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Paradis fiscaux en Europe : qui pour remplacer Chypre ?

Chypre rentre dans le rang. Quels paradis fiscaux reste-t-il aux milliardaires russes?
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CHYPRE - Si l'accord entre Nicosie et la troïka a scellé la présence de l'île dans la zone euro, Chypre va devoir dire adieu à son moteur de croissance pour remplir les conditions du plan d'aide. Le secteur bancaire, à l'origine de la crise du pays, va payer pour ses dérives et ainsi perdre le statut de paradis fiscal qui faisait son succès.

Andorre, Suisse, Lettonie, Allemagne... Venus de tous les horizons, des représentants des banques européennes se bousculent depuis une semaine à Chypre pour séduire les clients qui s'apprêtent à quitter l'île. Moscou a d'ores et déjà annoncé qu'elle allait étudier les conséquences pour ses intérêts. De nombreuses sociétés russes étaient enregistrées à Chypre depuis les années 1990, en raison du régime fiscal favorable. L'agence Moody's estime que près de 31 milliards de dollars pourraient être placés sur l'île (25% de son PIB).

Où les fortunes russes vont-elles désormais s'installer, une fois qu'elles auront l'occasion de récupérer la main sur leurs fonds ? Les deux principales banques sont toujours fermées, tandis que le Parlement a voté une mesure limitant les mouvements de capitaux. L'île d'Aphrodite n'est décidément plus l'endroit où placer son argent en toute discrétion. Pour aller où, alors ? Et qu'est-ce qu'un paradis fiscal ?

  • Qu'est-ce qu'un paradis fiscal ?

Il n'existe pas de définition législative des paradis fiscaux à proprement parler. Chaque pays peut établir sa propre liste, "mettant surtout en exergue les mesures fiscales dommageables de ses voisins", explique au HuffPost Arnaud Poutier, analyste chez IG Markets. C'est pourquoi la Belgique est souvent perçue comme un paradis fiscal aux yeux des Français : il n'y a pas de taxe sur les plus-values de cession de titres (contre 24% en France lorsque l'on revend son entreprise ou ses parts).

L'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) considère toutefois qu'il faut quatre critères pour les définir : impôts inexistants ou insignifiants, absence de transparence, tolérance envers les sociétés-écran ayant une activité fictive et enfin législation empêchant l'échange d'informations avec les autres administrations.

Le réseau Tax Justice Network (TJN) a dénoncé cette classification, estimant qu'elle n'était pas fiable et que les exigences de l'OCDE étaient insuffisantes. Sur la base d'un indice qui cumule le degré d'opacité au poids des différentes places financières dans l'économie mondiale, TJN estime que les principaux paradis fiscaux d'Europe sont la Suisse, la City de Londres, l'Irlande, la Belgique, mais surtout le Luxembourg.

  • Luxembourg, cible de toutes les attaques

Les projecteurs se sont immédiatement braqués vers Luxembourg, notamment à cause de la taille de son secteur bancaire. Les banques du Grand Duché représentent 22 fois son PIB, quand celles de Chypre ne pèsent "que" 7 fois les richesses du pays. Luxembourg peut-il pour autant remplacer la petite île méditerranéenne, dont le laxisme de ses banquiers a toujours fait le bonheur des milliardaires russes? "À ma connaissance, aucun autre Etat n'est dans la position de Chypre, et surtout pas le Luxembourg", a objecté Wolfgang Schäuble, ministre des Finances allemand, démontant les commentaires selon lesquels les conditions imposées à Chypre profiteraient au Luxembourg, présenté comme un havre bancaire et fiscal.

"Bien que Luxembourg cultive encore un peu le secret bancaire, le pays est extrêmement transparent avec ses voisins", indique au HuffPost Arnaud Poutier de IG Markets. On rappelle aussi que l'Eurogroupe (réunion des ministres des Finances de la zone euro) a longtemps été dirigé par Jean-Claude Juncker, le très rigoureux argentier luxembourgeois.

"Les pays européens sont aujourd'hui très attentifs" note au HuffPost Patrick Ganansia, expert en gestion de patrimoine pour le cabinet de conseil Herez. "Cette situation vire parfois à l'excès", affirme-t-il, "on vous demanderait presque votre CV afin de vérifier que vos 3000 euros ne sont pas de l'argent sale !" Pour la ligne officielle, le Premier ministre luxembourgeois distingue son pays "par un secteur financier beaucoup plus diversifié, offrant une très large gamme de produits, respectant les standards internationaux en matière de régulation".

  • Tous vers la voie de la transparence, mais...

Si Malte est surnommée "Suisse de la Méditerranée", ce n'est pas pour ses montagnes. Son secteur bancaire est en effet 8 fois supérieur à son PIB et Tax Justice Network regrette de n'avoir pas eu accès aux informations concernant la régulation financière. Pour autant, l'adoption de l'euro en 2008 a considérablement facilité les échanges d'informations. Elle manque toujours de transparence, selon PlaNet Finance, l'organisation dirigée par Jacques Attali.

On l'oublie souvent, mais l'Irlande demeure un paradis fiscal pour les grandres entreprises. Nombre de firmes de haute-technologie (Google, Apple, Amazon...) s'y sont installées afin de profiter de son faible taux d'impôt sur les sociétés (13% contre 33% en France). L'ancien "Tigre celtique" dispose d'une fiscalité avantageuse sur les droits de propriété intellectuelle et d'un impôt sur le revenu plafonné à 41%. L'Irlande n'est toutefois pas un paradis au sens de Chypre, car il n'y a pas de secret bancaire.

Les îles anglo-normandes de Man ou de Jersey ont quant à elle largement subi le mouvement de transparence, réclamé par la couronne britannique, depuis la crise financière. "La dépendance avec Londres est beaucoup trop forte pour en faire un lieu parfaitement secret", indique au HuffPost Pascal Julien Saint-Amand, président du réseau notarial Althémis.

La Lettonie a quant à elle exclu la possibilité de devenir un "second Chypre", avec un éventuel afflux vers ce pays balte aspirant à la zone euro de capitaux russes évacués de Chypre, tout en renforçant le contrôle des dépôts bancaires et des flux financiers. Le régulateur financier national a néanmoins demandé aux banques lettones cette semaine d'évaluer plus précisément leurs clients et la qualité des flux financiers, dans le contexte de la crise chypriote.

La Suisse demeure encore nébuleuse, quant à sa capacité à s'extirper de son image de paradis fiscal. Tantôt favorable à l'ouverture du dialogue avec l'UE, tantôt résolument contre, la question fait débat. "La Suisse essaye de redorer son blason", explique Pascal Julien Saint-Amand, qui note que "les nouveaux comptes sont transparents, mais un doute subsiste sur les anciens, pour lesquels les autorités auraient opéré un transit vers Singapour." Une façon de montrer patte blanche, sans pour autant flouer les clients historiques, dont le secret bancaire était une priorité.

C'est d'ailleurs la conclusion d'Arnaud Poutier, analyste chez IG Markets. "De moins en moins de pays refusent de collaborer avec leurs voisins", précise-t-il. "Il faut davantage se tourner vers l'Asie, et notamment Hong Kong ou Singapour pour trouver des places moins regardantes sur l'origine des fonds."

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