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J’ai perdu la vue à 30 ans, alors que j’apprenais tout juste à être maman

Je voulais me trouver un appartement, faire mes brassées de lavage, jouer à Monsieur Patate, faire du macaroni au fromage, applaudir des pipis dans le pot... C’était ma motivation pour entreprendre la réadaptation.
Marie-Christine Ricignuolo et son fils Liam.
Courtoisie/Marie-Christine Ricignuolo
Marie-Christine Ricignuolo et son fils Liam.

Les propos de ce témoignage ont été recueillis par le HuffPost Québec et retranscrits à la première personne.

Je suis née avec un glaucome congénital aux deux yeux, mais j’avais une très bonne vision et ça ne m’empêchait pas de fonctionner: je suis allée à l’école régulière, j’ai eu mon permis de conduire et j’ai été serveuse dans un restaurant. Je compare le glaucome au diabète. Si tout est sous contrôle, tu peux vivre normalement.

J’avais tout de même besoin de suivis à l’hôpital avec des spécialistes. Chaque fois que j’ai eu besoin d’interventions aux yeux, les médecins étaient optimistes.

Il y a quelques années, j’ai eu une greffe de cornée. Il faut dire que c’est une intervention très fréquente, j’en avais eu une dans le passé. C’est comme un tour de magie: la vision s’améliore rapidement.

Puis, deux ans plus tard, mon fils est né. Après la naissance de Liam, j’ai fait un rejet de la greffe. Je savais que j’aurais besoin d’en avoir une autre. Mais au moment de la recevoir, automatiquement, mon corps l’a rejetée. Puis, la pression dans mes yeux a monté en flèche, c’était anormal. J’ai dû avoir d’autres interventions pour que ça baisse et on me disait que ma vision s’améliorerait.

Sauf que c’était de pire en pire. J’ai subi six chirurgies en quelques mois, chaque fois dans l’espoir de regagner quelque chose. Mais chaque fois, ça handicapait ma vision davantage. Après une des interventions, j’ai eu une infection dans mon oeil droit, puis une hémorragie. Les médecins ont décidé qu’ils ne toucheraient plus à mes yeux et que j’allais devoir m’arranger comme ça...

J’ai eu tellement mal. L’hémorragie dans mon oeil, c’est comme si j’avais fait un combat de boxe et qu’on m’avait défiguré le visage. Quand tu as mal physiquement, tu ne peux pas fonctionner, tu ne peux pas penser. Les médecins ne savaient pas si j’allais vivre avec cette douleur-là longtemps, qui aura finalement duré un mois.

Cette hémorragie a fait en sorte que j’ai perdu l’usage de mon oeil droit à 100%, et pour mon oeil gauche, ça a été graduel. C’était vraiment déstabilisant. Je ne voyais plus rien. Je suis devenue non-voyante à l’âge de 30 ans.

Au début, j’étais fâchée contre les médecins. Je cherchais un coupable, je me disais que j’irais me faire soigner dans un autre pays, parce que pas question que je vieillisse comme ça. J’étais pas mal dans le déni...

Faire face à ma plus grande peur, ça a été tout un choc.
Courtoisie/Marie-Christine Ricignuolo
Faire face à ma plus grande peur, ça a été tout un choc.

Mes opérations aux yeux, c’était comme un long marathon... que je n’ai jamais pu terminer. Je pensais vraiment me rendre à la fin de cette course-là, championne, avec une bonne vision. Maintenant, tout ce que je perçois avec mes yeux, c’est s’il fait clair ou s’il fait noir. Des fois, si je suis chanceuse, je vais voir passer une petite ombre.

C’est vraiment un gros deuil. Je pense que perdre la vue, c’était ma plus grande peur dans la vie, sûrement parce que j’ai toujours eu une vision précaire. Faire face à ma plus grande peur, ça a été tout un choc.

Du jour au lendemain, j’ai été isolée et limitée dans mes déplacements. Je ne pouvais plus sortir de chez moi autant que je le voulais. Finalement, c’est un peu comme ce que tout le monde a vécu avec la pandémie...

Ma réalité de maman

C’était mon plus grand rêve d’être maman. Liam avait un an et demi quand tout ça est arrivé. Malheureusement, il a hérité de ma maladie, même si les médecins me disaient que ça ne devrait pas arriver. Je me suis sentie hyper coupable de ça. Il a dû avoir des interventions dans ces yeux. C’était de la torture émotionnelle pour moi.

