.

«Les patients qui ont l’appendicite, la question revient toujours: “avez-vous d’autres symptômes?” Maintenant, on présume que presque tout le monde est à risque. Il faut être hypervigilants et on veut s’assurer que les patients ont les meilleurs traitements. Il faut constamment faire attention», souligne la médecin.

Alors que les autorités évoquent la fièvre, la toux et les difficultés respiratoires comme étant les principaux symptômes de la COVID-19, Dre Lajoie a pu observer que chaque personne n’expérimente pas le virus de la même façon.

«On peut tout voir. On voit le patient qui se présente avec une douleur abdominale et qu’on ne pense pas que c’est le coronavirus. On l’envoie au scan parce qu’on pense que c’est une appendicite, les résultats reviennent et on voit le corona dans ses poumons. C’est rendu une nouvelle réalité. C’est une maladie qu’on ne connaissait pas il y a six mois.» D’autres patients sont encore plus mal en point. L’urgentologue doit intuber certains d’entre eux parce qu’ils présentent une détresse respiratoire.

Et à travers tout ça, il y a évidemment encore des personnes qui se rendent à l’urgence pour une condition de santé qui n’a rien à voir avec le coronavirus.

«On a encore des patients qui se présentent avec des appendicites et des infarctus. Ça malheureusement, ça n’arrête pas! rappelle l’urgentologue. On ne veut pas qu’un patient qui vient pour une appendicite se ramasse à être exposé à un patient atteint du coronavirus. Ce serait le pire des scénarios.»

Difficile physiquement... et mentalement

Marie-Renée Lajoie a aussi constaté que la santé mentale est très affectée chez beaucoup de malades. «Ça crée une anxiété chez les patients. Même s’ils ont un petit rhume, ils se demandent si ça peut être le corona. Et là, ça devient presque une crise de panique pour certains individus. C’est très difficile», se désole la médecin.

Dre Lajoie vit elle-même des moments particulièrement émotifs avec des malades qui se retrouvent dans un état critique. «Imaginez, je dois vous endormir pour vous faire respirer et vous savez que vous avez le corona. Cette semaine, un patient que je devais intuber m’a regardée et m’a dit: “Docteure, est-ce que je vais me réveiller?” Vous pouvez imaginer la détresse humaine que ces gens-là vivent?»

En plus de l’anxiété, les patients doivent composer avec la solitude, puisqu’ils ne peuvent pas recevoir de visite en ce contexte de pandémie. «C’est très triste, surtout pour les personnes âgées. Mais c’est la procédure. Ça nous brise tous le coeur, mais il faut faire avec», regrette Dre Lajoie, qui est tout de même touchée de savoir que certains de ses collègues se mobilisent pour tenter d’avoir des tablettes pour permettre aux patients de faire des appels vidéo avec leurs proches.

Des prévisions encourageantes

Le Québec est loin d’être épargné par la pandémie de COVID-19, mais quand l’urgentologue compare notre situation par rapport à d’autres endroits du monde, elle est d’avis que notre province répond bien à la crise jusqu’à présent.

«Actuellement, je ne voudrais pas être médecin à New York, je ne voudrais pas être médecin en Italie, je ne voudrais pas être médecin en Chine, affirme celle qui est également détentrice d’une maîtrise en santé publique de l’Université Harvard. On n’est pas si affecté que ça quand on regarde la situation qui est juste à quelques heures de notre frontière, à New York. Je nous trouve incroyablement chanceux.»

Dre Lajoie ne se leurre pas, cependant. Elle sait bien que la situation pourrait devenir plus critique dans les prochaines semaines et avec ses collègues, elle se prépare au pire. «Si on arrive à la phase 3 ou à la phase 4, ça va être difficile. Pour nous, ça impliquerait un changement d’horaire, de passer de quarts de travail de huit heures à des quarts de 12 heures. Et combien de journées de congé? On ne sait pas. Il y a beaucoup d’incertitude liée à ça, admet la médecin. C’est quand même stressant. C’est une réalité vraiment spéciale, que, je pense, la plupart des médecins n’ont jamais vécue dans leur carrière.

“On répond à une pandémie que la planète au complet n’a jamais vue de son vivant. Il faut célébrer un peu nos succès aussi.”

«J’ai choisi la médecine d’urgence parce que c’est une opportunité de travailler avec des patients dans les moments les plus cruciaux de leur vie», poursuit Dre Lajoie, qui explique que bien qu’elle ait été formée pour répondre aux urgences, la situation actuelle la rend un peu plus nerveuse qu’en temps normal. Elle tente de prendre soin d’elle autant que possible, entre autres en augmentant sa pratique de yoga, de méditation et de course.

Et malgré le stress et l’incertitude, l’urgentologue ne perd pas son optimisme pour la suite.

«On répond à une pandémie que la planète au complet n’a jamais vue de son vivant. Il faut célébrer un peu nos succès aussi. Ça ne veut pas dire qu’il faut arrêter de travailler et qu’il n’y en aura pas, des défis devant nous. Mais moi, je suis vraiment d’avis que c’est en gardant notre esprit positif et en travaillant ensemble qu’on va y arriver.»

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