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Les femmes de la génération Y ont un rapport à la pilosité compliqué

Les poils sous les aisselles peuvent être acceptables ou même sexy sur un mannequin à la beauté classique dans un magazine, mais dans la vie réelle, c'est autre chose.
Dans la vie réelle, beaucoup de femmes font l’objet de critiques acerbes, de regards insistants et même de menaces de mort, pour avoir osé afficher leurs poils de jambes, sous les aisselles ou pubiens.
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Dans la vie réelle, beaucoup de femmes font l’objet de critiques acerbes, de regards insistants et même de menaces de mort, pour avoir osé afficher leurs poils de jambes, sous les aisselles ou pubiens.

BEAUTÉ - En août, le mannequin Emily Ratajkowski posait pour Harper’s Bazaar en soutien-gorge, les bras levés et les aisselles fournies. “J’ai tendance à aimer me raser tous les jours mais, parfois, je me sens sexy en laissant pousser mes poils”, écrivait-elle dans l’article qui a suscité des réactions partagées et poussé certains à soupçonner qu’il s’agissait de faux poils.

“Si je décide de me raser les aisselles ou de me laisser pousser les poils, c’est à moi seule de décider”, assurait encore l’Instagrammeuse.

“Bien sûr, je suis convaincue que lorsque je cherchais le sens de la féminité, j’étais fortement influencée par une culture misogyne. J’ai aussi la certitude que mes différentes manières d’être “sexy” aujourd’hui sont imprégnées de misogynie. Mais c’est ce qui me convient et c’est mon choix. N’est-ce pas le sens même du féminisme: le droit de faire ses propres choix?”.

Les poils, une affaire strictement personnelle?

Indépendamment de la thèse du postiche sous les aisselles, le rapport d’Emily Ratajkowski à la pilosité fait écho à celui de la génération Y pour qui les poils sont une affaire strictement personnelle.

“Pour moi, la pilosité féminine représente une autre occasion pour les femmes d’exercer leur capacité de choisir, en fonction de leur attitude vis-à-vis du corps et de ce qu’évoque le fait d’avoir des poils”, poursuivait-elle. “Tant que c’est mon choix, c’est le bon.”

Des marques de produits pour le corps respectueuses des femmes de cette génération, comme Billie et Fur Oil, ont compris l’évolution du rapport de celles-ci à leur pilosité et proposent des soins adaptés qui ne font pas l’impasse sur l’existence des poils tout en défendant l’idée que l’épilation n’est pas obligatoire.

L’acceptation de la pilosité féminine -ou, du moins, l’idée de cette pilosité- n’a jamais été aussi populaire. Car si l’on n’est pas une star, montrer ses poils est bien moins sexy que sur Instagram ou dans des campagnes virales. S’épiler est un choix personnel, mais il soulève des questions identitaires, sexuelles et politiques, et fait naître chez certaines des sentiments contradictoires.

La génération Y n’a pas jeté tous ses rasoirs

Alors que des femmes souscrivent à l’idée que l’épilation devrait être facultative, toutes les filles de la génération Y ne jettent pas leurs rasoirs en masse. Beaucoup sont encore réticentes à l’idée de tout laisser pousser face à la stigmatisation persistante qui a toujours accompagné la pilosité chez les femmes.

Selon Rebecca M. Herzig, professeure en études sur le genre et la sexualité à l’université Bates College, et autrice de Plucked: A History of Hair Removal, “la pilosité reste stigmatisée: rapport racialisé à “l’hygiène”, associations homophobes entre visibilité des poils et lesbianisme, perceptions culturelles du radicalisme “politique”.

“Même les stars qui osent montrer leurs poils ont tendance à suivre les normes dominantes de l’apparence physique pour tout le reste: corps sain, blanc, jeune, mince et tonique, habillé de vêtements de marque, etc.”, poursuit-elle.

Les poils sous les aisselles peuvent être acceptables ou même sexy sur un mannequin à la beauté classique dans un magazine, mais dans la vie réelle, beaucoup de femmes font l’objet de critiques acerbes, de regards insistants et même de menaces de mort pour avoir osé afficher leurs poils de jambes, sous les aisselles ou pubiens, encore peu visibles même chez les célébrités pro-pilosité.

“Il est tout à fait logique que les femmes aient des sentiments contradictoires sur l’épilation”, déclare Caroline Ervin, coanimatrice du podcast Unladylike. “D’un côté, la pilosité a longtemps été perçue comme repoussante, sale et peu féminine. De l’autre, notre esprit logique et féministe nous dit que nous ne devons pas céder aux pressions sociales.”