Je me suis séparée du père de mon enfant après les événements. Tant pour lui que pour moi, ça a été une période difficile. Mais aujourd’hui, il est présent pour Liam et on fait une bonne équipe, même en étant séparés.

“L’amour pour mon fils était tellement plus grand que cette épreuve-là.”

Je suis allée habiter chez mes parents, avant de me sentir prête à commencer la réadaptation. Pendant un bon moment, j’avais des idées noires. Mais tranquillement, je me répétais que je n’étais pas la première, ni la dernière à perdre la vue. J’ai voulu trouver des moyens pour retrouver un minimum d’autonomie. J’ai voulu m’en sortir.

L’amour pour mon fils était tellement plus grand que cette épreuve-là. Je voulais lui donner un exemple positif, d’autant plus que lui, il vit avec la même maladie que moi. C’était ma plus grande joie, avoir un enfant. Je voulais vite savourer ces moments-là qui sont tellement précieux et temporaires.

Catherine Dumontet

Je voulais avoir ma petite routine. Je n’étais jamais là-dedans depuis un bon moment parce que j’étais tout le temps rendue à l’hôpital, un rendez-vous après l’autre. Je voulais me trouver un appartement, faire mes brassées de lavage, jouer à Monsieur Patate, faire du macaroni au fromage, applaudir des pipis dans le pot! C’était ma motivation pour entreprendre la réadaptation. Je voulais me sentir libre d’aller au parc, au centre-ville faire mon magasinage, au café dans mon quartier, au gym sans tenir la main de quelqu’un, être capable d’amener mon gars à la garderie...

“Ça me crève le coeur quand je sens que je ne peux pas jouer mon rôle de mère à 100%.”

Je me suis trouvé un appartement il y a un an, avec l’aide de la Fondation des aveugles. J’étais prête physiquement et mentalement, et à partir de ce moment-là, j’ai entrepris ma réadaptation avec la canne blanche. C’est tout un apprentissage. Je ne m’attendais pas à ça! J’ai dû apprendre à lâcher prise, je n’avais pas le choix. Certaines choses demandent énormément de patience. Les intervenants que j’ai côtoyés pendant ma réadaptation m’ont permis de regagner la confiance en moi que j’avais perdue.

Je me pose tout de même encore beaucoup de questions, notamment par rapport à mon fils. Par exemple, comment l’aider à brosser ses dents? Je ne veux pas l’étouffer! Et il y a des choses qui sont crève-coeur. Récemment, mon fils s’est fendu la lèvre, mais je ne savais pas ce qui se passait, parce que je ne voyais pas d’où ça saignait. Je n’avais pas le temps de faire un Facetime avec quelqu’un, il fallait que je réagisse vite, je ne savais pas ce qu’il se passait, il pleurait. Ça me crève le coeur quand je sens que je ne peux pas jouer mon rôle de mère à 100%.

Sensibiliser

J’ai créé une page Facebook, où je publie différentes capsules dans lesquelles je partage des anecdotes et de l’information sur ce que je vis. Je lance aussi des «Défis à l’aveuglette» à des personnalités d’ici. Je veux briser les tabous. Je trouve que les gens sont mal informés sur la réalité des personnes non voyantes. Au quotidien, ils veulent m’aider, mais souvent, ils ne s’y prennent pas de la bonne manière. Je souhaite aussi faire des conférences pour raconter mon histoire.


Par exemple, quand je traverse la rue, il arrive que les gens ne se présentent même pas et font juste me ramasser par le bras... Présentez-vous, j’ai des oreilles! C’est agressant, se faire toucher comme ça sur la rue. Je fais toujours le saut, et il peut arriver que je crie. En même temps, je sais que les gens ne sont jamais mal intentionnés, ils veulent m’aider avant tout.

Je le sais, que ça ne pourra jamais être comme avant, que mes sorties ne pourront jamais être aussi spontanées que quand je voyais. Chaque fois que je change d’environnement, ça recommence à zéro. Mais il y a une manière de vivre autrement et en étant autant, sinon plus heureuse qu’avant, parce que je savoure chaque moment pleinement. Je suis vraiment dans le «ici et maintenant», tout le temps.

Je sais maintenant que je peux tout faire sans mes yeux; je peux compter sur tout le reste de mon corps. J’ai deux bras, deux jambes, ma tête. Je peux réfléchir, je peux entendre, je peux communiquer. Il me reste beaucoup plus que ce que j’ai perdu.

La section Perspectives propose des textes personnels qui reflètent l’opinion de leurs auteurs et pas nécessairement celle du HuffPost Québec.

Propos recueillis par Florence Breton.

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