“Je trouve amusant de choquer les gens avec des aisselles aux couleurs de l’arc-en-ciel, mais j'aimerais aussi que cela ne gêne plus personne et que ce ne soit plus lié au genre.”

- Caroline Ervin, coanimatrice du podcast Unladylike

Dans un podcast en trois parties diffusé cette année, Caroline Ervin et sa coanimatrice, Cristen Conger, se sont intéressées au fait d’être une femme poilue dans la vraie vie. Elles rappellent que les poils sont les symboles d’autre chose.

“Nous avons parlé à une femme atteinte du syndrome des ovaires polykystiques qui vivait très mal les changements hormonaux liés à la maladie, dont l’hyperpilosité. Sa colocataire lui a reproché (au nom du féminisme!) d’avoir voulu s’épiler en partie”, raconte Caroline Ervin. “Une autre souffrait d’une dysphorie de genre, à cause de la pilosité, avant de commencer une œstrogénothérapie. Les poils lui rappelaient son inadéquation entre son sexe assigné et son identité de genre”.

Même si l’épilation peut être coûteuse, douloureuse et prendre beaucoup de temps, certaines femmes le font pour se sentir elles-mêmes. “Ces règles “féministes” peuvent donc être tout aussi oppressantes que celles qui disent aux femmes comment vivre leur vie, notamment lorsqu’elles ne laissent aucune place à la nuance”, souligne-t-elle.

Le choix de montrer ses poils n’en est pas un

Certes, la plupart peuvent décider librement de s’épiler ou non, mais il n’est pas tout à fait exact de parler de choix. “Si les choix personnels des femmes dans les publicités et les magazines féminins sont salués, on attend généralement d’une femme qu’elle “adhère” aux normes de consommation dominantes. En l’occurrence: une peau lisse, immaculée et jeune”, explique Rebecca M. Herzig. “La rhétorique du choix cache une réalité: celle de la limite des options sociales.”

Le regard positif de la génération Y vis-à-vis de la pilosité n’est pas aussi ouvertement politique que pour les précédentes, en particulier celle de la deuxième vague féministe, et c’est peut-être une bonne chose. Le corps des femmes est constamment politisé et contrôlé, jusqu’à leurs poils. Mais pourquoi ce qu’elles font pour ou avec leur corps devrait toujours contenir un message?

“Il n’y a aucun problème à préférer ou aimer s’épiler”, dit Caroline Ervin. “Bien entendu, selon certaines, tout garder est l’option la plus féministe, pied de nez au patriarcat. Je ne suis pas en désaccord avec ça, mais les conversations binaires, ‘c’est bien/c’est pas bien’, aboutissent rapidement à une impasse, et je ne suis pas sûre que ce ping-pong verbal soit favorable à la cause des femmes.”

“S’épiler, ou pas, n’est pas fondamentalement féministe, et ce n’est pas obligatoire. Cependant, la question de la pilosité est un problème féministe qui le restera tant qu’on dira aux femmes ce qu’elles doivent faire de leur corps.”

Cela marche dans les deux sens, pour ceux qui considèrent les femmes poilues comme repoussantes ou celles qui s’épilent comme de mauvaises féministes.”

Selon Caroline Ervin, la représentation de la pilosité dans les médias constitue un premier pas décisif dans la normalisation des poils des femmes et des non-binaires. “Plus une chose est visible, plus elle se normalise. Je trouve amusant de choquer les gens avec des aisselles aux couleurs de l’arc-en-ciel, mais j’aimerais aussi que cela ne gêne plus personne et que ce ne soit plus lié au genre.”

Politique du poil mise à part, Caroline Ervin pense que ses auditeurs doivent pouvoir choisir en toute liberté de ce qui leur convient. “Je sais que l’épilation prend du temps et a un coût, et je sais qu’on attend des femmes qu’elles n’exhibent aucun poil mais je suis d’avis qu’on devrait laisser les gens faire ce qu’ils veulent”, estime-t-elle.

Elle qui avait l’habitude de se raser tous les jours nous dit qu’en vieillissant elle se soucie beaucoup moins de l’opinion des autres. “Je ne vais pas participer aux marches à Washington pour défendre le poil aux jambes mais je les soutiens à 100%, en particulier les femmes et les non-binaires. Il est temps de se laisser le choix de faire ce que l’on veut de ce côté-là.”

Cet article, publié sur le HuffPost américain, a été traduit par Karine Degliame-O’Keeffe pour FastForWord.

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